Droit pénal spécial
Presse : Prescription en matière d'injure publique à raison du sexe
Fait l'exacte application de l'article 65-3 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse une cour d'appel qui rejette l'exception de prescription de l'action publique pour injure publique à raison du sexe, le deuxième alinéa de l'article 65 n'étant pas applicable, de sorte que la prescription de l'action publique est valablement interrompue, avant l'engagement des poursuites, conformément à l'article 9-2, 2°, du code de procédure pénale. Plusieurs actes interruptifs de prescription sont intervenus tout au long de la procédure avant l'expiration du délai d'un an, notamment par des actes d'enquête émanant du ministère public et des procès-verbaux dressés par des officiers de police judiciaire. (Crim. 11-03-2025, n° 24-80.572)
Diffamation et excuse de bonne foi : rappels
La cour de cassation confirme le caractère diffamatoire reconnu par la cour d’appel à certains propos de la voix off tenus dans l'émission « ENQUÊTE EXCLUSIVE », au sein d'un reportage intitulé « Malte, joyau de la Méditerranée et paradis de la corruption ». En effet, la cour d'appel a exactement retenu, par un examen du sens et de la portée des propos poursuivis, analysés les uns par rapport aux autres, et au regard des éléments extrinsèques qu'elle a souverainement appréciés, sans considération à ce stade, à juste titre, de leur exactitude, qu'était imputé aux parties civiles de jouer de leur influence pour obtenir des décisions favorables à leurs clients, quand bien même seraient-elles contraires à loi, et donc d'avoir un comportement pénalement répréhensible, faits suffisamment précis pour être l'objet d'un débat contradictoire sur la preuve et qui portent atteinte à l'honneur et à la considération de la partie civile. La portée diffamatoire des propos poursuivis ayant été appréciée globalement, les juges, après avoir constaté l'existence d'une distorsion entre les propos exprimés par la « voix off », et ceux tenus par les intéressés au cours des entretiens avec le journaliste, ont, sans exiger que soit apportée la preuve de la vérité des faits, justement exclu la bonne foi des prévenus, en raison d'un manquement dudit journaliste à son devoir d'informer loyalement le public sur un point essentiel du reportage incriminé, sans qu'une telle déformation puisse être justifiée par sa liberté d'expression. (Crim. 11-03-2025, n°23-86.339)
Harcèlement sexuel : quid de propos sexistes adressés à plusieurs personnes simultanément
Un maître de conférences est déclaré coupable par le tribunal correctionnel de harcèlement sexuel pour avoir tenu des propos et attitudes sexistes et dénigrants au préjudice de quinze étudiants. La cour d’appel le relaxe considérant qu’en vertu de l’article 222-33 du code pénal, le harcèlement sexuel suppose d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste, et que le prévenu s’étant adressé à une assemblée d’étudiants, n’avait pas imposé ses propos à chacun d’eux à titre personnel. Or, la Cour de cassation casse l’arrêt de la cour d’appel. Des propos ou comportements à connotation sexuelle ou sexiste adressés à plusieurs personnes ou adoptés devant plusieurs personnes, sont susceptibles d’être imposés à chacune d’entre elles. (Crim. 12-03-2025, n° 24-81.644)
Justice
Lutte contre le travail dissimulé : les résultats chiffrés de 2024
En 2024, la lutte contre le travail dissimulé a permis à l’Urssaf un redressement de près de 1,6 milliard d’euros, dépassant pour la deuxième année consécutive le milliard d’euros (1,2 milliard d’euros en 2023). Ce chiffre a doublé par rapport à l’année 2022, et quintuplé par rapport à 2013. Ces résultats sont principalement le fruit de l’engagement de l’Urssaf en matière de prévention et de répression dans les secteurs les plus touchés par la fraude, comme la Sécurité sociale. Son objectif étant d’atteindre un redressement de 5,5 milliards d’euros entre 2023 et 2027, l’Urssaf comptabilise à ce jour un résultat historique de 2,8 milliards d’euros de redressement en deux ans. (CP, gouvernement, 6-03-2025).
Procédure pénale
Presse : Recevabilité des preuves obtenues par décision de justice
La preuve est libre en matière pénale et sont recevables devant le juge, pour contester l’exception de bonne foi soulevée par les mis en cause, les rushes d’une émission produits par la partie civile et obtenus régulièrement par une décision de justice rendue par un juge qui n’est pas celui de la poursuite et qui n’a été frappée d’aucun recours. (Crim. 11-03-2025, n° 23-86.339)
Requalification des faits dans les procédures d'irresponsabilité pénale
Quand la chambre de l’instruction statue en application de l’article 706-120 du code de procédure pénale, elle peut requalifier les faits sans procéder à une nouvelle information si elle retient des chefs de poursuite compris dans les faits pour lesquels la personne a été mise en examen par le juge d'instruction. L’article 202, alinéa 1er, du code de procédure pénale ne s’applique que lorsque les personnes mises en examen sont renvoyées devant la chambre de l'instruction à la suite d'une ordonnance de règlement. (Crim. 12-03-2025, n° 24-82.882)
L’annulation de l’interrogatoire de première comparution ne fait pas obstacle à la purge des nullités
La personne dont l’interrogatoire de première comparution (IPC) et la mise en examen ont été annulés ne peut saisir la chambre de l’instruction d’une nouvelle requête en nullité portant sur un acte réalisé antérieurement à l’IPC. En effet, même si l’IPC a été annulé, l’article 174, alinéa 1er, du code de procédure pénale, qui prévoit une purge des nullités en ce cas, s’applique. Le demandeur, qui était alors partie à la procédure, aurait donc dû demander la nullité de cet acte qui figurait au dossier de la procédure et avait été mis à disposition des parties, lors de l'examen de sa requête en nullité de son IPC. (Crim. 11-032025, n° 24-84.323)
Pourvoi non-admis : un premier arrêt publié
Pour la première fois à notre connaissance, un arrêt de la chambre criminelle déclarant un pourvoi non admis est publié au bulletin. Cette nouveauté continue d’inscrire la politique de communication de la Cour dans une dynamique de transparence fort appréciable tant pour les justiciables que pour les professionnels.
En l’espèce, la non-admission est motivée de la façon suivante : le dépôt d'une demande d'aide juridictionnelle ne suspend pas le délai de production d'un mémoire personnel par le demandeur, à l'appui de son pourvoi, prévu par l'article 585-1 du code de procédure pénale (un mois à compter de la date du pourvoi). La demande d'aide juridictionnelle formée par le demandeur au pourvoi dans le délai d'un mois à compter de celui-ci a seulement pour effet d'interrompre le délai fixé pour la constitution d'avocat et de le suspendre jusqu'à ce qu'il ait été statué définitivement sur cette demande (Crim. 6 sept.2023, n° 22-86.049). (Crim. 12-03-2024, n° 24-83.713)
Saisie en cabinet d’avocat : étendue de la protection du secret professionnel
Le conseil pris auprès de l'avocat, avant la commission de l'infraction, a eu pour finalité d'éclairer la personne sur son droit de conduire un véhicule après une suspension de permis de conduire, et les éléments qui ont été saisis, en lien avec cette consultation, ne sont pas relatifs à une procédure juridictionnelle ou à une procédure ayant pour objet le prononcé d'une sanction, de sorte qu'ils ne relèvent pas de l'exercice des droits de la défense et pouvaient être saisis (Crim. 11-03-2024, n° 24-82.517).
Contestation de la perquisition en cabinet d’avocats : pouvoirs du juge
Le juge des libertés et de la détention et le président de la chambre de l'instruction saisi sur recours, statuant sur le fondement de l'article 56-1 du code de procédure pénale, sont compétents pour apprécier la suffisance des motifs de l'ordonnance autorisant la perquisition dans le cabinet d'un avocat ou à son domicile, relatifs à la nature des infractions sur lesquelles portent les investigations, les raisons justifiant la perquisition et l'objet de celle-ci, ce, afin de s'assurer que le bâtonnier est en mesure d'exercer la mission de protection des droits de la défense qui lui est dévolue par le même article(Crim. 8 juill. 2020, n° 19-85.491), la compétence de ces magistrats est limitée à l'examen de la contestation élevée par le bâtonnier portant sur l'atteinte aux droits de la défense qui résulterait de la saisie de documents relevant de l'exercice desdits droits et couverts par le secret professionnel de la défense et du conseil. Il n'entre pas dans l'office de ces magistrats d'apprécier la proportionnalité d'une telle perquisition au regard de la nature et de la gravité des faits. Ce contrôle ressortit, en effet, à la chambre de l'instruction statuant sur le fondement des articles 170 et suivants du code de procédure pénale qui lui défèrent le contrôle de l'entière procédure, ainsi qu'il se déduit de l'article 56-1, alinéa 7, du code de procédure pénale. En outre, les éléments devant figurer dans l'ordonnance autorisant une telle perquisition, relatifs à la nature de l'infraction ou des infractions sur lesquelles portent les investigations, aux raisons justifiant cette mesure et à l'objet de celle-ci, suffisent à garantir l'exercice, par le bâtonnier, de sa mission de protection des droits de la défense, aucune raison ne justifiant la communication de la procédure d'instruction, couverte par le secret. (Crim. 11-03-2024, n° 24-82.517)
Précisions sur la protection du secret de la défense dans un autre lieu que le cabinet ou le domicile d’un avocat
L’article 56-1-1 du code de procédure pénale étend à un autre lieu que le cabinet ou le domicile d’un avocat la protection d’un document relevant de l’exercice des droits de la défense et couvert par le secret professionnel. Cependant, cet article ne s’applique que dans le cadre d’une perquisition, et ne peut s’appliquer lorsqu’il s’agit d’une remise volontaire lors d’une convocation. En outre, la saisie d'un téléphone n'est pas de nature à induire la mise en oeuvre des dispositions de l'article 56-1-1 précité dès lors qu'un tel objet ne constitue pas un document au sens de l'alinéa 2 de l'article 56-1 du code de procédure pénale. A supposer le juge des libertés et de la détention saisi à tort, il ne saurait, pas plus que le président de la chambre de l'instruction statuant sur recours, ordonner une expertise afin d'y rechercher la présence éventuelle de documents relevant de ces dispositions (Crim. 11-03-2025, 24-80.926).
Conditions d’autorisation d’une perquisition et de saisies au sein d’un cabinet d’avocat
Dans une affaire relative à une perquisition en cabinet d’avocat durant laquelle des saisies ont été effectuées, la Cour de cassation rend deux arrêts distincts. Dans une première décision (Crim. 11-03-2025, n°23-86.260), elle se prononce sur la saisissabilité de documents lors d’une perquisition en cabinet d’avocat. Elle précise alors que des documents, certes couverts par le secret professionnel mais ne relevant pas de l’exercice des droits de la défense demeurent saisissables, sous réserve que le président de la chambre de l’instruction s’assure que ces documents soient en lien avec l’infraction mentionnée dans la décision autorisant la perquisition.
Dans un second arrêt (Crim. 11-03-2025, n°23-86.261), la Cour rappelle qu’une perquisition en cabinet d’avocat ne peut être autorisée que s’il existe des raisons plausibles de le soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre, en tant qu’auteur ou complice l’infraction qui fait l’objet de la procédure concernée. Dans ce cas seulement, des saisies de document peuvent être effectuées, y compris lorsqu’elles révèlent la participation de l’avocat à une des infractions en cause. Or, est irrégulière la perquisition autorisée par le juge des libertés et de la détention sur les seuls motifs de la manifestation de la vérité, de sa nécessité et de sa proportionnalité au regard de la nature des faits objets de l’instruction, sans qu’il n’ait caractérisé de raisons plausibles de soupçonner l’avocat d’avoir commis les infractions concernées, ni recherché si les documents saisis relevaient ou non de l’exercice des droits de la défense. (Crim.11-03-2025, n°23-86.260, n°23-86.261)
Utilisation de données issues de logiciels étranger dans une enquête pénale
Dans une affaire de pédopornographie, un enquêteur est habilité à utiliser le logiciel américain « Child Protection System » qui permet d’obtenir l’adresse IP d’utilisateurs suspectés de consulter du contenu pédopornographique. L’utilisation de ce logiciel est contestée par le mis en cause pour des raisons de traitement de données personnelles par un Etat étranger, à savoir les Etats-Unis. L'utilisation, par les autorités françaises, des données issues de ce traitement doit s'inscrire dans le cadre relatif à la protection des données, en particulier la loi du 6 janvier 1978. La cour de cassation relève que l'exploitation de ces données a été effectuée par des officiers de police judiciaire régulièrement habilités et saisis, agissant dans le cadre d'une enquête préliminaire régulière, sans provocation ni stratagème, ni détournement des règles de procédure, qui ont dressé des procès-verbaux dans les formes prescrites par le code de procédure pénale, et dont le contenu a pu être discuté contradictoirement devant les juges. (Crim. 12-03-2025, n° 23-80.407)
Stupéfiants : validité des dépistages salivaires
Il résulte des article L. 235-1 et L. 235-2 du code de la route que les épreuves de dépistage réalisées aux fins de rechercher si le conducteur d'un véhicule a fait usage de stupéfiants ont pour seul objet d'établir une présomption d'usage de stupéfiants, et d'autoriser, au cas où elles s'avèrent positives, l'agent ou l'officier de police judiciaire à procéder à des vérifications, sous forme de prélèvements, dont l'analyse pourra permettre d'établir l'infraction. Ainsi, les officiers ou agents de police judiciaire qui procèdent à une épreuve de dépistage ne sont pas tenus de justifier de la fiabilité du test, de sa validité, ou des conditions dans lesquelles le dépistage a été pratiqué. Méconnait ces textes la cour d’appel qui pour accueillir l’exception de nullité d’un test salivaire et prononcer la relaxe d’un prévenu, retient que la procédure ne mentionne ni la marque, ni le numéro, ni la date de validité du kit de dépistage salivaire utilisé le 3 février 2019 par les gendarmes à l'occasion du contrôle routier. (Crim. 12-03-2025, n° 24-82.925)
Sécurité intérieure
CEDH : Analyse du recours à la force meurtrière par le GIGN
Un évadé est tué par le GIGN lors de son interpellation. L’individu, plusieurs fois condamné et incarcéré, était en cavale et se cachait dans une dépendance de la maison familiale au moment de l’opération. Menaçant les gendarmes avec un couteau, ceux-ci ont fait usage de leur arme de poing après avoir tenté de le neutraliser avec un taser. Deux des gendarmes ont été mis en examen. Après un non-lieu prononcé par le juge d’instruction confirmé par la chambre de l’instruction, et un pourvoi déclaré non admis, les proches du défunt saisissent la CEDH soutenant que le recours à la force meurtrière par les gendarmes est contraire l’article 2 de la convention. La Cour rappelle en particulier que le recours à la force meurtrière par les forces de l’ordre peut se justifier dans certaines conditions. Elle va ensuite procéder à une analyse approfondie. La Cour relève que les investigations relatives au décès de A. G. ont été menées avec un soin tout particulier par les autorités internes. Les agents suspectés ont été placés en garde à vue quelques heures après les faits. Une information judiciaire a été ouverte et a été menée avec diligence. Aucune lacune procédurale n’est relevée. Les déclarations des gendarmes relevées séparément sont concordantes sur les évènements et sont corroborées par les investigations de police scientifique. La cour considère donc qu’elle n’a pas à s’écarter de la version des faits retenue par les juridictions internes. Elle relève que la conviction de ces deux agents était subjectivement raisonnable et que leur décision de faire usage de leurs armes de poing pouvait, dans les circonstances de l’espèce, quelles qu’en fussent les conséquences, passer pour justifiée et absolument nécessaire « pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ». S’agissant de la préparation et du contrôle de l’opération, la Cour constate que l’interpellation de A. G. a été confiée à une unité d’intervention spécialement entraînée, habituée à gérer des situations périlleuses et complexes, que le nombre d’agents était suffisant, qu’ils étaient dotés d’un armement intermédiaire, qu’ils ont agi de façon coordonnée, sans rupture de la chaîne de commandement. Elle conclut que le décès de A. G. n’est pas imputable à une quelconque défaillance dans la préparation ou dans le contrôle de l’opération d’interpellation. Dans ces conditions, aucune violation de l’article 2 n’est relevée. (CEDH 6-03-2025 AFFAIRE G. ET AUTRES c. France n° 2474/21)
Pour aller plus loin : voir la revue AJ pénal