1. En vertu de certains textes, ou même d’une simple pratique, les autorités de régulation - telles l’Autorité des marchés financiers (AMF), la Commission nationale informatique et liberté (Cnil) ou l’Autorité de la concurrence - utilisent des instruments (avis, recommandations, prises de position, etc.) qui, sans avoir le caractère d’actes contraignants pour leurs destinataires, visent à orienter le comportement des opérateurs.
Statuant dans sa plus haute formation juridictionnelle, l’Assemblée du contentieux, le Conseil d’Etat a récemment été saisi de recours en annulation contre des actes relevant de cette catégorie, considérée comme relevant du « droit souple » (formule qui équivaut à l’expression anglo-saxonne de « soft law »). Deux affaires lui en ont fourni l'occasion.
Les affaires
2. Dans la première, une société allemande a demandé l’annulation pour excès de pouvoirs de « communiqués » que l’AMF avait mis en ligne sur son site dans la rubrique « mise en garde ». L’Autorité y attirait l’attention des épargnants sur l’activité de cette société qui commercialisait en France des produits non soumis à la réglementation des titres financiers par l’intermédiaire de conseils en gestion du patrimoine ; elle soulignait que la société n’était pas autorisée à fournir en France des services d’investissement ou des conseils en investissement financier, ni habilitée à se livrer à une activité de démarchage financier ; elle invitait ensuite les épargnants à faire preuve de vigilance vis-à-vis des placements ainsi proposés.
La seconde affaire concernait l’exécution de la décision par laquelle l’Autorité de la concurrence avait autorisé en 2012 le rachat de TPS et CanalSatellite par Vivendi et le Groupe Canal Plus sous certaines conditions. L’une d’elles, dite « injonction 5 (a) », suscitait des difficultés d’application à la suite de l’évolution du cadre concurrentiel sur le marché des services de télévision, du fait du rachat de SFR par Numericable. Le Groupe Canal Plus avait alors interrogé l’Autorité de la concurrence sur la portée qu’il convenait de donner à cette « injonction 5 (a) » et celle-ci avait répondu qu’elle estimait que, de fait, une des obligations en résultant était devenue sans objet. La société Numericable a attaqué cette prise de position de l’Autorité de la concurrence.
Les décisions du Conseil d’Etat
3. Dans deux arrêts statuant sur chacune des affaires, le Conseil d’Etat affirme que les avis, recommandations, mises en garde et prises de position adoptés par les autorités de régulation dans l’exercice des missions dont elles sont investies sont susceptibles d’un recours pour excès de pouvoir dans deux cas :
- tout d’abord, conformément à une jurisprudence antérieure, lorsqu’ils revêtent le caractère de dispositions générales et impératives, ou encore, lorsqu’ils énoncent des prescriptions dont ces autorités pourraient ultérieurement censurer la méconnaissance ;
- ensuite, et la solution est nouvelle, lorsqu’ils risquent de produire des effets notables, notamment de nature économique, ou lorsqu’ils ont pour objet d’influer de manière significative sur les comportements des personnes auxquelles ils s’adressent ; encore faut-il que l’auteur du recours justifie d’un intérêt direct et certain à l’annulation des actes en cause.
Au regard de ces critères, le Conseil d’Etat juge que les deux actes contestés peuvent faire l’objet d’un recours en annulation. Il rejette néanmoins les recours. L’AMF est bien compétente, dans sa mission de régulation, pour adresser des mises en garde aux épargnants et elle n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation. De même, l’Autorité de la concurrence est compétente pour veiller à la bonne exécution de ses décisions et elle a respecté les droits de la défense de la société Numericable dans la procédure suivie pour édicter sa prise de position.
Pour en savoir plus sur la notion de droit souple : voir l'Etude annuelle 2013 du Conseil d'Etat.