La Cour de cassation précise les conséquences de la substitution d’un avis d’inaptitude physique à un avis d’aptitude, à l’issue d’un recours exercé contre l’avis du médecin du travail. Une décision qui, bien que rendue en application de la procédure de recours antérieure à la réforme opérée par la loi « Travail », pourrait orienter la réflexion des juges sur l’interprétation des nouveaux textes.
L’avis d’inaptitude physique se substitue à la décision initiale du médecin du travail …
En l’espèce, la salariée, déclarée apte avec restrictions par le médecin du travail, avait formé un recours contre cet avis devant l’inspecteur du travail, lequel était compétent dans la mesure où ce recours avait été introduit avant le 1er janvier 2017. L’inspecteur avait déclaré la salariée inapte à son poste. Celle-ci avait ensuite saisi en référé la juridiction prud’homale d’une demande en paiement d’une provision au titre de l’obligation de reprise du paiement du salaire prévue à l’article L 1226-11 du Code du travail.
A noter : en effet, l’article L 1226-4 du Code du travail, en matière d’inaptitude physique d’origine non professionnelle, et l’article L 1226-11 du même Code, lorsque l’inaptitude est d’origine professionnelle, imposent à l’employeur de reprendre le versement du salaire un mois après la notification de l’avis d’inaptitude physique lorsque le salarié n’est, à l’issue de ce délai, ni reclassé ni licencié.
La cour d’appel saisie du litige avait accueilli la demande de la salariée en se fondant sur un arrêt du Conseil d’Etat selon lequel l'appréciation de l'inspecteur du travail, qui se substitue entièrement à celle du médecin du travail, doit être regardée comme portée à la date à laquelle l’avis de ce dernier a été émis (CE 16-4-2010 n° 326553). Les juges du fond en avaient déduit que l’employeur était débiteur des salaires, faute d’avoir reclassé ou licencié le salarié à l’issue du délai d’un mois suivant la date de l’avis initial du médecin du travail.
La solution retenue par la cour d'appel était donc cohérente au regard de la position du Conseil d'Etat. Puisque l'appréciation de l'inspecteur du travail se substitue entièrement à celle du médecin du travail au moment où celui-ci a délivré son avis, il est logique de se situer à cette date pour fixer le point de départ du délai de reprise du versement du salaire.
… sans lui faire produire tous ses effets à la date de l’avis initial
Pourtant, le raisonnement de la cour d’appel est censuré par la Cour de cassation. Selon elle, la substitution à l'avis d'aptitude délivré par le médecin du travail d’une décision d’inaptitude physique de l’inspecteur du travail ne fait pas naître rétroactivement l'obligation pour l'employeur de reprendre le paiement du salaire. Cette obligation ne s'impose qu'à l'issue du délai d'un mois suivant la date à laquelle l'inspecteur du travail a pris sa décision.
La solution se comprend : les dispositions des articles L 1226-4 et L 1226-11 du Code du travail ont pour objectif d’inciter l'employeur à rechercher rapidement les possibilités de reclassement du salarié déclaré inapte et, en cas d'échec de cette tentative, à procéder au licenciement de celui-ci. Cette obligation est donc destinée à sanctionner l’inertie de l’employeur. Mais une telle sanction n’a de sens que si l’employeur, informé de l’inaptitude du salarié, n’a mis en œuvre aucune diligence. Or, tel n’est pas le cas en présence d’un avis d’aptitude du médecin du travail qui est ensuite annulé à l’issue d’un recours.
Par ailleurs, l’employeur est lié par l’avis d’aptitude initialement délivré par le médecin du travail (Cass. soc. 2-2-1994 n° 88-42.711 P). Son obligation de s’y conformer n’est pas atténuée par l’exercice d’un recours, qui n’est pas suspensif (Cass. soc. 4-5-1999 n° 98-40.959 P ; Cass. soc. 28-1-2004 n° 01-46.913 F-P) et dont il n’est pas nécessairement informé (Cass. soc. 3-2-2010 n° 08-44.455 FS-PB).
A noter : consciente de ces difficultés, la Cour de cassation a déjà adopté une logique d’atténuation des effets de la substitution rétroactive de la décision de l’inspecteur du travail à l’avis du médecin du travail. Elle a ainsi décidé qu’en cas d’annulation de l’avis d’inaptitude par le médecin du travail, le licenciement prononcé en raison de cette inaptitude n’est pas nul mais dépourvu de cause réelle et sérieuse (Cass. soc. 8-4-2004 n° 01-45.693 FP-PBRI). Surtout, dans le même esprit, elle a déjà précisé que l’annulation d’un avis d’inaptitude délivré par le médecin du travail ne fait pas disparaître rétroactivement l'obligation pour l'employeur de reprendre le paiement des salaires à l'issue du délai d'un mois (Cass. soc. 10-11-2004 n° 02-44.926 FS-PB ; Cass. soc. 28-4-2011 n° 10-13.775 F-D).
Dans les deux cas, il s’agissait pour la chambre sociale de limiter les effets de la rétroactivité afin de ne pas faire supporter à l’une ou l’autre des parties au contrat de travail les conséquences excessives de l’annulation de l’avis du médecin du travail. Le présent arrêt s’inscrit dans cette lignée.
Une solution transposable à la nouvelle procédure de recours ?
La procédure de recours contre les décisions du médecin du travail a été profondément remaniée par la loi 2016-1088 du 8 août 2016 puis par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017. Ces recours ne sont plus confiés à l’inspecteur du travail, mais relèvent depuis le 1er janvier 2017 de la compétence du juge prud’homal saisi en référé.
Bien que la Cour de cassation se prononce en application des textes antérieurs au 1er janvier 2017, la solution qu’elle adopte devrait être transposable pour l’interprétation des nouveaux textes. En effet, qu’elle soit prise par l’inspecteur du travail, en application de la procédure en vigueur antérieure, ou par le conseil de prud’hommes depuis cette date, la décision prise à l’issue du recours se substitue à celle du médecin du travail.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Social nos 50025 s.