Aux termes de l’article L 2315-15 du Code du travail, les membres de la délégation du personnel du CSE peuvent faire afficher les renseignements qu’ils ont pour rôle de porter à la connaissance du personnel sur des emplacements obligatoirement prévus et destinés aux communications syndicales, ainsi qu’aux portes d’entrée des lieux de travail.
Dans ce cadre, les membres du CSE peuvent-ils faire afficher des informations relevant de la vie personnelle des salariés ? Telle est la question à laquelle vient de répondre la chambre sociale de la Cour de cassation.
En l’espèce, le secrétaire du CSE avait affiché, sur le panneau destiné aux communications de l’ancien CHSCT, un extrait des conclusions déposées par ce dernier au soutien d’une citation directe de la société examinée le même jour par le tribunal correctionnel. Cet extrait reproduisait le contenu d’un courriel adressé 3 ans auparavant par l’ancien directeur de l’établissement au directeur en charge de certaines missions d’hygiène, de sécurité et d’environnement.
Deux jours plus tard, la société faisait assigner le secrétaire devant le président du tribunal de grande instance (TGI) pour que soit ordonné, sous astreinte, le retrait de l’affichage.
Déboutée de son action par la cour d’appel, la société s’était pourvue en cassation. La chambre sociale accueille son pourvoi et casse l’arrêt d’appel.
A noter :
Rappelons en effet que le droit d’affichage des membres de la délégation du personnel du CSE n’est subordonné à aucun contrôle préalable de la part de l'employeur, qui ne dispose d'aucun pouvoir de censure. Il lui appartient seulement de saisir les tribunaux a posteriori, au besoin en référé, pour demander le retrait d'un affichage effectué, selon lui, à tort. Le fait de refuser un affichage au motif qu’il n’entre pas dans les attributions des membres de la délégation du personnel constitue un délit d'entrave (Cass. crim. 8-5-1968 n° 67-92.659 ; la solution a été rendue pour des délégués du personnel, mais vaut pour les membres de la délégation du personnel du CSE).
Un affichage possible, mais sous conditions…
Pour rendre sa décision, la Cour de cassation procède, classiquement, en deux temps. Elle pose les principes, puis les applique au cas d’espèce.
Les principes tout d’abord : pour elle, le respect de la vie personnelle d’un salarié n’est pas en lui-même un obstacle à l’application de l’article L 2315-15 du Code du travail, nonobstant l’obligation de discrétion à laquelle sont tenus les représentants du personnel à l’égard des informations revêtant un caractère confidentiel, dès lors que l’affichage par un membre de la délégation du personnel du CSE d’informations relevant de la vie personnelle du salarié est indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, lequel participe des missions du CSE en application de l’article L 2312-9 du Code du travail, et que l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle est proportionnée au but poursuivi.
La solution est déduite de la combinaison de 3 textes, au visa desquels elle est rendue :
- l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, aux termes duquel toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance, l’ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit ne pouvant avoir lieu que pour autant qu’elle est prévue par la loi et constitue une mesure nécessaire notamment à la protection de la santé et à la protection des droits et libertés d’autrui ;
- l’article 9 du Code civil qui autorise les juges, sans préjudice de la réparation du dommage subi, à prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l'intimité de la vie privée, ces mesures pouvant, s'il y a urgence, être ordonnées en référé ;
- et l’article L 2315-15 du Code du travail, relatif au droit d’affichage des représentants du personnel au CSE, précité.
On signalera aussi l’article L 2312-9 du Code du travail, cité dans le dispositif de la décision, mais pas dans ses visas, qui fixe les attributions du CSE dans le champ de la santé, de la sécurité et des conditions de travail et qui, en l’espèce, justifiait l’affichage du courriel litigieux, relatif à l’amiante.
A notre avis :
La solution est inédite - en réalité, la jurisprudence en matière d’affichage des représentants du personnel (aujourd’hui CSE, autrefois délégués du personnel et comité d’entreprise) est ancienne et rare -.
Mais le raisonnement ne l’est pas, car il a déjà été tenu pour résoudre des contentieux dans lesquels le droit au respect de la vie personnelle entre en conflit avec d’autres droits. Sur le site de la Cour de cassation, la chambre sociale incite d’ailleurs à rapprocher cet arrêt d’une décision rendue en septembre dernier (Cass. soc. 22-9-2021 n° 19-26.144 F-B : RJS 12/21 n° 636, 2°), dans laquelle le droit à la protection de la vie personnelle s’opposait au droit à la preuve en matière de discrimination (dans le même sens, Cass. soc. 16-12.2020 n° 19-17.637 F-PB : RJS 3/21 n° 135).
La Cour transpose ici au conflit entre droit au respect de la vie personnelle du salarié et droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, que le CSE a pour mission de protéger, la règle selon laquelle une atteinte est possible à un droit fondamental si elle est indispensable à l’exercice d’un autre droit et proportionnée au but poursuivi.
…qui, en l’espèce, n’étaient pas réunies
Après avoir défini les conditions auxquelles l’affichage par les membres de la délégation du personnel au CSE d’informations relevant de la vie personnelle d’un salarié peut être admis, la chambre sociale examine si la cour d’appel avait eu raison de décider qu’elles étaient réunies dans l’affaire qui lui était soumise… et conclut par la négative.
Elle approuve tout d’abord la cour d’appel d’avoir déduit que le mail litigieux, adressé personnellement et exclusivement par le directeur de l’établissement au directeur chargé des questions d’hygiène et de sécurité, dont elle avait retenu qu’il résultait du contenu et de sa conclusion qu’il avait la nature d’un avertissement ou au moins une mise en garde de nature disciplinaire, constituait un élément relevant de la vie personnelle du salarié.
Le mail mentionnait notamment « je fais suite à notre conversation téléphonique du […] et notre conversation orale […] un tel écart dans la forme et le fond ne saurait se reproduire sans que cela vienne questionner ton aptitude […] pour la bonne forme merci de m’accuser réception de ce mail par retour ». Il avait été produit par l’employeur dans le cadre d’une demande d’autorisation de licenciement d’un salarié protégé. C’était de cette manière que le secrétaire du CSE en avait eu connaissance.
Puis elle examine les éléments retenus par la cour d’appel pour rejeter la demande de retrait du panneau d’affichage :
- le directeur sécurité n’était pas intervenu à la procédure pour défendre ses droits et la société ne disposait d’aucun élément démontrant qu’il s’associait à son action en référé ;
- l’email marquait la réprobation de sa hiérarchie sur des propos tenus par lui, mais aussi fixait désormais la position de la direction sur la communication au titre de l’amiante ;
- en diffusant un e-mail dans lequel la direction sanctionnait son responsable sécurité pour avoir communiqué sur le sujet de l’amiante avec le secrétaire du CHSCT, dans lequel la direction lui retirait tout droit à communiquer sur l’amiante sans autorisation préalable de sa hiérarchie et se réservait le droit de transmettre des informations, le secrétaire du CSE avait agi dans le cadre des intérêts défendus par celui-ci ;
- ce sujet de l’amiante, de haute sécurité pour la santé des travailleurs, était l’objet de toute leur inquiétude et ils s’estimaient mal renseignés et mal protégés depuis de nombreuses années ;
- en conséquence l’intérêt de l’e-mail était suffisant pour justifier l’atteinte aux droits fondamentaux du salarié.
La Haute Juridiction conclut de cet examen que les motifs retenus par les juges du fond ne suffisaient pas à démontrer que l’affichage par un membre de la délégation du personnel au CSE d’un courriel relevant de la vie personnelle d’un salarié, datant de 3 années auparavant et qui concernait seulement les modalités de communication en matière de santé et de sécurité entre deux membres de la direction, était indispensable à la défense du droit à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, et que l’atteinte ainsi portée à la vie personnelle de ce salarié était proportionnée au but poursuivi
Ce faisant, la cour d’appel n’avait pas donné de base légale à sa décision.
A notre avis :
La cour d’appel s’était contentée de juger que « l’intérêt de ce mail était suffisant pour justifier l’atteinte aux droits fondamentaux » du directeur sécurité. Une telle motivation n’était évidemment pas à la hauteur des exigences posées par la Cour de cassation. Le mot indispensable est un mot fort. Il implique qu’il n’existe aucun autre moyen que l’atteinte à la vie personnelle du salarié pour atteindre le but poursuivi. En outre, face à une atteinte, en l’espèce importante (l’entreprise, dans l’un de ses moyens, faisait valoir que l’affichage litigieux s’inscrivait dans un contexte de harcèlement dont était victime le directeur sécurité, dont l’état mental, selon des témoignages, semblait fragilisé), le contrôle de proportionnalité effectué par les juges du fond, qui faisait principalement état du fait que le mail concernait un sujet particulièrement grave, l’amiante, était trop limité.
On relèvera aussi que l’absence d’implication du salarié victime d’une atteinte au respect de sa vie personnelle, dont faisait état la cour d’appel, n’est pas évoqué par la chambre sociale, qui semble considérer cette circonstance comme non pertinente. Il est vrai que, dans les précédents évoqués ci-dessus, c’est l’entreprise qui invoquait l’atteinte à la vie personnelle des salariés, non les intéressés eux-mêmes.
Documents et liens associés
Cass. soc. 16-2-2022 n° 20-14.416 FS-B, Valéo systèmes thermiques c/ C.