Un homme de 62 ans agit avec sa mère en recherche de paternité. La cour d’appel déclare l’action irrecevable car prescrite. Il se pourvoit en cassation en avançant l’argument suivant : la prescription opposée, en ce qu’elle prive l’enfant de la possibilité de faire reconnaître son lien de filiation, n’est justifiée que pour autant qu’elle poursuit un but légitime de sécurité juridique et qu’elle ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée et familiale de l’enfant.
La Cour de cassation rejette le pourvoi. Sauf exception, les actions relatives à la filiation se prescrivent par 10 ans à compter du jour où la personne a été privée de l’état qu’elle réclame, ou a commencé à jouir de l’état qui lui est contesté ; à l’égard de l’enfant, ce délai est suspendu pendant sa minorité (C. civ. art. 321). Ainsi, le requérant pouvait agir jusqu’à ses 28 ans. Or, en l’espèce, ce dernier a agi à l’âge de 62 ans. De plus, la cour d’appel constate qu’à la suite d’une action de sa mère en déclaration de paternité, le tribunal de la Seine avait, en 1957, déclaré cette dernière irrecevable et condamné le prétendu père à lui verser des subsides jusqu’à la majorité de l’enfant. Le prétendu père s’acquittait de son obligation alimentaire au moyen de mandats postaux, dont les reçus faisaient apparaître ses coordonnées. Au vu des éléments produits et par une appréciation souveraine, la cour d’appel a estimé que le requérant ne justifiait d’aucune circonstance particulière rendant impossible l’établissement judiciaire de sa filiation dans le délai légal de prescription. Par suite, aucune atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale n’est caractérisée.
A noter :
Si l’impossibilité pour une personne de faire reconnaître son lien de filiation paternelle constitue une ingérence dans l’exercice du droit au respect de sa vie privée, cette ingérence est prévue par la loi qui définit les conditions de prescription des actions relatives à la filiation ; elle poursuit un but légitime en ce qu’elle tend à protéger les droits des tiers et la sécurité juridique (Cass. 1e civ. 7-11-2018 n° 17-25.938 F-PBI : BPAT 1/19 inf. 13 ; RTD civ. 2019 p. 89 obs. A.-M. Leroyer).
Cependant, il appartient au juge d’apprécier si concrètement, dans l’affaire qui lui est soumise, la mise en œuvre de ces délais légaux ne porte pas une atteinte disproportionnée à la vie privée de l’intéressé et, en particulier, si un juste équilibre est ménagé entre les intérêts publics et privés en jeu (même arrêt). Dans une affaire similaire à celle rapportée, il a été jugé qu’il n’y avait pas d’atteinte disproportionnée dès lors que (Cass. 1e civ. 9-11-2016 n° 15-25.068 FS-PBI : BPAT 6/16 inf. 215, D. 2017 p. 729 obs. F. Granet-Lambrechts) :
l'intéressé avait saisi la justice 31 ans après sa majorité ;
son action tendait à remettre en cause une situation stable depuis 50 ans ; elle portait ainsi atteinte à la sécurité juridique et à la stabilité des relations familiales, le père recherché étant âgé de 84 ans, marié et père d’une fille.
En l’espèce, le requérant avait agi plus de 44 ans après sa majorité et rien, au vu des preuves rapportées, n’empêchait l’intéressé de saisir la justice dans les 10 ans suivant sa majorité. Rappelons à cet égard que ce délai de 10 ans a été jugé raisonnable par la CEDH: il permet à chacun d'avoir suffisamment de temps, une fois atteint l'âge de la majorité, pour décider d'entamer ou non une procédure en reconnaissance de paternité tout en préservant dans le même temps la sécurité juridique pour le père présumé et sa famille (CEDH 3-10-2017 n° 72105/14 et 20415/15 Silva et Mondim Correia c/ Portugal : BPAT 1/18 inf. 16 ; CEDH 19-10-2021 n° 69997/17, L. c/ Suisse, dont les solutions sont transposables à la France).
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