Une veuve décède, laissant trois enfants. Par acte authentique du 9 juin 1994, elle avait consenti à son fils une donation par préciput et hors part d’une certaine somme investie par le donataire dans un apport au capital d’une société commerciale et dans l’acquisition de parts de plusieurs sociétés civiles. Plus de 10 ans plus tard, la donatrice et le donataire conviennent, par acte authentique du 11 juillet 2005, de révoquer la donation, le fils remboursant à sa mère la somme donnée.
Le règlement de la succession étant porté en justice en raison de nombreuses difficultés, l’une des sœurs du donataire assigne ses cohéritiers en nullité de l’acte de révocation pour cause illicite, laquelle résiderait dans la volonté de ses auteurs de faire échec aux règles sur la réserve héréditaire. Les juges d’appel déclarent toutefois valable la révocation. Ils retiennent que les mobiles ayant présidé à cette révocation sont indifférents et ne peuvent pas se confondre avec la cause de la convention, qui n’était pas illicite. La révocation conventionnelle d’une donation ne se heurte à aucune interdiction légale et elle est toujours possible sans que les parties n’aient à en justifier les raisons.
Censure de la Cour de cassation au visa des articles 1131 et 1133 du Code civil, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l’ordonnance 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations. Il résulte de ces textes qu'un contrat n'est valable que si les motifs ayant déterminé les parties à contracter sont licites. En jugeant la révocation valable, sans rechercher, comme il le lui était demandé, si la cause de l'acte révocatoire ne résidait pas dans la volonté des parties de contourner les dispositions d'ordre public de l'article 922 du Code civil, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision.
A noter :
Ce que les parties ont fait par leur accord mutuel, elles peuvent le défaire par leur volonté commune, par leur « mutuus dissensus » (F. Terré, P. Simler, Y. Lequette et F. Chénedé, Droit civil. Les obligations, précis Dalloz, 13e éd., 2022, n° 651 ; sur cette question, voir R. Vatinet, Le mutuus dissensus : RTD civ. 1987 p. 252). La règle figure aujourd’hui à l’article 1193 du Code civil : « Les contrats ne peuvent être modifiés ou révoqués que du consentement mutuel des parties, ou pour les causes que la loi autorise. » La révocation volontaire conventionnelle peut porter sur une donation, et ce, malgré l’irrévocabilité spéciale des donations (voir notamment J. Cl. Civil Code, voir art. 943 à 948 par M. Grimaldi et J.-F. Pillebout, n° 20 ; P. Delmas Saint-Hilaire, Réflexions sur les mécanismes de rétention dans les donations : JCP N 2011 n° 1207, § 6). Comme tout contrat, la convention révocatoire est cependant soumise aux conditions de validité du droit commun, notamment l’absence de vice du consentement (Cass. 3e civ. 11-5-2005 n° 03-17.682 : RTD civ. 2005 p. 590 obs. J. Mestre et B. Fages). Dans l’affaire rapportée, c’est la cause illicite de la convention qui était invoquée (C. civ. art. 1133 dans sa rédaction antérieure à l’ord. 2016-131 du 10-2-2016), comme pourrait l’être sous l’empire du droit actuel l’exigence d’un contrat ne dérogeant à l’ordre public ni par ses stipulations ni par son but (C. civ. art. 1162).
Comme le faisait valoir le pourvoi, l’acte de révocation de la donation d’une somme d’argent ayant servi à l’acquisition d’un bien sujet à réunion fictive au décès du donateur (C. civ. art. 922) poursuit un but illicite lorsqu’il est conclu afin d’effacer toute perspective de réunion fictive, ce bien étant des titres de société qui ont pris une valeur considérable depuis la donation. Le but, précise encore le pourvoi, était donc de faire échec aux règles de la réserve héréditaire. Rappelons qu’en vertu de la subrogation liquidative, lorsque la somme d’argent donnée a servi à l’acquisition d’un bien, c’est la valeur de ce bien au décès qui doit être réunie fictivement, sauf si le bien était promis à une dépréciation inéluctable au jour de son acquisition (C. civ. art. 922, al. 2).
On lira avec intérêt l’analyse que retiendra la cour d’appel de renvoi.
Une remarque d’ordre pratique pour terminer : la réalisation, dans les années ayant suivi la donation de somme d’argent, d’une donation-partage unanime avec incorporation de cette première donation aurait permis de figer la valeur des lots au jour de l’acte pour l’imputation et le calcul de la réserve (C. civ. art. 1078). À condition de ne pas prévoir une réserve d’usufruit portant sur une somme d’argent. La lecture du pourvoi nous apprend d’ailleurs que le frère avait tenté en 1999 de convaincre sa sœur ici demanderesse d’accepter une telle donation-partage…
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