Deux concubins achètent un bien immobilier en indivision pour la nue-propriété, à concurrence de 38 % pour Monsieur et 62 % pour Madame, et en tontine pour l’usufruit. Monsieur finance l’acquisition de sa part au moyen d’un prêt garanti par un privilège de prêteur de deniers (PPD). Alors que les acquéreurs sont avertis par le notaire dans l’acte que le PPD sera pris sur l’immeuble entier, l’inscription n’est en réalité effectuée que sur la quote-part en nue-propriété de Monsieur et sur l’usufruit. Monsieur, artisan, est ensuite placé en liquidation judiciaire. Le prêteur, souhaitant réaliser l’immeuble, se trouve contraint de provoquer d’abord le partage de l’indivision. Il assigne alors en responsabilité le notaire pour ne pas avoir assuré l’efficacité de son acte.
La cour d’appel rejette ses demandes. L’arrêt est partiellement cassé par la Cour de cassation. D’un côté, la Haute juridiction approuve la cour d’appel d’avoir considéré que, en pareille situation, le PPD grève de plein droit la totalité de l’immeuble et qu’en conséquence, la banque, dans ses relations avec les emprunteurs, aurait pu poursuivre la vente forcée de l’immeuble sans engager une procédure préalable de partage et sans que puissent lui être opposés les démembrements de propriété convenus entre les acquéreurs. Le pourvoi de la banque est rejeté sur ce point.
Mais d’un autre côté, la Cour de cassation admet la responsabilité du notaire en raison de l’erreur réalisée dans l’inscription du PPD car, à l’égard des tiers, la banque apparaissait de ce fait comme créancier personnel de l’indivisaire emprunteur et non comme créancier de l’indivision. Ceci l’obligeait, en présence d’autres créanciers, à passer par une action préalable en partage. L’arrêt d’appel est cassé pour avoir retenu que le caractère restrictif de l’inscription litigieuse était sans incidence sur les droits que la banque tenait de son titre.
A noter : L’apport de l’arrêt est double. En droit civil tout d’abord, la doctrine indique de longue date qu’en cas d’acquisition par plusieurs indivisaires dont un seul emprunte, le PPD grève de plein droit l’immeuble entier. Certains arrêts sont parfois cités en ce sens, mais ils ne sont guère limpides (par exemple Cass. 1e civ. 6-11-2001 n° 98-20.518 FS-P : RTD civ. 2002 p. 150 chron. R. Perrot). Par le présent arrêt, c’est à notre connaissance la première fois que la jurisprudence fait sien ce principe de façon aussi claire. La cour lui donne un certain poids en l’énonçant en tête de l’attendu consacré à cette branche du moyen et en accordant une large publicité à l’arrêt. La présence d’un démembrement de propriété et d’une tontine n’est pas de nature à modifier la solution.
En droit de la publicité foncière ensuite, car tout ce qui a trait aux sûretés doit inévitablement être pris en compte au stade des formalités hypothécaires, et inversement tout ce qui est publié au fichier immobilier a nécessairement des conséquences sur l’efficacité des sûretés prévues. C’est l’erreur qu’a commise la cour d’appel en considérant que, quelles que soient ses modalités l’inscription prise était sans incidence sur les droits du créancier. La décision nous rappelle au contraire que les inscriptions hypothécaires n’ont d’intérêt que dans les rapports du créancier avec les tiers, et que ces rapports sont gouvernés avant tout par l’apparence créée par les formalités publiées au fichier immobilier. Or en l’espèce, l’inscription cantonnée à la quote-part de l’un des indivisaires rendait le créancier de l’indivision aux yeux des tiers simple créancier personnel de l’un des indivisaires, ce qui l’obligeait à passer par une procédure de partage qui, en droit civil, n’aurait pas dû s’imposer. C’est ce décalage entre les droits du créancier en droit civil et les droits – plus restreints – qu’il tenait de la publicité foncière, dus à une formalité mal réalisée, qui justifiait la responsabilité du notaire. L’arrêt ne peut donc qu’être approuvé.
En pratique : Cette responsabilité est d’autant plus regrettable que le dossier paraissait bien préparé. En effet, l’acte indiquait bien que l’inscription grèverait la totalité de l’immeuble. La discordance entre l’acte – ce qui était prévu – et le bordereau d’inscription – ce qui a été effectué – met en lumière l’impérieuse nécessité d’une bonne communication entre le rédacteur et le formaliste.
En fin de compte, l’arrêt rappelle que l’inscription hypothécaire, par ses conséquences au moment de la mise en œuvre des droits du créancier, n’est pas une simple formalité.
Muriel SUQUET-COZIC, diplômée notaire, chargée d’enseignement notarial