Le règlement européen sur les successions, applicable aux successions ouvertes depuis le 17 août 2015, confère une compétence de principe pour statuer sur l’ensemble de la succession aux juridictions de l’État membre dans lequel le défunt avait sa résidence habituelle au moment de son décès (Règl. UE 650/2012 du 4-7-2012 art. 4). Les juridictions du lieu de situation de biens de la succession se voient reconnaître, dans certains cas, une compétence subsidiaire (Règl. UE 650/2012 du 4-7-2012 art. 10). Le règlement prévoit par ailleurs deux cas de déclinatoire de compétence en cas de choix de loi du défunt, dont le premier, facultatif, se trouve au centre de la décision rapportée. Ainsi, lorsque la loi choisie par le défunt pour régir sa succession – qui ne peut être que la loi de sa nationalité – est la loi d'un État membre, la juridiction saisie pour régler la succession (en tant que juridiction de la résidence habituelle du défunt ou du lieu de situation de biens de la succession) peut, à la demande de l'une des parties à la procédure, décliner sa compétence si elle considère que les juridictions de l'État membre dont la loi a été choisie sont mieux placées pour statuer sur la succession compte tenu des circonstances pratiques de celle-ci, telles que la résidence habituelle des parties et la localisation des biens (Règl. UE 650/2012 du 4-7-2012 art. 6, a). Si la juridiction saisie décline sa compétence, ce dessaisissement rend automatiquement compétentes les juridictions de l’État membre dont la loi a été choisie (Règl. UE 650/2012 du 4-7-2012 art. 7, a).
La succession concernée est celle d’un homme de nationalité allemande, décédé le 9 mars 2017. Invoquant un testament olographe rédigé le 14 juin 1990 en langue allemande, par lequel les époux s’étaient mutuellement désignés comme héritiers uniques, l’épouse survivante sollicite d’un tribunal allemand la délivrance d’un certificat d’hérédité national et d’un certificat successoral européen. Le frère du défunt conteste la compétence des juridictions allemandes au motif que, au moment de son décès, le défunt avait sa résidence habituelle en Espagne et que le testament ne contient pas un choix exprès de loi régissant la succession. Il obtient, dans un premier temps, gain de cause.
Par la suite, un tribunal espagnol saisi par l’épouse renonce à rendre une décision étant donné que les juridictions allemandes sont mieux placées pour statuer sur la succession en raison de circonstances pratiques telles que la résidence habituelle de la partie concernée dans cette affaire et le lieu de situation de la partie substantielle de la succession.
L’épouse se tourne alors à nouveau vers les juridictions allemandes qui retiennent leur compétence en première instance, estimant que la décision espagnole constitue un déclinatoire de compétence au sens de l’article 6, a) précité, du règlement Successions. Mais le frère fait appel et la juridiction allemande saisie du recours pose plusieurs questions préjudicielles à la CJUE.
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Les Hauts Magistrats européens y apportent les réponses suivantes :
- pour qu’il y ait déclinatoire de compétence en faveur des juridictions mieux placées de l’État membre dont la loi a été choisie par le défunt, il n’est pas nécessaire que la juridiction préalablement saisie ait décliné sa compétence de manière expresse, mais il faut que cette intention ressorte sans équivoque de la décision qu’elle a rendu à cet égard ;
- la juridiction saisie à la suite d’un tel déclinatoire de compétence n’est pas habilitée à contrôler si les conditions étaient réunies pour que la juridiction préalablement saisie puisse décliner sa compétence ;
- ce déclinatoire de compétence peut jouer dans le cas où le défunt n’a pas choisi la loi applicable à la succession mais où la désignation de cette loi résulte d’une présomption de choix de loi s’agissant d’un testament établi avant le 17 août 2015.
A noter :
Si une disposition à cause de mort, prise avant le 17 août 2015, est rédigée conformément à la loi que le défunt aurait pu choisir en vertu du règlement, cette loi est réputée avoir été choisie comme loi applicable à la succession (Règl. UE 650/2012 du 4-7-2012 art. 83, § 4). La CJUE admet ainsi que cette présomption de choix de loi constitue bien un « choix de loi » au sens des dispositions sur le déclinatoire facultatif de compétence.
Rappelons que le notaire français a tout intérêt, ne serait-ce qu’au titre de son devoir de conseil, à bien connaître les règles de compétence qui découlent du règlement (Rapport du 111e Congrès des notaires de France : L’international, Bruxelles 2019, n° 3451). Cette connaissance est même primordiale s’agissant du certificat successoral européen, qui ne peut être délivré que par les autorités de l’État membre dont les juridictions sont compétentes pour régler la succession, à l’exception de la compétence reposant sur la comparution volontaire (Règl. UE 650/2012 du 4-7-2012 art. 64).