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Promesse de cession de droit au bail commercial : interview de Me Major

Maître Benjamin Major revient sur les conséquences pratiques d'un arrêt important rendu par la Cour de cassation qui estime que la clause contenant une condition qui porte sur un élément essentiel à la formation du contrat est réputée non écrite.


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La Cour de cassation a récemment jugé que la clause qui prévoit une condition portant sur un élément essentiel à la formation du contrat est réputée non écrite et que tel est le cas de celle soumettant la cession d’un bail commercial à la condition suspensive de l’obtention d’un nouveau bail par le cessionnaire (Cass. 3e civ. 22-10-2015 n° 14-20.096 : RJDA 1/16 n° 8). Me Major revient sur les conséquences pratiques cette importante décision.

Cet arrêt est-il une surprise ?

La décision a été rendue au visa de l’article 1168 du Code civil définissant la condition suspensive et non sur le fondement de dispositions relatives au statut des baux commerciaux. On peut dire qu’elle a surpris les commercialistes rédacteurs de cessions de droit au bail.

En effet, la condition suspensive subordonnant la cession à la signature d’un nouveau bail est très fréquemment insérée dans les promesses synallagmatiques de cession de droit au bail et ce depuis longtemps.

Cet arrêt a en outre été critiqué compte tenu du fait qu’il remet en cause la liberté contractuelle des parties et la sécurité juridique. Il porte un coup dur aux opérations de cession de droit au bail dont les prix ont fortement augmenté ces dernières années en raison de la pénurie de locaux commerciaux dans certaines zones.

Aucune juridiction n’avait jusqu’à présent, à ma connaissance, traité un cas similaire. Il n’en reste pas moins qu’aucune décision n’avait laissé entendre que cette condition suspensive insérée dans les promesses de cession de droit au bail devait être réputée non écrite.

La décision de la Cour de cassation, qui trouve son fondement dans des dispositions de droit civil, a moins surpris les civilistes. En effet, même si les dispositions du Code civil ne prévoient pas qu’une condition suspensive ne puisse porter sur un élément essentiel du contrat et qu’aucune jurisprudence n’avait érigé ce principe aussi clairement (N. Dissaux, « L’éradication des fausses conditions » : D. 2015 p. 2478), plusieurs décisions l’avaient laissé supposer (Cass. 3e civ. 18-6-1974 n° 73-13.324 : Bull. civ. III n° 256 : Cass. 3e civ. 7-2-2012 n° 10-27.939).

L’arrêt de la cour d’appel de Lyon devant qui l’affaire a été renvoyée est très attendu en ce qu’il dévoilera la condamnation que devra supporter le bénéficiaire de la promesse.

Quelle était l’utilité d’une condition suspensive insérée dans la promesse synallagmatique de cession de droit au bail prévoyant la signature d’un nouveau bail ?

Le bailleur n’a aucune obligation de conclure un nouveau bail avec le cessionnaire.

Or, conclure un nouveau bail est souvent essentiel pour le cessionnaire qui souhaite être lié avec le bailleur par un nouveau bail d’une durée de neuf ans comprenant des conditions contractuelles modifiées par rapport au bail en cours (loyer, charges, destination, etc.).

Comme constaté dans le cas d’espèce soumis à la Cour de cassation, où le locataire en place exerçait dans les locaux une activité de pressing et où le cessionnaire était une banque, l’activité du cessionnaire est pratiquement toujours différente de celle prévue dans le bail objet de la cession ; la conclusion d’un nouveau bail permet de la modifier, conformément à la volonté du cessionnaire.

Les praticiens avaient pris l’habitude d’insérer cette condition suspensive dans l’intérêt du cessionnaire afin que ce dernier ait la certitude que la cession ne pourra être effective qu’en cas de conclusion d’un nouveau bail à des conditions qu’il aura acceptées.

Cette condition suspensive offrait également au cessionnaire la certitude que, après la cession, le bailleur ne pourrait ni obtenir le déplafonnement du loyer lors du renouvellement au motif de la modification du contrat et des obligations des parties lors de la cession, ni refuser le renouvellement en application de l’article L 145-8 du Code de commerce si ladite cession intervenait moins de trois ans avant l’expiration du bail.

Enfin, si une clause de solidarité est insérée dans le bail, ses effets cessent en principe dès la fin du bail cédé. Ainsi, en ayant la certitude qu’un nouveau bail serait signé, le cédant savait qu’il ne serait pas solidaire du cessionnaire en cas de défaut du règlement du loyer ou d’inexécution des conditions du bail par ce dernier.

Quelles sont les conséquences de cet arrêt ?

La condition suspensive prévoyant la conclusion d’un nouveau bail à certaines conditions ne peut plus être insérée dans les promesses de cession de droit au bail ou, si elle l’est, n’a aucune valeur.

Cette condition suspensive est tellement ancrée dans la pratique que l’on constate que de nombreux cessionnaires, pourtant mis au fait de cette décision, souhaitent la conserver dans les promesses, le rédacteur d’acte ayant l’obligation de les mettre en garde à ce sujet.

Il doit tout de même être rappelé que cette décision n’interdit pas au cessionnaire de conclure un nouveau bail avec le bailleur s’il trouve un accord avec ce dernier.

Toutefois, il est clair que la cession ne peut plus être subordonnée à la conclusion d’un nouveau bail.

A court terme, pour les promesses comprenant cette condition suspensive qui sont en cours et qui n’ont pas été réitérées, il est probable que des cédants soient tentés d’entamer des contentieux en se fondant sur le principe érigé par la Cour de cassation dans son arrêt du 22 octobre 2015 pour obtenir la réitération de la cession.

Par ailleurs, dans le cadre des promesses synallagmatiques de cession de fonds de commerce dont fait souvent partie le droit au bail, cette condition suspensive de conclusion d’un nouveau bail est régulièrement intégrée. Même si le droit au bail n’est pas le seul élément constituant le fonds de commerce, il en est l’un des principaux éléments. Par conséquent, il est possible que la décision du 22 octobre 2015 s’applique également aux promesses de cession de fonds de commerce.

Quelles sont, selon vous, les alternatives à cette condition suspensive qui permettraient de protéger les intérêts des parties à la promesse de cession de droit au bail ?

Il n’est pas évident de déterminer une alternative efficace et sécurisante pour les deux parties. Les praticiens devront faire preuve d’imagination.

Première piste. On pourrait insérer au contrat une stipulation prévoyant que le cédant s’engage à se porter fort de la conclusion d’un nouveau bail en application de l’article 1120 du Code civil. Par cette promesse, le cédant s’engage à ce que le bailleur conclut un nouveau bail à des conditions déterminées et, ainsi, est tenu à une obligation de résultat vis-à-vis de son cocontractant.

Cette alternative qui crée des obligations à la charge des deux parties est a priori intéressante mais pourrait soulever des difficultés. En effet, si le bailleur - qui n’est pas lié par cette promesse - refuse de signer un nouveau bail, le cessionnaire aura en principe tout de même l’obligation d’acquérir le droit au bail et le cédant devra alors réparer le préjudice subi par son cocontractant.

Deuxième piste : insérer une condition suspensive subordonnant la cession à ce que le bailleur accepte d’entrer en pourparlers avec le cessionnaire en vue de la conclusion d’un nouveau bail. Cette solution est peu sécurisante pour le cessionnaire : si le bailleur accepte d’engager des pourparlers mais que les négociations n’aboutissent pas à la conclusion d’un nouveau bail, le droit au bail devra néanmoins être cédé.

Une autre piste, plus sécurisante pour les parties, serait que le bailleur donne son accord pour un nouveau bail à des conditions déterminées et ce, préalablement à la conclusion de la promesse de cession de droit au bail ou dans le même acte.

En pratique, cette solution sera difficile à mettre en œuvre et retarderait sensiblement la conclusion de la promesse, la négociation avec le bailleur visant à conclure un nouveau bail étant souvent longue.

En tout état de cause et compte tenu des incertitudes relatives au nouveau bail, il est indispensable pour le cessionnaire que soit insérée au sein de la promesse de cession de droit au bail une condition suspensive subordonnant la cession à :

- l’accord du bailleur sur le fait que le cessionnaire puisse exploiter dans les locaux son activité ;

- la renonciation du bailleur à solliciter le déplafonnement du loyer en cas de renouvellement au motif de la modification de la destination contractuelle ;

- la renonciation du bailleur à refuser le renouvellement en application de l’article L 145-8 du Code de commerce si la cession intervient moins de trois ans avant l’expiration du bail.

Par ailleurs, il est recommandé, cette fois au cédant, d’exiger l’insertion d’une condition suspensive subordonnant la cession à la renonciation du bailleur à toute solidarité entre le cédant et le cessionnaire, si une clause de solidarité est prévue dans le bail.

Toutefois, au regard de la décision du 22 octobre 2015, nous ne sommes pas à l’abri, même si ces conditions sont différentes de celle subordonnant la cession à la conclusion d’un nouveau bail, qu’il soit considéré qu’elles portent sur un élément essentiel à la formation du contrat et doivent donc être réputées non écrites.

Ainsi et compte tenu des incertitudes créées par l’arrêt du 22 octobre 2015, il est opportun qu’une clause de dédit soit stipulée dans la promesse synallagmatique de cession de droit au bail. Cette clause permettra aux parties de pouvoir refuser, le cas échéant, la cession moyennant une indemnité déterminée.

Benjamin MAJOR est avocat au barreau de Paris et exerce au sein du cabinet CHATAIN & ASSOCIES. Il intervient dans le domaine du droit immobilier et plus particulièrement celui des baux commerciaux.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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