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Absence d’état liquidatif dressé par le notaire judiciairement commis : conséquences procédurales

En matière de partage judiciaire, toute demande distincte de celle portant sur les désaccords sur le projet d’état liquidatif dont le juge commis a fait rapport au tribunal est en principe irrecevable. Faute de projet d’état liquidatif, le couperet de cette règle ne joue pas.

Cass. 1e civ. 6-3-2024 n° 22-15.311 F-B


Par Nathalie COUZIGOU-SUHAS, Notaire à Paris
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©Getty Images

Une sœur assigne son frère en partage de l’indivision successorale de leurs parents. Le juge fait droit à la demande, désigne un notaire pour procéder aux opérations de comptes, liquidation-partage et ordonne l’attribution préférentielle au fils d’un bien immobilier. Le conflit se poursuivant, le notaire établit un procès-verbal de difficultés portant sur les points de contestation existant entre les parties. Puis, le juge commis dresse un procès-verbal de non-conciliation et renvoie les parties devant le tribunal. La sœur assigne alors également son frère en paiement d’une indemnité d’occupation de l’immeuble indivis. Ce dernier conteste la recevabilité de cette demande. Il fait valoir que toute demande distincte des points de désaccord dont le juge commis avait fait rapport au tribunal est irrecevable (CPC art. 1373 et 1374).

Son pourvoi est rejeté. En matière de partage judiciaire, seules sont irrecevables les demandes distinctes de celles portant sur les points de désaccord subsistant sur le projet d’état liquidatif dressé par le notaire, dont le juge commis a fait rapport au tribunal, et dont le fondement n’est pas né ou révélé après ce rapport (CPC art. 1373 et 1374). En l’espèce, le notaire désigné a transmis un procès-verbal de difficultés et le juge commis a dressé un procès-verbal de non-conciliation. Faute de projet d'état liquidatif dressé par le notaire, la demande d'irrecevabilité ne pouvait pas prospérer.

A noter :

Pour Nathalie Couzigou-Suhas, notaire à Paris, le notaire désigné est, aux côtés du juge commis, un maillon essentiel du partage judiciaire complexe (CPC art. 1364). Encore faut-il que sa mission soit menée à bien ! Tel est l’enseignement de cet arrêt, dont la publication au Bulletin poursuit vraisemblablement une visée pédagogique. 

À l’issue de rendez-vous contradictoires (CPC art. 1365), le notaire doit dresser, dans le délai d’un an de sa désignation, un état liquidatif complet, soumis aux parties. À défaut d’accord (toujours possible), le notaire établit un procès-verbal des dires respectifs des copartageants. Ce procès-verbal contenant l’état liquidatif va ensuite être transmis au juge commis (CPC art. 1373). Celui-ci opère comme un binôme procédural du notaire commis, sur lequel ce dernier peut s’appuyer, mais auprès duquel il doit répondre de sa mission. À l’aune de ces deux éléments, le juge commis va dresser un rapport au tribunal reprenant les points de désaccord subsistants, amenés à être tranchés par la juridiction. La transmission de ce rapport emporte concentration des demandes ; partant, toute demande ultérieure distincte de ces points de désaccord est irrecevable, sauf le cas où le fondement de la demande est né ou révélé postérieurement (CPC art. 1374). Or, en matière de partage judiciaire, les opérations échappent au principe de concentration des demandes, car il est considéré que les parties au litige sont respectivement défenderesse et demanderesse à l’action, de sorte que toute prétention nouvelle est considérée comme une défense à une prétention adverse. Néanmoins, des garde-fous procéduraux sont érigés en matière de partage judiciaire afin que la procédure ne soit pas exagérément ralentie par une kyrielle de demandes nouvelles : ainsi, le rapport du juge commis fixe l’objet du litige, vouant à l’irrecevabilité toute demande nouvelle, procédant d’une omission. La Cour de cassation précise dans l’arrêt commenté que l’irrecevabilité est conditionnée à la rédaction d’un rapport par le juge, rédigé non seulement à l’aune du procès-verbal de dires, mais aussi en présence de l’état liquidatif rédigé par le notaire commis. Cet état liquidatif veillera ainsi à dérouler l’ensemble du canevas liquidatif, dans un souci de rectitude (voir T. Lépine, La mise en œuvre du règlement judiciaire du partage : le point de vue du magistrat : Defrénois 2023 n°13 p. 30). Il sera ainsi procédé à la reconstitution de la masse de calcul de la réserve et de la quotité disponible, l’identification des libéralités et l’imputation corrélative de ces dernières, l’élaboration de la masse partageable, la liquidation des droits des parties, la constitution de lots ou, le cas échéant, la conclusion que la licitation est inéluctable (Guide Defrénois de la rédaction des actes, Lextenso 2022, v° notaire judiciairement commis – projet d’état liquidatif n° 200d0 par F. Letellier). Ces règles procédurales s’appliquent aussi aux liquidations de régime matrimonial après divorce.

Dans l’affaire soumise, la première chambre civile a approuvé la cour d’appel d’avoir ainsi accueilli une demande nouvelle portant sur une indemnité d’occupation, une fois le rapport du juge rédigé, faute d’état liquidatif déposé. À défaut d’état liquidatif exhaustif rédigé par ses soins, le notaire avait ainsi rempli la moitié de sa mission. La sanction procédurale qui en découle aura une incidence sur la longueur de la procédure. En outre, en ce qui le concerne, il ne pourra pas solliciter les émoluments dus au titre de la liquidation, indépendamment du temps et de l’énergie consacrés à ce dossier.

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