Litige sur le nombre d’établissements : le juge judiciaire est compétent depuis le 10-8-2016
Pour l’élection du comité d’entreprise, la détermination des établissements distincts relevait des négociations relatives au protocole préélectoral. À défaut d’accord, et si au moins un syndicat avait répondu à l’invitation à négocier de l’employeur, c’était l’autorité administrative, en l’occurrence la Direccte, qui était compétente pour se prononcer sur la qualité d’établissement distinct (C. trav. art. L 2322-5 ancien, al. 1).
Jusqu’à la loi 2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite loi Travail, les recours à l’encontre d’une telle décision administrative relevaient de la compétence du juge administratif. Cette loi, entrée en vigueur le 10 août 2016, a donné compétence au juge judiciaire pour statuer sur ces contestations (C. trav. art. L 2322-5 ancien, al. 4).
À noter : Concernant l’élection du comité social et économique (CSE), la qualité d’établissement distinct est reconnue par un accord d’entreprise, par un accord entre l’employeur et le CSE ou par une décision unilatérale de l’employeur. En cas de litige sur la décision de l’employeur, le nombre et le périmètre des établissements distincts sont fixés par l’autorité administrative. Les recours contre cette décision relèvent de la compétence du juge judiciaire (C. trav. art. L 2313-5).
Dans cette affaire, la Direccte, saisie pour déterminer le nombre et le périmètre des établissements distincts d’une entreprise, a, dans une décision du 30 juillet 2015, décidé que la société devait être regardée comme un seul établissement pour les élections du comité d’entreprise. Plusieurs syndicats ont saisi la juridiction judiciaire pour faire annuler cette décision. Le tribunal d’instance a constaté son incompétence et renvoyé les parties à mieux se pourvoir. Le pourvoi formé contre ce jugement a été rejeté par la Cour de cassation dans un arrêt du 1er février 2017. Celle-ci a en effet décidé que les dispositions légales donnant compétence au juge judiciaire pour statuer sur la contestation de certaines décisions de l’autorité administrative ne pouvaient pas s’appliquer au recours formé contre une décision rendue avant leur entrée en vigueur (Cass. soc. 1-2-2017 no 16-60.062 F-PB : RJS 4/17 no 278).
Les parties ont alors saisi la juridiction administrative, qui a rejeté leur requête comme portée devant une juridiction incompétente pour en connaître. La cour administrative d’appel a renvoyé au Tribunal des conflits le soin de trancher la question de compétence.
Cette compétence s’applique aux recours introduits avant cette date
Le Tribunal des conflits considère que les dispositions légales transférant du juge administratif au juge judiciaire la compétence en matière de contentieux de la détermination du nombre et du périmètre des établissements distincts pour l’élection du comité d’entreprise s’appliquent immédiatement, y compris aux recours introduits avant leur entrée en vigueur.
Selon lui, si le droit de former un recours contre une décision est définitivement fixé au jour où celle-ci est rendue, les règles régissant les formes dans lesquelles le recours doit être introduit et jugé, y compris celles relatives à la compétence des juridictions, ne sont pas, contrairement aux voies et aux délais de recours, des éléments constitutifs de ce droit. Le Tribunal des conflits en déduit que, à moins qu’une disposition expresse y fasse obstacle, un texte modifiant les règles déterminant la juridiction compétente s’applique, dès son entrée en vigueur, aux recours introduits avant cette date.
Ainsi, il décide que le transfert de compétence précité ne portait pas en lui-même atteinte à la substance du droit au recours des parties intéressées et que, dès lors, il s’appliquait au recours formé contre la décision administrative prise le 30 juillet 2015, de sorte qu’il appartenait à la juridiction judiciaire de connaître du litige.
À noter : Le Tribunal des conflits rappelle dans cette décision une position qui était, jusqu’à l’arrêt de la Cour de cassation du 1er février 2017 précité, partagée par les deux ordres de juridiction. En effet, tant la Cour de cassation que le Conseil d’État avaient déjà jugé qu’un texte modifiant les règles qui déterminent la juridiction compétente s’applique dès son entrée en vigueur aux recours introduits avant cette date, sauf si une disposition expresse y fait obstacle (Cass. avis 29-11-1993 no 93-2016 ; CE 26-1-2015 no 373715 ; Communiqué du Tribunal des conflits relatif à la décision du 2-7-2018 no 4123).
Avant de transférer, dans la loi Travail, le contentieux de la détermination des établissements distincts pour l’élection du comité d’entreprise au juge judiciaire, le législateur avait déjà transféré à ce même juge, dans la loi 2015-990 du 6 août 2015 dite loi Macron, le contentieux de certaines autres décisions administratives préélectorales (détermination des établissements distincts pour l’élection des délégués du personnel, répartition du personnel et des sièges entre collèges électoraux, autorisation de déroger aux conditions légales d’ancienneté pour être électeur ou éligible...).
La décision du Tribunal des conflits vaut également pour tous ces autres cas de transfert du contentieux des décisions administratives préélectorales du juge administratif au juge judiciaire.
Oriane TRAORE