Des plannings de travail décalés
Un premier salarié est embauché en CDI par la société Leroy Merlin, au rayon « Bâti » le 30 avril 2018. Un second salarié, ami du premier, a été embauché dans le même service en CDD à compter du 1er mars 2021.
Selon ces salariés, l'entreprise n'était pas au courant, au moment de l'embauche, de leur relation intime. Celle-ci aurait été découverte à l'occasion du test Covid positif du premier salarié, qui placé en isolement, avait transmis la liste de ses contacts sur laquelle figurait le nom de son compagnon.
Les deux salariés indiquent qu'à la reprise de leur poste, ils auraient constaté que leurs plannings avaient été modifiés de telle manière qu'ils n'avaiient jamais un jour de repos en commun.
Ils saisissent le Défenseur des droits, estimant être victimes d'agissements discriminatoires en lien avec leur situation de famille.
A noter :
Le Défenseur des droits est une autorité administrative indépendante chargée notamment de lutter contre les discriminations.
Cette autorité peut formuler des recommandations afin qu'il soit remédié à tout fait ou toute pratique qu'elle estime être discriminatoire. Les personnes incriminées sont alors tenues, dans un délai fixé par celle-ci, de rendre compte à celle-ci de la suite donnée à ces recommandations.
En l'absence de ce compte-rendu ou si ce compte-rendu est jugé insatisfaisant, le Défenseur des droits peut établir un rapport spécial publié au Journal officiel.
L'enquête et les recommandations du Défenseur des droits
Le Défenseur des droits engage alors une enquête auprès de la société Leroy Merlin afin de recueillir ses explications et la communication de plusieurs pièces.
L'entreprise communique les éléments demandés et, dans un premier temps, ne conteste pas avoir pris en compte la situation de famille des salariés réclamants. Elle explique s'être fondée sur un usage interne consistant à ne pas faire travailler ensemble au service client des salariés ayant un lien de parenté ou en couple.
Dans une première décision en date du 2 novembre 2022, le Défenseur des droits formule les recommandations suivantes :
se rapprocher des réclamants afin de procéder à une juste réparation de leur préjudice ;
modifier ses pratiques en matière de planification des horaires de travail de ses salariés afin de respecter le principe de non-discrimination ;
sensibiliser l'ensemble des responsables à la non-discrimination ;
rendre compte des suites données à cette recommandation dans un délai de 3 mois.
La société refuse de donner suite à ces recommandations, considérant que : « loin d'être une mesure discriminatoire, le fait d'éviter de ne pas planifier simultanément deux collaborateurs entretenant une relation sur le même poste s'inscrit dans une démarche à deux niveaux :
une gestion humaine des effectifs afin de préserver de bonnes relations entre chaque collaborateur ;
un acte managérial de bon sens afin de prévenir tout conflit d'intérêts. »
Le Défenseur des droits enjoint alors de nouveau à la société Leroy Merlin de prendre les mesures nécessaires. Celle-ci refuse toujours, mais ajoute cette fois « qu'il n'existe aucune règle ou directive au sein de l'entreprise interdisant pour deux salariés entretenant une relation ou ayant un lien familial de travailler sur le lieu de travail au même moment. En revanche, en toute transparence et en concertation avec les intéressés, voire à leur initiative, certains magasins peuvent aborder la question de la planification aux mêmes heures de deux conjoints par exemple ».
Les réclamants contestent que le changement de plannings ait fait l'objet d'une concertation.
La décision du Défenseur des droits
Le Défenseur des droits estime qu'il ressort des éléments que l'entreprise a bien appliqué un usage au sein de la société consistant à ne pas faire travailler ensemble au service client des salariés ayant un lien de parenté ou en couple.
Il considère, notamment en vertu de l'article L 1132-1 du Code du travail, que cet usage est discriminatoire. Les salariés n'ont, en effet, aucune obligation de préciser la teneur de leur relation, ni au moment de leur embauche, ni pendant l'exécution de leurs contrats de travail. L'employeur ne peut pas non plus prendre en compte la situation de famille d'un salarié pour arrêter des décisions le concernant, notamment en matière de mutation ou d'horaires de travail.
Il en tire comme conclusion qu'il existe une discrimination liée à la situation de famille, l'employeur ne rapportant pas la preuve que ces décisions étaient justifiées par des éléments objectifs et licites étrangers à toute discrimination.
A noter :
Il est rappelé dans le cadre juridique de la décision que le critère de discrimination de situation de famille vise les situations où l'employeur prend en compte une caractéristique d'un membre de la famille du salarié, pour prendre une décision concernant ce dernier.
La notion de situation de famille doit être entendue au sens large, elle vise la situation matrimoniale (Cass. soc. 10-2-1999 n° 96-42.998 P et Cass. soc. 14-11-2000 n° 98-41.012 FS-P), l'existence d'un concubinage, le lien de filiation (Cass. soc. 1-6-1999 n° 96-43.617 P), l'existence ou l'absence d'enfants, l'absence ou la nature d'un tel lien familial.
Le Défenseur des droits estime que les agissements de l'employeur ont eu nécessairement un impact défavorable sur la vie personnelle des salariés.
Il rappelle d'ailleurs à cet égard, que les juges ont pu considérer « qu'un changement d'horaire imposé au salarié, qui porte une atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, peut justifier la résiliation judiciaire du contrat de travail » (Cass. soc. 3-11-2011 n° 10-14.702 FS-PB et Cass. soc. 14-11-2012 n° 11-21.240 F-D).
Enfin, il reformule ses recommandations à la société Leroy Merlin, à savoir :
de se rapprocher des réclamants afin de procéder à une juste réparation de leur préjudice ;
de modifier ses pratiques en matière de planification des horaires de travail de ses salariés afin de respecter le principe de non-discrimination ;
de sensibiliser l'ensemble des responsables à la non-discrimination ;
et de rendre compte des suites données à cette recommandation dans un délai de 3 mois à compter de la notification de la décision.
A noter :
Le Défenseur des droits avait déjà par le passé retenu une discrimination en raison de la situation familiale, notamment pour le cas d'une assistante maternelle qui avait obtenu un agrément pour accueillir des enfants placés par le juge mais que les services sociaux avaient refusé de choisir en raison de sa situation familiale, sans enfant (Délibération 2006-209 du 9-10-2006) .
Il a également eu l'occasion de rappeler que les offres d’emploi exclusivement réservées aux enfants du personnel constituent une discrimination en raison de la situation de famille.
Documents et liens associés
Déf. droits 2023-0001 du 23-6-2023 : JO 12-9
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