La Cour de cassation a rendu deux arrêts d'illustration le 1er juin 2023 qui méritent de retenir l'attention, dans la mesure où ils viennent rappeler les principes qui déterminent la prise en charge de l'accident du travail. Dans la première affaire, le salarié avait semé le doute sur la matérialité de l'accident en mettant en scène celui-ci ; la seconde concernait une tentative de suicide survenue à l'annonce d'un licenciement, mais alors que le salarié n'était pas sous la subordination de l'employeur.
À trop vouloir faire reconnaître un accident du travail, le salarié sème le doute
La première affaire concernait un accident ayant eu lieu au temps et au lieu de travail et ayant occasionné au salarié une lésion à l'adducteur « jambe droite/cuisse droit », lésion confirmée par un certificat médical établi le jour même et mentionnant une « lombosciatique droite » . L'accident avait été pris en charge par la caisse au titre de la législation professionnelle, mais l'employeur contestait l'opposabilité à son égard de cette décision.
Les juges du fond avaient fait droit à sa demande, relevant plusieurs éléments venu semer le doute sur la matérialité de l'accident :
l'accident avait eu lieu sans témoin, en dépit du fait que la victime travaillait en équipe ;
un collègue de travail de la victime attestait de l'intention de celle-ci de feindre un accident du travail quelques jours avant la survenue de l'accident litigieux, en raison d'un climat de tension avec son employeur sur lequel la victime n'avait pas été interrogée lors de l'enquête diligentée par la caisse ;
la victime avait été conduite à l'hôpital sur sa demande insistante, alors que, habituellement, ce type d'accident est suivi d'une consultation par le médecin traitant de la victime ;
la lésion mentionnée sur le certificat médial, une lombosciatique, n'était pas visible à l'oeil nu, alors que la victime avait seulement affirmé souffrir d'une douleur à la jambe.
La Cour de cassation, rappelant le pouvoir souverain d'appréciation des juges du fond de la valeur et de la portée des éléments de faits et de preuve débattus devant eux, approuve la décision de la cour d'appel.
A noter :
La question se présentait dans des termes particuliers dans la mesure où, la caisse primaire ayant pris en charge l'accident au titre de la législation professionnelle, elle se heurtait à une contestation du seul employeur. Ce dernier ne contestant pas la prise en charge dans son principe, mais n'entendant pas en assumer les conséquences financières, le juge du fond ne pouvait que faire droit à la demande aux fins d'inopposabilité de la décision de prise en charge compte tenu de ses constatations.
La tentative de suicide survenue à l'annonce de l'imminence du licenciement est un accident du travail
Dans la deuxième affaire, un salarié protégé avait tenté de mettre fin à ses jours sur son lieu de travail, mais hors de ses heures de travail. L'événement était intervenu dans un contexte de tensions intersyndicales et de conflit entre l'intéressé et la direction, le salarié ayant appris la veille la décision du ministre du travail d'autoriser son licenciement pour faute grave.
La caisse ayant refusé de prendre en charge ces faits au titre de la législation professionnelle, l'affaire avait été portée devant les tribunaux. Les juges d'appel avaient écarté à leur tour le caractère professionnel de cette tentative de suicide : tout en retenant que l'acte du salarié était imputable non à un état dépressif prééexistant mais à l'imminence de son licenciement, ils en avaient conclu qu'il avait agi pour conférer la plus large publicité à son geste et mettre en évidence l'injustice dont il se pensait victime, de sorte que cette intention démonstratrice qui procédait d'une action réfléchie et volontaire de l'intéressé avait constitué la cause de l'ingestion médicamenteuse, excluant par là-même la reconnaissance d'un fait accidentel.
Censure de la Cour de cassation qui rappelle que, si la présomption d'imputabilité ne joue pas lorsqu'un accident a lieu en dehors du temps et/ou du lieu de travail, il s'agit pour autant d'un accident du travail si l'intéressé (ou ses ayants droit) établit qu'il est survenu par le fait du travail. Or, en l'espèce, la tentative de suicide avait été causée par l'imminence du licenciement, comme l'avait relevé la cour d'appel qui aurait dû tirer les conséquences légales de ces constatations.
A noter :
La Cour de cassation rappelle ainsi que si la détermination du caractère professionnel de l’accident relève du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond, il lui appartient d’exercer le contrôle de la motivation de leur décision, chaque fois que celle-ci ne tire pas les conséquences légales des constatations de fait (Cass. 2e civ. 24-1-2019 no 17-31.282 F-D) ou procède de motifs impropres ou inopérants (Cass. 2e civ. 11-10-2012 no 11-15.483 FS-D).
Signalons que la Cour de cassation a déjà jugé que le suicide ou la tentative de suicide survenu à un moment où le salarié n'est pas sous la subordination de l'employeur constitue un accident du travail s'il est directement lié au travail, par exemple s'il fait suite à des reproches de l'employeur (Cass. 2e civ. 24-1-2019 n° 17-31.282 F-D) ou à une réunion au cours de laquelle est annoncée la fermeture du site où le salarié travaille (Cass. 2e civ. 7-4-2022 n° 20-22.657 F-D).
Documents et liens associés
Cass. 2e civ. 1-6-2023 n° 21-21.281 F-D ; Cass. 2e civ. 1-6-2023 n° 21-17.804 F-D