La Cour de cassation apporte dans son arrêt du 29 janvier 2020 d'importantes précisions à sa jurisprudence sur la prescription applicable à l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée.
Dans cette affaire, un salarié, lié à son employeur par une succession de contrats à durée déterminée d'usage du 20 novembre 2004 au 4 octobre 2013, saisit la juridiction prud'homale le 7 juillet 2014 aux fins d'obtenir la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée ainsi que le paiement de rappels de salaire au titre des périodes intermédiaires entre ses différents contrats et d'indemnités au titre de la rupture.
Le pourvoi formé devant elle permet à la Cour de cassation de se prononcer sur différents points.
L'action en requalification d'un CDD se prescrit par 2 ans
La Cour de cassation avait déjà eu l'occasion d'affirmer, sous l'empire de la loi 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l'emploi, que l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée était soumise au délai de prescription de 2 ans de l'article L 1471-1 du Code du travail (Cass. soc. 3-5-2018 n° 16-26.437 FS-PB). Mais à l'époque des faits soumis à la Cour, ce texte ne distinguait pas entre les actions portant sur l'exécution et celles portant sur la rupture du contrat de travail, les deux étant alors soumises à une prescription de 2 ans.
Or, l'ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017 relative à la prévisibilité et la sécurisation des relations de travail a modifié l'article L 1471-1 en opérant une distinction entre ces deux actions, les premières restant soumises à un délai de prescription de 2 ans, tandis que les secondes voyaient leur délai de prescription réduit à un an.
Il en résultait une incertitude quant au délai de prescription applicable à l'action en requalification du CDD : relevait-elle de la prescription de 2 ans en tant qu'action portant sur l'exécution du contrat, ou bien fallait-il considérer qu'elle basculait du côté des actions portant sur la rupture du contrat et relevait comme telle de la prescription d'un an ?
C'est cette incertitude à laquelle met fin en l'espèce la chambre sociale de la Cour de cassation, en rattachant clairement l'action en requalification aux actions portant sur l'exécution du contrat de travail.
Le point de départ du délai de prescription varie selon l'irrégularité soulevée
Comme le prévoit l'article L 1471-1 du Code du travail, la Cour de cassation considère que le point de départ du délai de prescription de l'action en requalification d'un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée est « glissant » (Cass. soc. 3-5-2018 précité). Dans ce précédent, après avoir énoncé que la prescription courait à compter du jour où celui qui exerce l'action a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, la Haute Juridiction a retenu que le délai de prescription de l'action en requalification fondée sur l'absence d'une mention au contrat susceptible d'entraîner sa requalification courait à compter de la conclusion de ce contrat.
Il peut en être déduit que le point de départ du délai de prescription de l'action en requalification est la date de conclusion du contrat à durée déterminée en cas de non-respect du formalisme régissant ce type de contrat (absence de signature, absence d'indication du motif de recours, défaut d'établissement d'un écrit, défaut de précision du terme…). En effet, dans cette situation, le salarié a connaissance ou aurait dû avoir connaissance à cette date des faits lui permettant d'exercer son droit à la requalification du contrat. De même, en cas de non-respect du délai de carence, le point de départ du délai de prescription est la date de conclusion du contrat conclu en violation de la règle.
Dans son arrêt du 29 janvier 2020, la Cour de cassation complète sa jurisprudence en précisant que le point de départ du délai de prescription de l'action en requalification fondée sur le motif du recours au contrat à durée déterminée est le terme du contrat ou, en cas de succession de contrats à durée déterminée, le terme du dernier contrat. Tel paraît être le cas lorsque le motif de recours indiqué dans le contrat est inexact ou lorsqu'il est recouru au contrat à durée déterminée pour pourvoir un emploi permanent.
Cette solution se comprend aisément. En effet, dans ces hypothèses, il est difficile de déterminer objectivement la date à laquelle le salarié a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de saisir la juridiction prud'homale d'une action en requalification (Julien Icard, « La prescription en droit du travail : Étude d'actualité des relations individuelles de travail » : RJS 5/19 p. 331). De plus, la fixation du point de départ du délai de prescription au terme du dernier contrat à durée déterminée est protectrice du droit d'agir en justice des salariés concernés.
A noter : Sur le fondement de l'article 2224 du Code civil, qui retient un point de départ identique à celui de l'article L 1471-1 du Code du travail, la Haute Juridiction avait retenu que l'action du salarié temporaire tendant à faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un contrat de travail à durée indéterminée ne courait qu'à compter du terme du dernier contrat de mission (Cass. soc. 13-6-2012 n° 10-26.387 FS-PB). La solution avait été transposée au CDD par un arrêt non publié (Cass. soc. 8-11-2007 n° 16-17.499 F-D).
En cas de requalification, l'ancienneté du salarié remonte au premier contrat irrégulier…
L'arrêt du 29 janvier 2020 fournit également à la Cour l'occasion de réaffirmer que lorsque la demande en requalification est reconnue fondée, le salarié est en droit de se prévaloir d'une ancienneté remontant au premier contrat irrégulier (Cass. soc. 24-6-2003 n° 01-40.757 FS-D ; Cass. soc. 23-3-2016 n° 14-23.276 FP-PB).
… et le salarié peut demander, sous 3 ans, des rappels de salaire pour les périodes intercontrats
En cas de recours à une succession de contrats à durée déterminée, le salarié peut prétendre à un rappel de salaire au titre des périodes intermédiaires depuis le premier contrat à durée déterminée irrégulier. La Cour de cassation réaffirme ici que la demande de rappel de salaire est soumise au délai triennal prévu par l'article L 3245-1 du Code du travail pour l'action en paiement ou en répétition du salaire. Cette solution faisant application du délai de prescription de l'action en rappel de salaire s'inscrit dans la continuité d'une jurisprudence bien établie (Cass. soc. 22-10-2014 n° 13-16.936 FS-PB ; Cass. soc. 16-12-2015 n° 14-15.997 FS-PB).
En l'espèce, le salarié avait saisi la juridiction prud'homale le 7 juillet 2014. La cour d'appel avait fait application de la prescription triennale instaurée par la loi du 14 juin 2013 précitée, en faisant courir le délai de prescription à la date du dernier contrat à durée déterminée. La Cour de cassation censure ce raisonnement, sur le fondement de l'article L 3245-1 du Code du travail et de l'article 21 de la loi du 14 juin 2013 relatif aux mesures transitoires quant à l'application des nouveaux délais de prescription. En application de ces textes, seules les créances de salaire antérieures de 5 ans à la date de saisine de la juridiction prud'homale sont prescrites. Les demandes au titre des salaires dus à compter du 7 juillet 2009 étaient par conséquent recevables.
La Cour de cassation applique ainsi à chaque demande du salarié le délai de prescription qui lui est propre. En d'autres termes, le salarié ne peut pas prétendre, par l'effet de la reconnaissance d'un contrat à durée indéterminée à compter de la date du premier contrat à durée déterminée irrégulier, à des rappels de salaire pendant toute la période objet de la requalification.
Pour en savoir plus sur la requalification du CDD en CDI : voir Mémento Social nos 20320 s.