La société Rent A Car exerce, sous l'enseigne du même nom, une activité de vente, d'achat et de location de voitures. Elle est notamment titulaire de la marque verbale française « Rent A Car » déposée pour désigner, d'une part, des véhicules, d'autre part, des services de location de ces véhicules, ainsi que de la marque semi-figurative comportant ce même élément verbal, pour désigner les mêmes produits.
Parallèlement, une société de droit américain exerce, sous le nom commercial Enterprise rent-a-car, une activité de location de voitures et est titulaire d'une marque semi-figurative française, dont l'élément verbal est « Enterprise rent-a-car », pour désigner notamment les services de location et de crédit de voitures. Cette société achète la société française Citer, exerçant la même activité, laquelle offre donc désormais ses services sous la marque semi-figurative « Enterprise rent-a-car ».
C'est dans ce contexte que la société « Rent A Car » agit en responsabilité contre ses concurrentes, notamment sur le fondement de la contrefaçon, et demande à ce qu'il leur soit interdit d'utiliser les termes « rent a car » à titre de dénomination sociale, nom commercial, enseigne, nom de domaine et marque ; elle sollicite également l'annulation de la marque « Enterprise rent-a-car ».
Les sociétés titulaires de cette marque répliquent en demandant l'annulation de la marque verbale « Rent A Car » pour défaut de caractère distinctif.
La marque « Rent a Car » pour désigner des véhicules est évocatrice, pas descriptive
On sait que ne peuvent pas être enregistrés, faute de caractère distinctif, les signes pouvant servir à désigner une caractéristique du produit ou du service (CPI art. L 711-2, b dans sa rédaction antérieure à l'ordonnance 2019-1169 du 13-11-2019 applicable en l'espèce, repris en substance à l'article L 711-2, 3°). Se fondant sur ces dispositions, les juges du fond annulent la marque « Rent A Car » au motif que l'expression « rent a car » constitue la traduction en langue anglaise de l'expression « louer une voiture », laquelle, comprise du consommateur moyen, décrit les produits pour lesquels elle est déposée ou les évoque directement, à savoir les véhicules et les services de location.
La Cour de cassation censure l'arrêt en ce qui concerne les seuls véhicules : le signe simplement évocateur d'un produit visé dans l'enregistrement n'est pas descriptif de ce produit. Or en l'espèce, les termes « rent a car », s'ils sont descriptifs de certains des produits pour lesquels ils sont déposés (la location de voitures), ne sont qu'évocateurs des autres (véhicules, etc.), compte tenu de la distinction essentielle entre vente et location connue de tout consommateur.
Estimant que l'intérêt d'une bonne administration de la justice le justifie (dans cette affaire, une première cassation a déjà été prononcée), la Cour de cassation statue au fond et rejette la demande d'annulation de la marque verbale.
Une marque évocatrice est une marque composée de signes liés plus ou moins directement au produit ou au service qu'elle désigne. Une telle marque tombe-t-elle par principe sous le coup des dispositions interdisant le dépôt d'un signe descriptif ? La Cour de cassation comme la CJUE considèrent que non et distinguent clairement les deux notions (CJUE 28-6-2012 aff. 306/11 ; Cass. com. 27-1-2009 n° 07-20.949 D) : il ne suffit pas qu'un signe soit évocateur pour qu'il soit descriptif. Est ainsi valable la marque qui ne désigne ou ne décrit pas explicitement le produit ou le service désigné mais qui se borne à le suggérer aux consommateurs.
A titre d'exemple, ont été jugés simplement évocateurs, donc distinctifs, l'expression « Petites Récoltes » déposée pour désigner du vin (Cass. com. 6-3-2007 n° 05-13.705 D) ou le terme « Malto » pour désigner des produits composés de maltodextrine (Cass. com. 27-1-2009 n° 07-20.949 D).
La menace pour la liberté de la concurrence serait ainsi limitée, puisque les éléments indispensables à la désignation ou à la description des produits ou services désignés restent à la disposition des concurrents.
En ce qu'elle désigne des services de location, elle a acquis un caractère distinctif par l'usage
Dépourvue de tout caractère intrinsèquement distinctif en ce qu'elle désigne des services de location de voitures, la marque verbale « Rent A Car » a-t-elle acquis ce caractère distinctif par l'usage, comme le permet le Code de la propriété intellectuelle (CPI art. L 711-2) et comme le soutenait la société Rent A Car ?
Les juges d'appel constatent en effet l'usage intensif fait par la société « Rent A Car » de sa marque semi-figurative, dont l'élément verbal est identique à la marque verbale revendiquée, l'usage qu'elle fait de son logo « Rent A Car », connu du public pour être apposé sur les véhicules et utilisé dans sa communication, qui reprend, dans la même configuration, les éléments verbal et figuratif de sa marque semi-figurative, l'utilisation, depuis de nombreuses années, des dénomination sociale, nom commercial et enseigne « Rent A Car », constitués des seuls termes « rent a car », et la renommée de cette dénomination sociale et de cette enseigne. Un sondage d'opinion montre par ailleurs la notoriété de la marque verbale « Rent A Car ».
Les juges du fond annulent cependant la marque verbale au motif notamment qu'elle n'a pas pu acquérir de caractère distinctif par l'usage, même intensif, de la marque semi-figurative « Rent A Car » ; au contraire, l'usage intensif de la marque semi-figurative tendrait à établir que les personnes interrogées à l'occasion du sondage ont eu à l'esprit cette seule marque semi-figurative.
Sur ce point aussi, la Haute Juridiction casse l'arrêt d'appel : le fait que, pour les personnes interrogées, la marque verbale évoque la marque semi-figurative, dont l'intensité de l'usage et le caractère distinctif ne sont pas contestés, est au contraire de nature à démontrer que le public pertinent perçoit la marque verbale comme une partie de la marque semi-figurative et que la première a acquis un caractère distinctif en conséquence de l'usage de la seconde.
Pour annuler la marque verbale « Rent A Car » , la cour d'appel avait encore retenu que l'usage du logo, d'une part, de la dénomination sociale, du nom commercial et de l'enseigne, d'autre part, n'a pas pu conférer un caractère distinctif au signe verbal.
A tort, juge la Cour de cassation : les juges du fond auraient dû procéder à une appréciation d'ensemble fondée à la fois sur la renommée de la dénomination sociale, de l'enseigne et du nom commercial, et sur la connaissance et l'usage intensif du logo et de la marque semi-figurative « Rent A Car », et vérifier si, pris ensemble, ces éléments ne démontraient pas que le consommateur moyen établissait un lien entre les termes « rent a car » et les services fournis par cette société, de sorte que la marque verbale « Rent A Car » aurait ainsi acquis un caractère distinctif pour ces mêmes services.
Statuant au fond du litige, la Cour suprême retient que les résultats du sondage démontrent que la marque a acquis un caractère distinctif pour les services de location de véhicules, par l'usage intensif qui a été fait par la société Rent A Car tant de la marque semi-figurative « Rent A Car » que de ses dénomination sociale, nom commercial et enseigne.
Cette solution s'inscrit dans la ligne des jurisprudences française et européenne. Il est en effet admis que l'exigence d'un usage du signe en tant que marque, qui en principe conditionne l'acquisition du caractère distinctif, doit être comprise comme se référant seulement à un usage de la marque aux fins de l'identification par les milieux intéressés du produit ou du service comme provenant d'une entreprise déterminée. Une telle identification, et donc l'acquisition d'un caractère distinctif, peut résulter aussi bien de l'usage, en tant que partie d'une marque enregistrée, d'un élément de celle-ci, que de l'usage d'une marque distincte en combinaison avec une marque enregistrée. Dans les deux cas, il suffit que, en conséquence de cet usage, les milieux intéressés perçoivent effectivement le produit ou le service désigné par la seule marque dont l'enregistrement est demandé comme provenant d'une entreprise déterminée (CJUE 7-7-2005 aff. 353/03).
Jugé par exemple que l'expression « Have a break », dénuée de caractère intrinsèquement distinctif, pouvait avoir acquis un caractère distinctif par l'usage du slogan « Have a break, have a Kit Kat » (CJUE 7-7-2005 aff. 353/03). Dans le même sens, un arrêt de la Cour de cassation, déjà rendu dans l'affaire ayant donné lieu à l'arrêt commenté, avait jugé qu'une marque pouvait acquérir un caractère distinctif ensuite de l'utilisation en tant que dénomination sociale du signe qui la compose (Cass. com. 8-6-2017 n° 15-22.792).
La renommée d'une dénomination sociale prise en compte pour apprécier le risque de confusion
Ne peut être adopté comme marque un signe portant atteinte à des droits antérieurs, et notamment à une dénomination sociale, s'il existe un risque de confusion dans l'esprit du public (CPI art. L 711-4, b, repris en substance à l'art. L 711-3, 3°).
Sur ce fondement, la société Rent A Car demande reconventionnellement l'annulation de la marque semi-figurative « Enterprise rent-a-car » déposée par sa concurrente, soutenant qu'elle porte atteinte à sa dénomination sociale, son nom commercial et son nom de domaine. Estimant que les signes en conflit présentent des différences sur les plans visuel, phonétique et conceptuel, les juges du fond écartent le risque de confusion et la demande d'annulation.
Nouvelle censure de l'arrêt : l'existence d'un risque de confusion doit être appréciée globalement, en tenant compte de tous les facteurs pertinents du cas d'espèce, parmi lesquels figurent la renommée et le caractère distinctif du signe antérieur. En l'espèce, les juges auraient donc dû vérifier si, malgré le faible degré de similitude entre la dénomination sociale « Rent A Car » et la marque semi-figurative « Enterprise rent-a-car », il ne résultait pas de la renommée de cette dénomination sociale un risque de confusion, eu égard à l'identité des services respectivement fournis par les deux sociétés.
La Cour de cassation et la CJUE s'étaient déjà prononcées en ce sens, notamment dans des cas où deux marques étaient en conflit (CJCE 11-11-1997 aff. 251/95 ; Cass. com. 24-5-2016 n° 14-17.533 : RJDA 10/16 n° 743 ; Cass. com. 15-3-2017 n° 15-24.106 D).