Le bailleur des locaux d’exploitation d’une entreprise en liquidation judiciaire peut demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, cette demande ne pouvant être faite qu’à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de ce jugement (C. com. art. L 641-12, 3° et, sur renvoi, art. L 622-14, 2°).
Le bailleur qui demande la résiliation de plein droit du bail en application de ce texte doit-il respecter les dispositions de l’article L 145-41 du Code de commerce – aux termes duquel toute clause insérée dans un bail commercial prévoyant la résiliation de plein droit ne produit effet qu’un mois après un commandement demeuré infructueux – et délivrer préalablement au liquidateur un commandement de payer ?
Non, répond la Cour de cassation. Lorsque le juge-commissaire est saisi, sur le fondement de l’article L 641-12, 3°, d'une demande de constat de la résiliation de plein droit du bail, en raison d'un défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire du preneur, cette procédure, qui obéit à des conditions spécifiques, est distincte de celle qui tend, en application de l'article L 145-41, à faire constater l'acquisition de la clause résolutoire stipulée au contrat de bail. Le bailleur, qui agit devant le juge-commissaire pour lui demander la constatation de la résiliation de plein droit du bail, sans revendiquer le bénéfice d'une clause résolutoire, n'est pas dans l'obligation de délivrer le commandement exigé par l'article L 145-41.
A noter : 1. Deux interprétations de l’article L 641-12, 3° du Code de commerce – applicable à la liquidation judiciaire – étaient envisageables : soit le bailleur souhaitant faire constater la résiliation de plein droit du bail devait se prévaloir d’une clause résolutoire ; soit l’emploi des termes « résiliation de plein droit » signifiait qu’il lui suffisait de la faire constater, à l’issue du délai de trois mois, en justifiant de l’absence de paiement des loyers postérieurs au jugement d’ouverture. Les juridictions du fond étaient partagées : certaines estimaient que le fait pour le bailleur de saisir le juge-commissaire, plutôt que le juge des référés, d'une demande en constat de la résiliation du bail ne le dispensait pas de la délivrance préalable d'un commandement de payer visant la clause résolutoire (CA Paris 4-4-2018 n° 17/19289 et 5-6-2018 n° 17/12668 : AJDI 2018 p. 713). D’autres avaient au contraire jugé qu’à l'issue du délai de trois mois suivant l'ouverture de la liquidation judiciaire du locataire, le bailleur était fondé à demander au juge-commissaire de constater la résiliation, sans avoir à délivrer un commandement qui n’est pas exigé par la loi en ce cas (CA Orléans 15-11-2018 n° 18/00810 et 24-1-2019 n° 18/00873).
La Cour de cassation privilégie cette seconde lecture, en conjuguant ce texte avec l’article R 641-21, al. 2 du Code de commerce, selon lequel le juge-commissaire constate, sur la demande de tout intéressé, la résiliation de plein droit des contrats dans les cas prévus au III de l'article L 641-11-1 et à l'article L 641-12 ainsi que la date de cette résiliation. Aucune référence n’étant faite à la clause résolutoire, il n’appartient pas à la Cour de cassation d’ajouter au texte une condition supplémentaire.
Le bailleur a donc tout intérêt à invoquer ce cas de résiliation de plein droit. Mettre en œuvre la clause résolutoire lui impose de délivrer un commandement de payer visant la clause et l’expose à la neutralisation de la résiliation si des délais sont accordés au liquidateur judiciaire (C. com. art. L 145-41, al. 2 ; Cass. com. 6-12-2011 n° 10-25.689 F-PB : RJDA 3/12 n° 319) ou si ce dernier paie les sommes dues avant l’expiration du délai de trois mois (art. L 641-12, 3° et, sur renvoi, art. L 622-14, al. 4).
2. À notre avis, la solution n’est pas transposable à la sauvegarde et au redressement judiciaire. Certes, en vertu de l’article R 622-13 du Code de commerce, le juge-commissaire constate la résiliation de plein droit des contrats dans les cas prévus à l’article L 622-14. Mais, si le 2° de ce dernier texte prévoit que le bailleur peut faire constater la résiliation du bail pour non-paiement des loyers postérieurs à l’ouverture de la procédure, il ne précise pas qu’il s’agit d’une résiliation de plein droit, contrairement à l’article L 641-12, 3°. Le bailleur ne conserve d’option qu’entre la mise en œuvre de la clause résolutoire, en respectant le formalisme prévu par le statut des baux commerciaux, et une demande de résiliation judiciaire.
Pour en savoir plus sur ce sujet : voir Mémento Droit commercial n° 5254