Deux décisions récentes du Conseil d’Etat ont jugé conforme à la directive TVA l’application de la TVA sur la marge aux cessions de terrains à bâtir à des particuliers réalisées par des lotisseurs. Toutefois, la conformité à la directive TVA de ce régime, antérieur à la loi 2010-237 du 9 mars 2010, n’est pas évidente lorsque l’acquisition n’a pas été soumise à TVA. A cet égard, on peut se demander si la doctrine de l’administration relative au nouveau régime ne pourrait pas conduire à une exonération des opérations réalisées avant le 11 mars 2010. Il pourrait en être de même dans le cas où des travaux d’aménagement et de viabilisation ont été réalisés avant la revente.
1. Le régime de TVA applicable aux ventes de terrains est un domaine où les directives de 1977 et de 2006 laissent le plus de latitude aux Etats membres.
Aux termes de l’article 12 de la directive 2006/112/CE en date du 28 novembre 2006 : « 1. Les Etats membres peuvent considérer comme assujetti quiconque effectue, à titre occasionnel, une opération relevant des activités visées à l’article 9, paragraphe 1, deuxième alinéa, et notamment une seule des opérations suivantes: /(…)/b) la livraison d’un terrain à bâtir. /(…)/3. Aux fins du paragraphe 1 point b), sont considérés comme « terrains à bâtir », les terrains nus ou aménagés, définis comme tels par les Etats membres » ; aux termes de l’article 135 de la directive précitée : « 1. Les Etats membres exonèrent les opérations suivantes /(…)/k) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b) » ; l’article 137 de la même directive dispose que « 1. Les Etats membres peuvent accorder à leurs assujettis le droit d’opter pour la taxation des opérations suivantes : /(…)/c) les livraisons de biens immeubles non bâtis autres que celles des terrains à bâtir visés à l’article 12, paragraphe 1, point b) » et aux termes de l’article 392 de cette directive : « Les Etats membres peuvent prévoir que, pour les livraisons de bâtiments et de terrains à bâtir achetés en vue de la revente par un assujetti qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition, la base d’imposition est constituée par la différence entre le prix de vente et le prix d’achat ».
2. En France, la législation sur la TVA applicable aux biens immobiliers trouve sa source dans les articles 27 de la loi 63-254 du 15 mars 1963 et 24 de la loi 66-10 du 6 janvier 1966, qui ont distingué les opérations de production et de livraisons d’immeubles neufs qui relevaient de la TVA sur le prix total de vente (articles 257,7° et 266 du CGI), et les opérations d’achat-revente d’immeubles en l’état par les marchands de biens, soumises à la TVA sur marge (articles 257,6° et 268 du même Code).
Ainsi, aux termes de l’article 27 de la loi 63-254 du 15 mars 1963, les cessions de terrains à bâtir ainsi que les opérations de lotissement relevaient de la TVA immobilière de l’article 257,7° du CGI en tant que premiers actes de production d’un immeuble neuf, la TVA s’appliquant au prix total de vente quelle que soit la qualité du vendeur, professionnel ou particulier. L’article 24 de la loi 66-10 du 6 janvier 1966 excluait d’ailleurs expressément du régime de la TVA sur marge des marchands de biens les cessions entrant dans le champ d’application de l’article 27 de la loi du 15 mars 1963.
Ce régime (1) fonctionnait sans grandes péripéties jusqu’à ce que, sur proposition du groupe communiste de l’Assemblée nationale, le Parlement, par l’article 40 de la loi de finances pour 1999, prévoie que les dispositions de l’article 257,7° du CGI ne s’appliqueraient plus aux ventes de terrains à bâtir effectuées au profit de personnes physiques lorsqu’elles entendaient y construire des immeubles d’habitation.
Il résulte des débats en première lecture à l’Assemblée nationale que l’intention originelle des parlementaires était de créer une exonération de TVA totale sur ces ventes de terrains aux particuliers, afin de faire baisser le prix de revient des logements. Mais, la nature fiscale ayant horreur du vide, dès l’examen au Sénat le gouvernement a indiqué que la TVA sur marge serait applicable aux ventes effectuées par les marchands de biens et les lotisseurs, et l’administration fiscale a immédiatement précisé que les ventes de terrains réalisées par ces professionnels devenaient passibles de la TVA sur marge (Inst. du 24-6-1999, 8 A-6-99).
L’intention du législateur était louable, mais a déstabilisé l’édifice législatif en retirant du champ d’application de la TVA immobilière les ventes de terrains aux particuliers alors qu’elles s’inséraient dans le cycle de production d’un immeuble neuf. De plus, comme l’article 257,6° relatif aux marchands de biens et lotisseurs ne s’appliquait que « sous réserve de l’article 257,7° », ces professionnels ont contesté être redevables de la TVA sur marge, ce qui a donné lieu à de multiples contentieux, ayant pour épilogue les arrêts du Conseil d'Etat du 27 mars 2015 et du 10 mars 2017.
3. Sur le plan juridique, constitue un lotissement, toute division d'une unité foncière (ou de plusieurs unités foncières contiguës), ayant pour objet de créer un ou plusieurs lots destinés à être bâtis. Ce régime se caractérise donc par deux éléments principaux, la division d’un ou de plusieurs terrains, dont les lots sont acquis par des personnes ayant l’intention de les bâtir. Toutefois, coexistent au sein d’une catégorie juridique unique, le lotissement, des opérations de natures différentes, certaines recourant à la réalisation de travaux de viabilisation et d’aménagement importants, d’autres se limitant à une simple division juridique des terrains.
Commençons par examiner le cas des lotisseurs ne réalisant pas de travaux d’aménagement et de viabilisation
4. Le régime de TVA des lotisseurs, qui était à peu près inconnu de la jurisprudence, a fait l’objet des arrêts du 27 mars 2015 et du 10 mars 2017, mais également de quatre réponses ministérielles.
5. Dans les affaires jugées par le Conseil d’Etat le 27 mars 2015, les requérants prenant acte de l’exclusion du régime de la TVA immobilière des cessions de terrains à bâtir aux personnes physiques en vue de la construction d’immeubles affectés à un usage d’habitation, considéraient ne pas être du tout imposables à la TVA.
Le Conseil d'Etat ne les a pas suivis et, donnant raison à l’administration, a jugé que « les dispositions du 7° de l'article 257 du CGI prévoyant que ce 7° n'était pas applicable aux cessions de terrains acquis par des personnes physiques en vue de la construction d'immeubles que ces personnes affectent à un usage d'habitation n'étaient incompatibles avec la directive du 17 mai 1977 et avec la directive du 28 novembre 2006 qu'en tant qu'elles aboutissaient à faire échapper entièrement à cette taxe les opérations en cause, dès lors qu'en application des dispositions combinées de l'article 13 B, h) et de l'article 2 de la première puis de l'article 135 § 1, point k) et de l'article 2 de la seconde, toute livraison de terrains à bâtir réalisée à titre onéreux par un assujetti agissant en tant que tel doit être soumise à la TVA ».
Ainsi, compte tenu de la subsidiarité du régime de la taxation sur la marge prévu pour les marchands de biens en 1966, le juge de l'impôt a dû rechercher si ce régime était lui-même compatible avec le droit communautaire en dépit de l'exclusion des opérations de cession de terrains à bâtir du champ d’application de la TVA immobilière. Toutefois, la directive ne prévoyant pas de possibilité d’exonération de TVA pour les terrains à bâtir, le Conseil d’Etat a donc jugé que l’article 40 de la loi de finances pour 1999 ne pouvait être interprété comme instaurant une absence de taxation des cessions de terrains aux particuliers désireux d’y construire un immeuble d’habitation (2).
6. Dans l’affaire jugée le 10 mars 2017, la requérante invoquait également la non-conformité à la directive TVA de l’article 268 du CGI en ce qu’il soumettait les ventes de terrain à bâtir aux particuliers réalisées par les marchands de biens et lotisseurs au régime de la marge. Or, selon la requérante, il découlait de l’article 392 de la directive que ce régime n’est applicable que lorsque le vendeur a été privé de droits à déduction lors de son acquisition, ce qui excluait les acquisitions exonérées de TVA. En d’autres termes, le jeu de l’article 392 supposait, selon la requérante, que le marchand de biens supporte une rémanence de TVA au titre de son acquisition, due à une exclusion du droit à déduction, ce qui n’était pas le cas des acquisitions effectuées en exemption de TVA auprès de non-assujettis ou de collectivités locales bénéficiant de l’exonération de l’ancien article 261,5° du CGI.
7. Le Conseil d’Etat rejette cette argumentation fondée sur les conditions d’acquisition des terrains. La conformité de l’article 257,6° du CGI à la directive TVA n’est pourtant pas avérée.
En effet, si la version française manque de précision en se référant à la revente par un assujetti « qui n’a pas eu droit à déduction à l’occasion de l’acquisition », la version anglaise du même article indique de manière explicite que le régime de la marge s’applique lorsque le vendeur n’avait pas pu déduire la TVA afférente à l’acquisition : « Member States may provide that, in respect of the supply of buildings and building land purchased for the purpose of resale by a taxable person for whom the VAT on the purchase was not deductible, the taxable amount shall be the difference between the selling price and the purchase price. »
Il ressort de cette version linguistique que le régime de la TVA sur marge ne serait applicable que lorsque le revendeur a supporté de la TVA sur l’acquisition d’un terrain à bâtir, qu’il n’a pas pu déduire.
La précision apportée par la version anglaise paraît d’ailleurs en phase avec l’arrêt du 3 mars 2011 de la CJUE rendu à propos du régime de la marge appliquée aux biens d’occasion (CJUE 3-3-2011 aff. 203/10 : RJF 5/11 n° 667), selon lequel :
« 48. Taxer, sur l'ensemble de son prix, la livraison d'un bien d'occasion par un assujetti-revendeur, alors que le prix auquel ce dernier a acquis ce bien incorpore un montant de TVA qui a été acquitté en amont par une personne relevant de l'une des catégories identifiées à l'article 314, sous a) à d), de ladite directive, et que ni cette personne ni l'assujetti-revendeur n'a été en mesure de déduire, entraînerait, en effet, une telle double imposition (voir, en ce sens, arrêts précités Stenholmen, point 25, et Jyske Finans, point 38).
49. Toutefois, lorsqu'un assujetti-revendeur revend, pour les besoins de ses opérations taxées, des biens, tels que ceux en cause au principal, qu'il a lui-même importés, en étant soumis au régime normal de la TVA, dans l'Etat membre dans lequel il effectue ces opérations, et qu'il est ainsi en droit, en vertu de l'article 168, sous d), de la directive 2006/112, de déduire la TVA due ou acquittée pour ces biens importés, il n'existe, ainsi que le souligne la Commission, aucun risque de double imposition qui puisse justifier l'application du régime dérogatoire de la marge bénéficiaire. »
Comme le rappelle la Cour de justice, l'objectif du régime de la TVA sur la marge est d'éviter la double imposition à la TVA d'un bien d'occasion lorsque celui-ci incorpore une taxe que ni l'assujetti-revendeur ni la personne auprès de laquelle il l’a acquis ne sont en mesure de déduire.
8. Il ne s’agit certes que d’un raisonnement par analogie, mais il conduit à considérer que le régime de la TVA sur marge de l’article 392 de la directive ne s’applique aux terrains à bâtir que si le vendeur n’a pas été en mesure de récupérer la TVA ayant grevé son acquisition, ce qui pouvait être le cas en France, l’ancien article 231 de l’annexe II au CGI précisant que : « Les marchands de biens et les personnes qui réalisent les opérations visées à l'article 35 du Code général des impôts ne peuvent pas déduire la taxe sur la valeur ajoutée qui a grevé les sommes qu'elles ont versées pour l'acquisition des immeubles, fonds de commerce, actions ou parts de sociétés immobilières. »
Les affaires jugées par le Conseil d’Etat en 2015 et 2017 ont trait à la période antérieure à l’article 16 de la loi 2010-237 de finances rectificative pour 2010 du 9 mars 2010, qui a réformé le régime de TVA applicable à l’immobilier. Qu’en est-il aujourd’hui ?
9. L'incompatibilité avec la directive du 28 novembre 2006 de l'article 257,7° du CGI, en ce qu’il prévoyait une exonération de TVA des cessions de terrains acquis par des particuliers en vue de la construction d'immeubles affectés à un usage d'habitation a justifié l'adoption de la loi du 9 mars 2010 après que la Commission européenne a mis en cause ce régime par un avis motivé du 23 novembre 2009.
10. La loi du 9 mars 2010 a également supprimé le régime spécifique de la marge des marchands de biens antérieurement prévu par l’article 257,6° du CGI. En application de l’article 268 du CGI, sont désormais passibles de la TVA sur marge non pas les seuls marchands de biens et lotisseurs, mais tous les assujettis vendant un terrain à bâtir ou un immeuble bâti pour lequel ils n’ont pas eu de droit à déduction.
Cette dernière disposition appelle deux commentaires de notre part.
Il est tout d’abord manifeste que l’article 268 du CGI issu de la loi du 9 mars 2010 opère une transposition incomplète de l’article 392 de la directive en prévoyant l’application de la TVA sur marge à toutes les cessions de terrains à bâtir et de bâtiments par un assujetti n’ayant pas eu droit à déduction, alors que la directive ne permet d’appliquer le régime de la marge qu’aux « achats en vue de la revente ». Les cessions de terrains et d’immeubles immobilisés ne devraient donc pas ressortir de ce régime.
En second lieu, il est piquant de constater que l’administration fiscale a totalement modifié l’interprétation des articles 392 de la directive et 268 du CGI qu’elle faisait prévaloir dans les affaires jugées en 2015 et 2017, à l’occasion de quatre réponses ministérielles publiées en août et septembre 2016 (3).
Elle y précise en effet que le régime de la TVA sur marge étant dérogatoire au principe selon lequel la TVA est calculée sur le prix total suppose nécessairement que le bien revendu soit identique au bien acquis quant à ses caractéristiques physiques et sa qualification juridique. En cas de division parcellaire intervenue entre l'acquisition initiale et la cession ayant entraîné un changement de qualification ou un changement physique telle une modification des superficies vendues par rapport à l'acte d'acquisition, la taxation doit se faire sur le prix de vente total en application des articles 266 et 267 du CGI. En revanche, lorsque la division parcellaire est antérieure à l'acte d'acquisition initial ou qu'un document d'arpentage a été établi pour les besoins de la cession permettant d'identifier les différentes parcelles dans l'acte, l'administration fiscale considère que la taxation sur la marge s'applique dès lors qu'aucun changement physique ou de qualification juridique des parcelles cédées n'est intervenu avant la revente.
11. Ainsi, selon l'administration, il faut une identité parfaite, tant en termes de qualification qu'en termes de caractéristiques physiques, entre le bien acquis et le bien vendu pour appliquer la taxation sur la marge.
Dans les contentieux restant en cours pour la période antérieure à loi du 9 mars 2010, ce raisonnement devrait nécessairement conduire l’administration à constater que les ventes issues d’un lotissement ne sont jamais passibles de la TVA sur marge.
Régime de TVA des lotisseurs réalisant des travaux d’aménagement et de viabilisation
12. Dans les arrêts du Conseil d’Etat du 27 mars 2015 et 10 mars 2017, il semble que les lotisseurs ne soutenaient pas avoir réalisé de travaux avant la revente. Or cette question nous paraît avoir une incidence sur le régime de TVA applicable au moment de la revente des terrains.
En effet, les situations sont diverses, et selon les cas les lotisseurs peuvent revendre les terrains après une simple division parcellaire, ou bien après avoir réalisé les travaux d’équipements nécessaires à la desserte des constructions (voies de circulation, trottoirs, système d’éclairage…) et à l'usage de ses habitants (réseaux de distribution d’eau, de gaz, d’électricité, de télécommunication, d’assainissement, d’évacuation des eaux pluviales et des eaux usées, mais également les murs de soutènement retenant la terre et les murets de séparation des terrains…).
13. Certes, l’article 12 de la directive de 2006 précise que sont considérés comme terrains à bâtir les terrains nus ou aménagés définis comme tels par les Etats membres. Mais le régime de la TVA sur marge ne semble applicable qu’aux terrains revendus en l’état.
Il faut revenir à l’analyse faite par le Conseil d’Etat dans l’affaire SCI Le Mallory du 13 mars 1996 n° 112391 (RJF 5/96 n° 571, concl. J. Arrighi de Casanova BDCF 3/96 p. 20), rendu sous l’empire de l’ancien régime de TVA immobilière. Dans cette affaire les ventes réalisées portaient sur des immeubles achevés depuis plus de cinq ans et ne relevaient donc plus du régime de l'article 257,7° du CGI. La Haute Assemblée juge que dans ce cas les dispositions de l'article 257,6° du CGI ne sauraient s'appliquer à titre subsidiaire car il résulte tant des travaux préparatoires de la loi du 6 janvier 1966 que des règles d'assiette définies en ce cas par l'article 268 du CGI, que l'article 257,6° ne peut s'appliquer qu'aux « opérations d’achat et de revente, en l’état, d’immeubles qui procurent aux personnes s'y livrant à titre habituel des profits auxquels l'article 35, I-1°, premier alinéa, du CGI attribue le caractère de bénéfices industriels et commerciaux ; qu'en vertu du 2 de l'article 24 de la loi du 6 janvier 1966, le régime d'imposition à la TVA prévu par les dispositions reprises à l'article 257,6° du CGI n'est pas applicable aux opérations concourant à la production ou à la livraison d'immeubles.
Il résulte donc de cet arrêt qu’un immeuble issu d’une opération de production d’immeuble qui est achevé depuis plus de cinq ans, sort du champ d’application de la TVA immobilière (article 257,7°), mais ne relève pas pour autant du champ d’application de l’article 257,6°, car cette disposition ne vise que les achats-reventes de biens « en l’état ».
14. Dès lors, la question est de savoir si la réalisation des équipements d’un lotissement relève d’une opération de construction.
Sur ce point, la doctrine de l’administration (D. adm. 8 A-111 n° 2, du 15-11-2001) précisait :
« Définition des immeubles visés par l’article 257,7° du CGI.
Le terme d’immeubles doit être pris dans un sens très large. Il vise en effet :
- les bâtiments construits en surélévation ou en sous-sol,
- les ouvrages incorporés au sol et constituant des immeubles tels que : routes, tunnels, digues, barrages, pylônes électriques, conduites d’eau ou de gaz, parcs de stationnement, murs de clôture, constructions industrielles diverses, etc. »
Actuellement la doctrine administrative est toujours fixée dans le même sens, puisque l’instruction publiée au BOI-TVA-IMM-10-10-10-20 n° 30 précise que les routes, conduites d’eau et de gaz, les pylônes ainsi que les lignes électriques sont des bâtiments au sens de la TVA :
« A cet égard, le terme « construction » tel que visé au 1° du 2 du I de l'article 257 du CGI doit être entendu au sens large de « construction incorporée au sol », c'est-à-dire de « bâtiment » tel que défini par le 2 de l'article 12 de la directive 2006/112/CE du 28 novembre 2006 relative au système commun de la TVA, ce qui inclut notamment les routes, voies ferrées, ponts, tunnels, digues, barrages, pylônes, lignes électriques, conduites d'eau ou de gaz, parcs de stationnement, murs de clôture, constructions industrielles diverses, etc. »
Enfin, s’agissant du droit européen, il est intéressant de relever que le 12e considérant du règlement d’exécution 1042/2013 du Conseil (4) , précise : « Afin de garantir un traitement fiscal uniforme des prestations de services se rattachant à un bien immeuble, il y a lieu de définir la notion de bien immeuble.»
Ce règlement modifie le règlement d’exécution 282/2011 et, en matière de territorialité, arrête la définition des prestations de services se rattachant à un bien immeuble. Selon l’article 31 bis-1 il s’agit de celles qui « ont pour objet de modifier le statut juridique ou les caractéristiques physiques dudit bien », et cet article indique que tel est notamment le cas de « la construction de structures permanentes sur un terrain, ainsi que les travaux de construction et de démolition exécutés sur des structures permanentes telles que les réseaux de canalisations pour le gaz et l’eau, les égouts et les structures similaires ».
Il apparaît ainsi que le droit européen qualifie de « constructions », pour l’application de la directive TVA de 2006, les travaux de pose de réseaux de canalisations, et que ces travaux ont pour effet de modifier les caractéristiques physiques du bien sur lequel ils sont effectués.
15. Ces éléments confortent la position de l’administration exprimée dans les réponses ministérielles de 2016, selon laquelle la division parcellaire entraîne une modification du statut juridique du terrain, et les travaux de réalisation des VRD une modification de ses caractéristiques physiques. Si l’on combine ces éléments avec la jurisprudence SCI Le Mallory, cela devrait conduire à considérer qu’avant le 11 mars 2010 les ventes de terrains lotis ayant fait l’objet de VRD ne pouvaient relever de l’article 257,6° du CGI.
16. Le régime de TVA des lotisseurs se trouve au carrefour de la production d’immeubles et de l’activité de marchand de biens. Ainsi que l’écrivait La Fontaine dans La Chauve-souris et les Deux Belettes : « Je suis Oiseau : voyez mes ailes (…) Je suis Souris : vivent les Rats ! »
(1) Il avait bien sûr fait l’objet de quelques retouches. Ainsi, les terrains à bâtir étaient au départ uniquement caractérisés par l’intention exprimée par l’acquéreur de construire. L’article 10 de la loi du 26 juillet 1991 portant DDOEF avait ajouté à l’article 257,7° que sont également des terrains à bâtir ceux pour lesquels les acquéreurs auront; dans les quatre ans de leur acquisition, obtenu un permis de construire ou commencé des travaux de construction. Par ailleurs, il avait été prévu que la délivrance du permis de construire marquait le point de départ du délai de reprise de l’administration fiscale pour la TVA. Au titre des changements intervenus, nous pouvons également citer la suppression du taux de TVA de 13%, spécifique aux terrains à bâtir. L’architecture des textes fondateurs restait toutefois inchangée.
(2) Cette décision fait ainsi apparaître l’illégalité de l’exonération de TVA sur marge dont bénéficiaient les seules collectivités locales en application de l’ancien article 261,5° du CGI qui exonérait de TVA « lorsqu’elles n’entrent pas dans le champ d’application du 7° de l’article 257, les opérations de vente effectuées par les départements, communes et établissements publics et relatives à des terrains leur appartenant ». Il y avait donc rupture manifeste dans la neutralité inhérente au système de la TVA au détriment des lotisseurs personnes privées par rapport aux lotisseurs collectivités locales.
(3) Rép. Laure de La Raudière : AN 30-8-2016 n° 94061 ; Rép. Olivier Carré : AN 30-8-2016, question n° 91143 ; Rép. Dominique Bussereau : AN 20-9-2016, question n° 96679 ; Rép. Gilles Savary : AN 20-9-2016, question n° 94538.
(4) Le règlement d’exécution 1042/2013 du Conseil du 7 octobre 2013 modifie, en ce qui concerne le lieu de taxation des prestations de services, le règlement 282/2011 du 15 mars 2011 portant mesures d’exécution de la directive 2006/112/CE relative au système commun de TVA.
Par Philippe TOURNES, Avocat associé, CMS Bureau Francis Lefebvre