La loi interdit à l’employeur de licencier un salarié pour avoir témoigné ou relaté des agissements répétés de harcèlement moral ou sexuel (C. trav. art. L 1152-2 et L 1153-2). Un licenciement prononcé pour un tel motif est nul de plein droit (C. trav. art. L 1152-3 et L 1153-4). Selon une jurisprudence désormais bien établie, la nullité est encourue sauf mauvaise foi du salarié, qu’il revient à l’employeur de prouver, et qui ne peut pas résulter de la seule circonstance que les faits allégués ne sont pas établis (Cass. soc. 10-3-2009 n° 07-44.092 FP-PBR ; Cass. soc. 13-2-2013 n° 11-28.339 F-D).
Il résultait d’un arrêt rendu récemment par la chambre sociale de la Cour de cassation qu’un salarié ayant dénoncé des agissements sans les qualifier expressément de harcèlement ne peut pas obtenir la nullité de son licenciement (Cass. soc. 13-9-2017 n° 15-23.045 FP-PB : voir La Quotidienne du 5 septembre 2017). Cette solution instaurait, de manière inédite, une différence de traitement entre les salariés qui invoquent une situation de harcèlement et ceux qui n’auraient pas utilisé ces termes. La portée de cet arrêt, qui soulevait des questions, méritait d’être précisée.
Dans un arrêt récent la Cour de cassation confirme sa position.
Le salarié doit qualifier formellement les faits de harcèlement
Dans cette affaire, un ingénieur d’études avait accusé son employeur de harcèlement et de dénigrement. La cour d’appel avait considéré que la mention dans la lettre de licenciement des allégations de harcèlement ne consistait qu’en un strict rappel de la situation factuelle des parties avant la rupture, des manquements contractuels étant par ailleurs reprochés au salarié. La Cour de cassation a cassé l’arrêt, jugeant que le licenciement encourait la nullité dès lors que la lettre de licenciement énonçait un grief tiré de la relation de faits qualifiés par le salarié de harcèlement moral.
Sans ambiguïté, la Cour de cassation exige que le bénéfice de la protection du salarié soit subordonné à la dénonciation de faits qu’il a lui-même qualifiés de harcèlement. Pour formaliser cette nouvelle exigence, elle a légèrement modifié son attendu classique en énonçant que « le salarié qui relate des faits qualifiés par lui de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis ».
A noter : cette décision, rendue en application de l’article L1152-2 et L1152-3 du Code du travail relatifs au harcèlement moral, devrait vraisemblablement être transposable au salarié qui dénonce des agissements de harcèlement sexuel et à la protection instaurée par les articles L 1153-2 et L 1153-4 du Code du travail.
Une limite à l'effet contaminant de la nullité
Interrogé sur la portée de l'arrêt du 13 septembre 2017 précité, Jean-Yves Frouin, Président de la Cour de cassation, explique le souhait de la Cour de cassation de limiter les risques d’instrumentalisation de la règle posée par l’article L 1152-2 du Code du travail. Il s’agit, selon lui, d’éviter d’étendre la conséquence lourde et automatique de la nullité à tous les licenciements prononcés dans un contexte où le salarié s’est plaint d’un comportement répréhensible sans le qualifier de harcèlement moral, alors même que d’autres motifs justifient le licenciement (Interview J.-Y. Frouin : FRS 4/18 inf. 1).
Autrement dit, l’exigence d’une qualification formelle des faits de harcèlement par le salarié vise à limiter l’effet « contaminant » de la nullité résultant de la dénonciation du harcèlement moral, la seule mention dans la lettre de licenciement des allégations de harcèlement du salarié ayant pour effet de rendre le licenciement nul, sans qu’il soit nécessaire d’examiner les autres motifs justifiant la rupture du contrat de travail.
En pratique : cette nouvelle condition crée une distinction entre un salarié licencié pour avoir dénoncé des faits qu'il a qualifiés de harcèlement et celui qui aurait dénoncé des agissements de harcèlement sans les nommer, seul le premier étant fondé à invoquer la nullité de son licenciement. Le second devra établir devant le juge que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et pourra demander des dommages et intérêts en réparation du préjudice subi en raison du harcèlement moral, à condition qu'il en ait été la victime (quid du cas où il a dénoncé le harcèlement d'un autre salarié?). Il ne pourra pas bénéficier de l'immunité disciplinaire, quand bien même les agissements correspondraient à un harcèlement moral.
Cette décision pourrait inciter les salariés à utiliser davantage la qualification de harcèlement.
Mélanie HONG
Pour en savoir plus sur la protection contre le harcèlement : voir Mémento Social nos 17070 s.