Un locataire titulaire de deux baux commerciaux est mis en liquidation judiciaire. Deux mois après, le bailleur porte à la connaissance du liquidateur une créance de 69 906 € correspondant aux loyers restés impayés depuis l'ouverture de la procédure collective. Quelques jours plus tard, le liquidateur poursuit le bailleur en nullité de deux saisies conservatoires et de quatre virements intervenus à son profit entre la date de cessation des paiements et celle du jugement d'ouverture de la procédure, et demande sa condamnation au paiement d’une somme de 94 027 € correspondant aux montants ainsi versés pendant cette période. Il résilie ensuite les deux baux commerciaux. Le bailleur demande alors qu'une compensation soit opérée entre sa dette de restitution résultant de l'annulation des opérations contestées et sa créance de loyers postérieure à l'ouverture de la liquidation judiciaire du locataire.
La Cour de cassation rejette ses prétentions et refuse toute compensation. En effet, la nullité des paiements pour dettes échues effectués à compter de la cessation des paiements, qui peut être prononcée si ceux qui ont traité avec le débiteur connaissaient la cessation des paiements (C. com. art. L 632-2, al. 1), a pour finalité de reconstituer l'actif du débiteur dans l'intérêt collectif des créanciers (cf. art. L 632-4). Ainsi, la créance de restitution du locataire consécutive à l'annulation des paiements qu'il a effectués en période suspecte est indisponible car elle est affectée au profit de la collectivité des créanciers de la liquidation judiciaire.
A noter :
L'arrêt commenté s'inscrit dans le droit-fil de la jurisprudence de la Haute Juridiction, qui a déjà jugé que toute compensation est exclue entre la dette de restitution consécutive à l’annulation d’une opération contractée après la date de cessation des paiements et une créance admise au passif du débiteur (Cass. com. 13-4-2022 n° 20-22.389 F-B : RJDA 7/22 n° 420). Il s’agissait dans cette affaire d’une créance antérieure déclarée et admise au passif. La solution reste néanmoins la même lorsque le créancier invoque une créance née après l'ouverture de la procédure collective (signalons que la créance dont se prévalait en l'espèce le bailleur était a priori une créance postérieure « utile » et donc payable à l'échéance).
La précision ici apportée par la Cour de cassation tient à la qualification de la créance de restitution, qui est dite « indisponible ». Cette indisponibilité permet aux sommes ainsi recouvrées de réintégrer le patrimoine du débiteur afin d'être ensuite réparties entre tous les créanciers selon les règles classiques de répartition.
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