Dans deux affaires concernant des parents transgenres établis en Allemagne ayant donné naissance à un enfant après leur changement de sexe au plan juridique, la Cour européenne des droits de l’Homme statue sur les mentions relatives au parent transgenre sur l’acte de naissance de l’enfant.
1. La première affaire concerne une femme devenue homme et reconnue comme tel à l’état civil. Après avoir fait une pause dans son traitement hormonal, il redevient fertile, bénéficie d’un don de sperme et donne naissance à un garçon. Il demande au service de l’état civil de l’inscrire comme père « parce qu’il est de sexe masculin et qu’il a accouché de l’enfant ».
Les juridictions allemandes de première instance et d’appel ainsi que la Cour fédérale refusent et considèrent qu’il doit être inscrit en qualité de mère de l’enfant. Elles s’appuient notamment sur :
l’article 1591 du Code civil allemand selon lequel la mère d’un enfant est la personne qui lui a donné naissance ;
la loi relative au nom et au sexe des personnes transsexuelles (loi TSG) qui implique que le statut de la personne transsexuelle en tant que père ou mère doit rester inchangé, notamment aux fins de recherche de paternité et de l’action en recherche de paternité. De manière générale, la loi TSG vise à garantir que le statut juridique de mère ou de père de l’enfant, défini biologiquement par l’accouchement ou la fécondation, ne soit susceptible d’aucune modification, et ce, dans l’intérêt de l’enfant.
Le requérant et l’enfant saisissent alors la Cour européenne des droits de l’Homme pour violation du droit au respect de la vie privée et familiale, notamment la réalité de leurs liens familiaux « père-fils », et celui de jouir des droits et libertés sans distinction aucune, notamment de sexe (Conv. EDH art. 8 et 14).
La Cour européenne des droits de l’Homme estime que les juridictions allemandes ont ménagé un juste équilibre entre les droits du premier requérant, les intérêts du second, les considérations relatives au bien-être de l’enfant et les intérêts publics dès lors que :
le lien de filiation entre les requérants n’est pas mis en cause ;
le nombre de situations pouvant mener, lors de la présentation de l’acte de naissance de l’enfant, à la révélation de l’identité transgenre du parent reste limité puisqu’il est possible d’obtenir un acte de naissance dépourvu de toute mention du parent ;
la possibilité d’indiquer les anciens prénoms du parent, c’est-à-dire ses prénoms féminins, permet aussi d’éviter à l’enfant de révéler que son parent est transgenre ;
les autorités allemandes disposent en l’espèce d’une marge d’appréciation étendue pour la mise en œuvre de leurs obligations au titre de la Convention, le principe essentiel étant que, chaque fois que l’intérêt de l’enfant est en jeu, l’intérêt supérieur de celui-ci doit primer.
Au vu de ce qui précède, la Cour conclut qu’il n’y a pas eu violation de la convention européenne des droits de l’homme.
2. La seconde affaire concerne un couple dont l’un des membres est transgenre : née de sexe masculin, elle est reconnue à l’état civil comme femme. Par la suite, elle conçoit, avec ses gamètes mâles, un enfant dont accouche sa compagne. Ce parent homme devenu femme demande à être inscrit à l’état civil en qualité de mère en produisant une reconnaissance de maternité établie devant notaire avec le consentement de sa compagne. Mais l’officier d’état civil refuse d’inscrire cette reconnaissance, qu’il considère sans validité juridique : seule la compagne, mère biologique de l’enfant, est la mère légale. Essuyant des refus jusqu’à la Cour fédérale de justice, qui rappelle à l’occasion le sens de la loi TSG, les requérantes se tournent vers la Haute Juridiction de Strasbourg. Elles se fondent ici aussi sur les articles 8 et 14 de la Convention.
Dans les mêmes termes et selon les mêmes arguments que dans l’affaire précédente, la Cour européenne des droits de l’Homme juge qu’il n’y a pas eu violation de la convention européenne des droits de l’homme.
A noter :
Par ces décisions, la CEDH admet que les États fassent prévaloir, en matière de filiation, la réalité biologique sur l’identité de genre du parent traduite dans l’état civil. Elle leur reconnaît une large marge d’appréciation, l’aune de mesure étant, toujours, l’intérêt supérieur de l’enfant. En l’espèce, la Cour constate que le lien de filiation n’est pas mis en cause puisque la maternité du requérant dans le premier cas et la paternité de la demanderesse dans le second sont reconnues.
Quelle est la portée de ces décisions en France ? À l’instar du droit allemand, le droit français repose en matière de filiation « ordinaire » sur la réalité biologique (donc hors adoption, et cas des couples de femmes bénéficiant d’une PMA) :
- Il est admis que la femme qui accouche d’un enfant est sa mère. Certes, le Code civil ne le dit pas expressément. Il prévoit seulement que « la filiation est établie, à l’égard de la mère, par la désignation de celle-ci dans l’acte de naissance de l’enfant » (C. civ. art. 311-25). C’est que, jusqu’à récemment, l’identification de la mère ne posait pas de difficultés, état de fait qui se traduisait par l’adage « mater semper certa est ». La donne a été modifiée en 2016 lorsque le changement de sexe à l’état civil a été admis sans changement d’attribution sexuelle (C. civ. art. 61-5 issu de loi 2016-1547 du 18-11-2016). S’agissant de la reconnaissance maternelle, la Cour de cassation vient de préciser qu’« elle repose sur une présomption de conformité de la filiation ainsi établie à la réalité biologique et peut être contestée […] si la preuve contraire en est apportée » (Avis Cass. 1e civ. 5-4-2023 n° 22-70.018 FS-D : voir inf. 117) ;
- Pour ce qui est de la filiation paternelle, on sait que le mari est présumé père des enfants conçus ou nés durant le mariage (C. civ. art. 312), ce qui renvoie bien à une réalité biologique, réelle ou supposée. Quant à la reconnaissance faite par un homme, l’avis précité confirme qu’elle est censée traduire une réalité biologique.
Il faut en conclure que, au regard de la convention européenne des droits de l’homme, les juges français pourraient adopter la même position que leurs homologues allemands, d’autant que, en France également, la production d’un acte de naissance sans filiation est possible et que la Cour européenne des droits de l’Homme autorise l’usage des prénoms associés au sexe d’origine.
Toutefois, la cour d’appel de Toulouse a été plus loin en autorisant un père biologique, devenu femme à l’état civil, à faire reconnaître sa filiation maternelle à l’égard de l’enfant qu’il a eu avec son épouse (CA Toulouse 9-2-2022 n° 20/03128 : BPAT 2/22 inf. 69). Les juges ont notamment retenu que l’établissement d’une double filiation maternelle ne constitue pas un trouble à l’ordre public puisqu’une telle dualité est, depuis la loi bioéthique de 2021, admise (C. civ. art. 342-11 applicable aux couples de femmes qui recourent à une PMA et établissent une reconnaissance conjointe de l’enfant). La décision est devenue définitive faute de pourvoi du procureur général.
Certes, la Cour de cassation avait, avant renvoi de l’affaire devant la cour d’appel de Toulouse, censuré le premier arrêt d’appel ordonnant la transcription (Cass. 1e civ. 16-9-2020 n° 18-50.080 et 19-11.251 FS-PBRI : BPAT 6/20 inf. 185). Mais sa décision datait d’avant la loi bioéthique.
La décision de la CEDH conduira-t-elle la Cour de cassation à réaffirmer sa position de 2020 ? L’avenir le dira. On peut le supposer, à tout le moins au cas du parent transgenre qui accouche et demande à faire reconnaitre sa paternité, car, pour l’heure, la double filiation paternelle n’est pas possible en France, hors adoption. Le raisonnement de la cour d’appel de Toulouse ne semble donc pas transposable dans cette hypothèse.
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