La Cour de cassation rappelle, dans un arrêt promis à une large publication, l’aménagement de la charge de la preuve applicable en matière de harcèlement (C. trav. art. L 1154-1) et l’office des juges du fond dans la qualification de harcèlement moral. Cet arrêt, à visée pédagogique à l’égard des juges du travail, consacre en la matière un recul sous conditions du contrôle de la Cour de cassation.
Mode d’emploi des règles de preuve et de l’office du juge
La Cour de cassation indique que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge :
- d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, sans écarter les documents médicaux éventuellement produits ;
- d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral au sens de l’article L 1152-1 du Code du travail. Si c’est le cas, il doit apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et si ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Sous réserve de respecter ces conditions, contrôlées par la Cour de cassation, le juge apprécie souverainement si le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et si l’employeur prouve que les agissements invoqués sont étrangers à tout harcèlement.
Le contrôle de la Cour de cassation sur la qualification du harcèlement allégé
C’est la première fois, depuis les arrêts de 2008 par lesquels elle avait décidé de contrôler la qualification du harcèlement moral (Cass. soc. 24-9-2008 n° 06-45.579, 06-45.747, 06-43.504 : RJS 11/08 n° 1070), que la Cour de cassation reconnaît au juge du fond dans un attendu de principe un tel pouvoir souverain d’appréciation en matière de harcèlement. Jusqu’ici, il n’était officiellement admis que pour l’appréciation de la valeur et de la portée des éléments de preuve produits par le salarié (notamment Cass. soc. 11-2-2015 n° 13-26.198 ; Cass. soc. 13-1-2016 n° 14-10.599).
Il est vrai que, dans la plupart des décisions récentes, la Cour de cassation ne contrôlait déjà que la méthode suivie par les juges du fond, censurant des décisions qui :
- n’avaient pas examiné un élément invoqué (Cass. soc. 25-5-2016 n° 15-12.304) ;
- avaient examiné les éléments séparément au lieu de les apprécier dans leur ensemble (Cass. soc. 11-2-2015 n° 13-23.001 ; Cass. soc. 2-6- 2016 n° 15-11.414) ;
- n’avaient pas pris en compte un élément établi et de nature à faire présumer un harcèlement moral (Cass. soc. 2-6-2016 n° 15-12.361).
Il arrivait toutefois, y compris dans des décisions très récentes, que la Haute Juridiction exerce encore un contrôle renforcé, au moins sur l’erreur manifeste de qualification. Par exemple en censurant une décision au motif qu’il résultait des constatations de la cour d’appel que les éléments établis permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement (Cass. soc 2-7-2014 n° 13-10.979 : RJS 11/14 n° 766) ; ou encore en décidant que la cour d’appel avait pu déduire de ses constatations l’existence d'un tel harcèlement (Cass. soc. 2-3-2016 n° 14-23.684), ou en contrôlant la pertinence des justifications apportées par l’employeur ( Cass. soc. 20-1-2016 n° 14-20.541).
La décision du 8 juin marque clairement un allègement du contrôle des décisions des juges du fond par la Cour de cassation.
A noter : Un article du projet de loi Travail (pour un dernier état sur ce projet, voir La Quotidienne du 4 juillet 2016) adopté en première lecture à l’Assemblée nationale prévoit d’aligner les règles de preuve du harcèlement sur celles applicables en matière de discrimination. Ainsi, il s’agirait pour le salarié de simplement présenter des éléments laissant supposer l’existence d’un harcèlement moral et non plus d’établir des faits permettant de le présumer.
Pour en savoir plus : Mémento social nos 17070 s.