Un associé cogérant d’une SARL en comptant trois, tous cogérants, est révoqué par décision des associés, fondée notamment sur l'inexécution d'obligations comptables. Considérant que sa révocation est intervenue sans juste motif, il agit en responsabilité contre la société.
La cour d'appel de Riom fait droit à sa demande (CA Riom 26-4-2023 n° 21/01106), en suivant l'argumentation suivante.
L'inertie reprochée au cogérant imposait de connaître l'étendue de ses obligations. Les statuts étant muets sur la répartition des charges entre cogérants, chacun d'entre eux disposait, en application de l'article L 221-1 du Code de commerce, du pouvoir de prendre tous les actes de gestion dans l'intérêt de la société, sauf le droit pour chacun de s'opposer à toute opération avant qu'elle ne soit conclue. Par ailleurs, s'il résultait des pièces du dossier que l’intéressé s’occupait du recouvrement des factures, de la comptabilité et des convocations aux assemblées générales, cela ne signifiait pas pour autant qu’il était le seul à pouvoir le faire. Notamment, aucun élément ne suffisait à démontrer qu’il avait la mainmise sur les outils comptables.
Ainsi, si la saisie comptable n’était pas à jour, rien ne permettait de considérer que ce retard était exclusivement imputable au gérant évincé. La cour d'appel a donc condamné la société à lui verser près de 55 000 € à titre de dommages-intérêts.
A noter :
Dans certaines sociétés, notamment les SARL (C. com. art. L 223-25), le gérant dont la révocation a été décidée sans juste motif peut prétendre à des dommages-intérêts.
Selon l'arrêt commenté, en cas de cogérance sans que les statuts ou un acte extrastatutaire ne fixent les missions de chacun des cogérants, il ne peut pas être reproché à l'un d'entre eux l'inexécution d'une obligation qui incombait à la société alors qu'aucun obstacle juridique ou matériel n'empêchait les autres d'agir.
Un cogérant pourrait donc en revanche être révoqué sur les fondements suivants :
un manquement à une obligation qu'il était le seul à pouvoir accomplir ;
un manquement à une obligation, si ses cogérants qui avaient le pouvoir d'agir sont eux aussi révoqués ;
un acte positif de sa part constituant une faute de gestion, comme le licenciement abusif d'une salariée enceinte (Cass. com. 15-1-2020 n°18-12.009 F-D : RJDA 4/20 n° 220), une opposition aux changements de stratégie souhaités par les associés (CA Paris 20-2-2007 n° 05-23812 : RJDA 11/07 n° 1120) et, plus généralement, toute situation liée à l’organisation de la société – telle une mésentente avec ses cogérants ou les actionnaires – de nature à compromettre l’intérêt social (Cass. com. 10-2-2015 n° 13-27.967 F-D : RJDA 7/15 n° 505).
La portée de cette solution, à notre connaissance inédite, semble toutefois incertaine.
A noter également qu'en matière de responsabilité civile des dirigeants, même lorsqu'il faut retenir la responsabilité solidaire de dirigeants fautifs (C. com. art. L 223-22 pour les gérants de SARL), la part contributive de chacun doit être proportionnelle à la gravité de sa faute (CA Limoges 17-1-2013 n° 11/01356 : RJDA 8-9/13 n° 727 ; CA Paris 17-2-2015 n° 10/04697 : RJDA 5/15 n° 353).