Plusieurs indivisaires sont propriétaires d’une parcelle de 4 354 m2 grevée sur la totalité de sa surface d’un emplacement réservé au plan local d’urbanisme pour l’extension du cimetière de la commune. En décembre 2018, usant de leur droit de délaissement, ils mettent en demeure la collectivité publique d’acquérir leur bien. En l’absence d’accord sur le prix, cette dernière saisit le juge de l’expropriation d’une demande tendant à voir prononcé le transfert de propriété et fixé le prix. Insatisfaits du montant retenu, les propriétaires font appel et demandent que le prix du délaissement soit fixé à 1 080 000 €.
La cour d’appel ne les entend pas et le fixe à 736 109 € : « une partie significative des constructions existant sur le terrain » ne correspondant à aucune des 2 demandes de permis de construire déposées en 1979 et 1985, il convient d’appliquer un abattement de 20 %. Les propriétaires contestent : un tel abattement pour illicéité des constructions ne peut pas être pratiqué, la prescription décennale interdisant toute action en démolition des constructions litigieuses.
La Cour de cassation rejette leur pourvoi. Une partie significative des constructions présentes sur la parcelle délaissée ayant été édifiée sans permis de construire, la cour d’appel a pu en conclure que cette situation constituait une moins-value justifiant un abattement pour illicéité des constructions, quand bien même la prescription de l’action en démolition serait acquise.
A noter :
Le propriétaire d'un terrain bâti ou non bâti réservé par un plan local d'urbanisme bénéficie d’un droit de délaissement lui permettant, dès que ce plan est opposable aux tiers, d’exiger de la collectivité au bénéfice duquel le terrain a été réservé qu'il soit procédé à son acquisition (C. urb. art. L 152-2 et L 230-1). En cas de désaccord à l'expiration du délai d'un an de la réception de la demande, le juge de l'expropriation, saisi par le propriétaire ou le destinataire de la mise en demeure, prononce le transfert de propriété et fixe le prix de l'immeuble. Ce prix est fixé et payé comme en matière d'expropriation (C. urb. art. L 230-3).
Dans cette affaire, l’expert mandaté par la commune avait constaté qu’une grande partie des constructions présentes sur le site, un centre équestre, « ne correspondaient à aucune des 2 demandes de permis de construire dont la trace est produite ». Or, on le sait, seuls les préjudices directs, matériels et certains causés par l'expropriation sont indemnisables (C. expr. art. L 321-1), la jurisprudence excluant toute indemnité lorsqu'il n'y a pas atteinte à un intérêt légitime. La cour d’appel d’Aix-en-Provence, après avoir effectivement rappelé que « l'indemnisation pour délaissement ou expropriation de biens immobiliers construits sans autorisation est en principe exclue », avait validé l’abattement de 20 % pour illicéité des constructions pratiqué par la commune. Les propriétaires avaient alors invoqué la prescription décennale de l'action en démolition des constructions irrégulières (C. urb. art. L 480-14).
L’argument est balayé par la Haute Juridiction : une telle prescription ne fait pas obstacle à l'application, par le juge, d'un abattement sur la valeur du terrain délaissé, pour illicéité d'une partie des constructions qui y sont édifiées.