1. Le rapport au Président de la République sur l’ordonnance du 10 février 2016, portant réforme du droit des contrats, indique que « le caractère supplétif [des dispositions de l’ordonnance] s'infère directement de l’article 6 du Code civil et des nouveaux articles 1102 et 1103, sauf mention contraire explicite de la nature impérative du texte concerné ». On pourrait en déduire que le caractère d’ordre public ne peut désormais résulter que d’une mention explicite du Code civil. Mais cette position est en fait excessive car le rapport ne reflète que l’opinion de ses auteurs qui, comme toute opinion, ne lie pas le juge.
Le caractère d’ordre public des textes issus de la réforme s’apprécie donc exactement suivant les règles que nous avons exposées ci-dessus.
2. Nous proposons ci-après d’illustrer cette démarche, en définissant quelles règles issues de la réforme sont, à notre avis, d’ordre public. Non exhaustive, la classification retenue est le reflet de notre opinion. Les parties à un contrat ont bien sûr toute latitude pour essayer d’y déroger au moyen de clauses contraires…
Article du Code civil | Contenu de la disposition | Ordre public exprès | Ordre public résultant de la formulation ou de la finalité du texte |
Formation du contrat | |||
1104 | Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi | Ordre public exprès : art. 1104, al. 2 | |
1112 | [L'initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles] doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi | Ordre public exprès : art. 1104, al. 2 (toute règle soumise à la bonne foi est d'ordre public puisque la bonne foi est expressément déclarée d'ordre public) | |
1112-1 | Obligation précontractuelle d’information | Ordre public exprès : art. 1112-1, al. 5 | |
1123 | Possibilité pour le tiers à un pacte de préférence d'en interpeller le bénéficiaire | Ordre public résultant de la finalité de la loi : nul ne saurait retirer à un tiers un droit que la loi lui donne | |
1124 | La révocation de la promesse unilatérale pendant le temps laissé au bénéficiaire pour opter n’empêche pas la formation du contrat | A notre avis, la règle n'est pas d'ordre public : en effet, jusque-là, la règle jurisprudentielle qui sanctionnait la rupture de la promesse par des dommages-intérêts (Cass. 3e civ. 15-12-1993 : Bull. civ. III n° 174) n'était pas d'ordre public. Aucune raison ne commande que la règle contraire, retenue par la réforme, le soit. | |
1128 | Sont nécessaires à la validité d'un contrat : 1° Le consentement des parties ; 2° Leur capacité de contracter ; 3° Un contenu licite et certain | Ordre public exprès : art. 1178 (nullité du contrat qui ne remplit pas les conditions nécessaires à sa validité) | |
1158 | Possibilité pour le tiers qui doute des pouvoirs du représentant d'interpeller le représenté | Ordre public résultant de la finalité de la loi : nul ne saurait retirer à un tiers un droit que la loi lui donne | |
1169 | Contrat à titre onéreux contenant une contrepartie illusoire ou dérisoire | Ordre public exprès : art. 1169 (contrepartie exigée à peine de nullité) | |
1170 | Interdiction des clauses qui privent de sa substance l’obligation essentielle du débiteur | Ordre public exprès : art. 1170 (clause réputée non écrite) | |
1171 | Interdiction des clauses qui créent un déséquilibre significatif dans un contrat d’adhésion | Ordre public exprès : art. 1171 (clause contraire réputée non écrite) | |
1178 | La nullité du contrat doit être prononcée par le juge | Ordre public inhérent à la formulation de la loi, qui est impérative (« doit »). Le caractère d'ordre public est confirmé, a contrario, par l'énoncé d'une exception unique au prononcé judiciaire de la nullité (en cas de commun accord des parties) | |
Les effets du contrat | |||
1195 | Faculté de demander la révision judiciaire du contrat pour imprévision | A notre avis, ce texte est d'ordre public, en dépit du fait que la quasi totalité de la doctrine et le rapport au Président de la République se sont prononcés en sens contraire. En effet, il ne résulte pas de ce qu’une partie peut « accepter le risque d’un coût excessivement onéreux » que ce texte est supplétif. Un texte supplétif est un texte que les parties peuvent éliminer discrétionnairement, purement et simplement. Or accepter un risque postule en lui-même deux conditions : 1) que l'acceptation soit libre et non équivoque ; 2) que le risque accepté soit déterminé de façon précise et circonstanciée (cf., pour un exemple des circonstances de nature à caractériser une telle acceptation, la décision du tribunal suisse : ATF 1933, 59, II 372 cité dans B. Mercadal, « La réforme du droit des contrats », Editions Francis Lefebvre, n° 614). En conséquence, une partie ne saurait renoncer par avance au droit d'invoquer l'imprévision, ce qui n'interdit pas un aménagement de ce droit pourvu qu'il ne vide pas de sa substance le droit d'invoquer l'imprévision | |
1210 | Prohibition des engagements perpétuels | Ordre public résultant de la finalité de la loi : permet d'éviter que des biens soient soustraits aux échanges (biens de mainmorte) | |
1216 | Validité de la cession de contrat subordonnée à un écrit | Ordre public exprès : art. 1216, al. 3 (écrit exigé à peine de nullité) | |
1219 | Exception d’inexécution | Cette faculté a été admise par la jurisprudence antérieure pour des raisons impérieuses. Elle est donc, à notre avis, d'ordre public (en ce sens, CA Paris 26-9-2017 n° 17/00415 : D. IP/IT 2018.134 obs. Lecourt). Argument contraire : la clause contraire laisse subsister la possibilité d’aller devant le juge des référés | |
1221 | Faculté de poursuivre l’exécution en nature sauf s’il existe une disproportion manifeste entre son coût pour le débiteur et son intérêt pour le créancier | L’interdiction ne ferait que rappeler la réserve de l’abus de droit. En ce sens, elle serait nécessairement d'ordre public jurisprudentiel. A notre avis, la renonciation anticipée à la disproportion entre le coût et l'intérêt du créancier aboutirait à avaliser des exécutions économiquement onéreuses et non justifiées | |
1226 | Faculté de résolution unilatérale du contrat | Cette faculté a été admise par la jurisprudence antérieure pour des raisons impérieuses (Cass. com. 1-10-2013 : RJDA 2/14 n° 83). Elle est donc, à notre avis, d'ordre public. Elle permet à un cocontractant de se défaire du lien contractuel en cas de manquement grave | |
1227 | Faculté de demander la résolution judiciaire | A notre avis, le caractère d'ordre public du texte est inhérent à la formulation de la loi. La formule est catégorique et prévoit que la résolution peut en toute hypothèse être demandée en justice. Argument contraire : la jurisprudence considérait auparavant que les parties avaient la faculté de renoncer par avance à demander la résolution judiciaire (Cass. 3e civ. 3-11-2011). Le rapport au Président de la République affirme que le texte n'entend pas remettre en cause la jurisprudence validant les clauses de renonciation. Mais l'argument ne nous convainc pas, d'autant moins que la clause de renonciation anticipée porte atteinte au droit à avoir un recours effectif à la justice, reconnu par la jurisprudence comme étant un droit de l'Homme, affirmé par l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'Homme (Cass. 1e civ. 1-2-2005 n° 02-15.237 : Bull. civ. I n° 53) | |
1231-5 | Pouvoir du juge de réviser une clause pénale manifestement excessive | Ordre public résultant de la finalité de la loi | |
1245-14 | Les clauses qui visent à écarter ou à limiter la responsabilité du fait des produits défectueux sont interdites et réputées non écrites | Ordre public exprès : 1245-14 (clause contraire réputée non écrite) | |
1343-5 | Pouvoir du juge de reporter ou d’échelonner la date du paiement | Ordre public exprès : 1343-5 (clause contraire réputée non écrite) | |
1356 | Limites à la liberté des conventions sur la preuve | Ordre public exprès : 1356 (Interdiction des conventions contraires aux dispositions légales sur les présomptions irréfragables, l’aveu, ou le serment, ou des conventions créant une présomption irréfragable) | |
1363 | Interdiction de se constituer un titre à soi-même | Reprise d'un principe général du droit |
Pour en savoir plus sur cette question : voir le dossier "Contrat et ordre public" du Bulletin rapide de droit des affaires 18/06
Barthélemy MERCADAL, Agrégé de droit et Professeur émérite du CNAM