Après avoir acquis en octobre 2016 les titres d'un groupe de sociétés, l’acquéreur reproche au cédant d’avoir manqué à son obligation contractuelle d’information (C. civ. art. 1112-1) en ne portant pas à sa connaissance des changements apportés en 2016 dans la comptabilité du groupe (réintégration à hauteur de 1 080 000 € des provisions au titre des remises et participations des années 2006, 2007 et 2008 alors que cette réintégration s’effectuait habituellement année par année avec un décalage de 10 ans ; affectation de la cotisation sociale économique territoriale de 2015 à la holding au lieu d'une répartition entre les sociétés du groupe et obtention par la holding d’un dégrèvement de 200 000 € affecté au résultat courant de 2016). L’acquéreur soutient que ces changements ont affecté l’Ebitda du groupe, dans le calcul duquel les éléments non récurrents ne sont pas pris en compte, et qu’il s’agissait d’éléments déterminants de son consentement. Correctement informé, il aurait donné un moindre prix pour les titres. De son côté, le cédant soutient que le prix de cession a été évalué sur la base des comptes de 2015 et non de 2016 et qu’il n’avait pas connaissance d’un mode de calcul fondé sur un Ebitda.
La cour d’appel de Paris a jugé qu’en n'informant pas l’acquéreur des changements comptables alors que ceux-ci étaient déterminants du consentement de ce dernier, le cédant avait engagé sa responsabilité contractuelle. Certes, le contrat de cession ne décrivait pas les éléments sur lesquels l’acquéreur s'était fondé pour déterminer la valeur de l'entreprise. Toutefois, aux termes de la lettre d’intention d’achat adressée par l’acquéreur au cédant en juillet 2016, la valorisation proposée (310 millions d'euros) s'appuyait notamment sur la perspective de ventes nettes à fin 2016 de 112 millions d'euros et d'un Ebitda normatif consolidé à fin 2016 de 23,6 millions d'euros. L’acquéreur précisait en outre que cette valorisation constituait un prix minimal garanti, sous réserve qu’il puisse valider les éléments financiers historiques et l'Ebitda normatif consolidé. Dans son offre ferme définitive adressée un mois plus tard au cédant, il avait confirmé une valeur d'entreprise minimale de 310 millions d'euros malgré un Ebitda normatif consolidé à fin 2016 légèrement revu à la baisse lors des diligences financières et indiqué que cette valorisation reposait sur la perspective d'un Ebitda normatif consolidé à fin 2016 de 23,2 millions d'euros correspondant à l'Ebitda de 23,6 millions retraité au regard de certaines provisions sur stocks et d’une taxe prévue par la loi de finances pour 2017. L’acquéreur y indiquait aussi que le multiple d'Ebitda correspondant à la valeur d'entreprise de 310 millions d'euros s'établissait donc à 13,4x (vs 13,1x dans la lettre d’intention). Il résultait de ces éléments que le cédant était informé de l'importance pour l’acquéreur de l'Ebitda de l'année 2016 et donc de la nécessité pour ce dernier de disposer de l'ensemble des éléments lui permettant d'apprécier l'Ebitda devant être réalisé au terme de l'année 2016 au cours de laquelle la cession devait avoir lieu.
A noter :
L’Ebitda (ou « Earnings Before Interest, Taxes, Depreciation and Amortization ») est un indicateur financier américain, permettant de mesurer la rentabilité brute d’une entreprise ; il se rapproche de l’excédent brut d’exploitation (EBE), utilisé en comptabilité française, même si son calcul n’est pas identique.
La cession du groupe étant intervenue après l’entrée en vigueur de la réforme du droit des contrats, le 1er octobre 2016, l’acquéreur s’était prévalu de l'article 1112-1 du Code civil, issu de cette réforme et dont les applications sont encore rares. Aux termes de ce texte, celle des parties qui connaît une information dont l'importance est déterminante pour le consentement de l'autre doit l'en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ; néanmoins ce devoir d'information ne porte pas sur l'estimation de la valeur de la prestation. L’arrêt est intéressant en ce qu’il caractérise comment l’indicateur de rentabilité choisi par l’acquéreur pouvait être considéré comme déterminant du consentement de ce dernier.
A moins qu’il puisse être considéré comme un vice du consentement (ce qui n’était pas le cas en l’espèce), le non-respect de ce devoir d’information est sanctionné par l’allocation de dommages-intérêts (art. 1112-1, dernier al.). L’acquéreur réclamait ici 34 millions d’euros (soit 11 % du prix payé). Après avoir rappelé que le préjudice né d’un défaut d’information ne pouvait consister qu’en la perte d’une chance pour l’acquéreur d’acquérir à un prix plus bas, la cour d’appel a fixé à 616 000 € les dommages-intérêts dus par le cédant ; elle a estimé que la chance pour l’acquéreur de faire baisser le prix était très réduite, compte tenu de sa volonté ancienne et réitérée de prendre le contrôle du groupe et de la position ferme du cédant sur la valorisation minimale.