Droit pénal spécial
Constitutionnalité de l’incrimination de participation à une entreprise de démoralisation de l’armée
L’incrimination, à l’article 413-4 du code pénal, de la participation à une entreprise de démoralisation de l’armée en vue de nuire à la défense nationale est conforme à la Constitution. En particulier, l’alinéa 1er de ce texte respecte le principe de légalité des délits et des peines, dès lors qu’il ne revêt pas un caractère équivoque et est suffisamment précis pour garantir contre le risque d’arbitraire. En outre, il ne porte pas à la liberté d’expression et de communication une atteinte qui ne serait pas nécessaire, adaptée et proportionnée à l’objectif poursuivi, à savoir la sauvegarde de l’ordre public et des intérêts fondamentaux de la Nation. Selon le Conseil constitutionnel, l’article précité n’a en effet ni pour objet ni pour conséquence de faire obstacle à l’expression d’opinions portant sur des interventions militaires ou la défense nationale. (Cons. const. .17-01-2025, n° 2024-1117/1118 QPC)
Le harcèlement moral peut être institutionnel !
Par un important arrêt du 21 janvier 2025, la chambre criminelle consacre la notion de « harcèlement moral institutionnel ». Elle admet ainsi la possibilité de condamner les dirigeants d’une société, sur le fondement de la loi réprimant le « harcèlement moral au travail » (C. pén., art. 222-33-2, dans sa version résultant de la loi n° 2002-73 du 17-01-2002), pour avoir, en connaissance de cause, défini et mis en œuvre une politique générale d’entreprise ayant pour objet ou effet une dégradation des conditions de travail des salariés, susceptible de porter atteinte aux droits et à la dignité de ces derniers, d'altérer leur santé physique ou mentale ou de compromettre leur avenir professionnel.
L’affaire concerne la société France Télécom (devenue Orange), qui, au milieu des années 2000, avait instauré en son sein une politique de déflation des effectifs visant à détériorer les conditions de travail afin de contraindre les salariés à la mobilité ou au départ. Une vague de suicides s’en était notamment suivie.
La chambre criminelle juge que l’élément légal de l'infraction de harcèlement moral n'exige pas que les agissements répétés s'exercent à l'égard d'une victime déterminée ou dans le cadre de relations interpersonnelles entre leur auteur et la ou les victimes appartenant à la même communauté de travail.
Elle souligne de surcroît que le harcèlement moral institutionnel peut être considéré comme entrant dans les prévisions de l'article 222-33-2 du code pénal, et est dès lors susceptible d'être opposé aux prévenus, sans que le principe de prévisibilité juridique s’en trouve méconnu. En effet, l’application de cette interprétation prétorienne de l’incrimination à une situation nouvelle, qui ne constitue pas un revirement de jurisprudence, n'était pas imprévisible, à plus forte raison pour des professionnels pouvant s’entourer des conseils éclairés de juristes.
Par ailleurs, cette solution n’est pas sans incidence en termes de complicité du délit : celle-ci peut être retenue à l'encontre de l'ensemble des salariés, puisque la société concernée ainsi que ses dirigeants ont été déclarés coupables pour des agissements touchant l'ensemble des membres de la communauté de travail en question. (Crim. 21-01-2025, n° 22-87.145, FS-B+R)
Procédure pénale
Violences intrafamiliales : modalités du dispositif d’ordonnance provisoire de protection immédiate
Nouvel outil de lutte contre les violences intrafamiliales, le dispositif d’ordonnance de protection immédiate a été créé par la loi n° 2024-536 du 13 juin 2024. Un décret et une circulaire en précisent les conditions et modalités de mise en œuvre. (Décr n° 2025-47 du 15-01-2025 relatif à l’ordonnance de protection et à l’ordonnance provisoire de protection immédiate ; Circ. JUSC2500920C du 16-01-2025 de présentation du décret)
Qualification procédurale de l’interception de messages échangés sur une messagerie privée
La captation de flux échangés entre des serveurs informatiques ne constitue pas une captation de données informatiques imposant une ordonnance motivée l’autorisant spécifiquement (C. pr. pén., art. 706-102-1).
Lorsque les enquêteurs ne captent pas les données stockées sur les serveurs, mais interceptent les flux échangés par l'intermédiaire de réseaux de télécommunication, il s’agit d’une interception de correspondances électroniques, relevant des articles 100 et suivants du code de procédure pénale. Les enquêteurs avaient en l’espèce intercepté des messages échangés sur la messagerie privée canadienne Sky Ecc. (Crim. 14-01-2025, n° 24-84.110, F-B)
Limites des pouvoirs du JLD en matière de rectification d’erreur matérielle
Le juge des libertés et de la détention (JLD) qui a rendu une ordonnance de prolongation de la détention provisoire ne peut prendre une ordonnance rectificative que pour réparer une erreur purement matérielle. Il ne saurait, sans excès de pouvoir, modifier le sens et la portée de sa décision, en empiétant sur les attributions que la chambre de l'instruction exerce, sous le contrôle de la Cour de cassation.
En l’espèce, le JLD ne pouvait rectifier son ordonnance qui prévoyait la libération d’un détenu en ajoutant que la mise en liberté n’interviendrait qu’à l’issue du mandat de dépôt. Le libellé de l’intitulé de l’ordonnance (en l’occurrence, « ordonnance de refus de prolongation de la détention provisoire et de placement sous contrôle judiciaire à l'expiration du mandat de dépôt ») ne peut justifier une modification du dispositif. (Crim. 15-01-2025, n° 24-85.977, F-B)
Irrégularité de la détention provisoire : libération obligatoire
Lorsque, saisi aux fins de prolongation de la détention provisoire, le JLD décide, non seulement de refuser de prolonger la détention, mais encore de mettre la personne concernée en liberté avant l'expiration du délai prévu par les articles 145-1 et 145-2 du code de procédure pénale, celle-ci doit être immédiatement libérée, sauf mise en œuvre de la procédure de référé-détention prévue par l'article 148-1-1 du même code.
En l’espèce, la chambre de l’instruction ne pouvait pas se prononcer sur la prolongation de la détention provisoire de la personne détenue irrégulièrement depuis une ordonnance de refus de prolongation et de mise en liberté avant la date de fin du mandat de dépôt, mais devait la remettre en liberté. (Crim. 15-01-2025, n° 24-85.977, F-B, préc.)
Moment du renouvellement de mesures d’interception de correspondances et de géolocalisation
Les mesures d’interception de correspondances électroniques et de géolocalisation en temps réel expirent à l’issue du délai fixé par la décision les autorisant, selon les modalités de calcul indiquées. Dans le silence de la décision, le point de départ se situe à la date de mise en place du dispositif technique nécessaire.
En l’espère, la chambre criminelle casse l’arrêt qui déclare régulier le renouvellement, le 8 février 2022, de mesures d'interception et de géolocalisation décidées par le juge le 7 octobre 2021 « pour une durée de quatre mois à compter de ce jour », alors que, conformément à cette mention, ces mesures avaient expiré le 7 février 2022. (Crim. 21-01-2025, n° 24-83.370, F-B)
Géolocalisation : nullité conditionnée à l’atteinte effective à la vie privée
Les dispositions de l'article 230-34, alinéa 1er, du code de procédure pénale, qui soumettent à autorisation du procureur de la République ou du juge d'instruction l'introduction dans un lieu privé destiné ou utilisé à l'entrepôt notamment de véhicules, ou dans un véhicule situé sur la voie publique ou dans un tel lieu, afin de mettre en place ou de retirer un moyen technique de géolocalisation (en l’espèce, la pose d’une balise sur un véhicule garé sur le parking d’une résidence), ont pour objet la protection de la vie privée. Leur méconnaissance ne constitue pas une nullité d'ordre public, mais une nullité d'ordre privé, qui ne cause pas nécessairement grief à la personne concernée. En cas de non-respect de ces dispositions, il appartient donc au requérant d'établir qu'une telle irrégularité lui a causé effectivement un grief. (Crim. 22-01-2025, n° 23-85.709, F-B)
Désistement d’appel : quid de l’effet dévolutif ?
C’est dans la limite fixée par l'acte d'appel et par la qualité de l'appelant qu’une affaire est dévolue à la cour d'appel. Le désistement d'appel du prévenu, qui peut être rétracté, ne dessaisit le juge du second degré que si sa régularité a été constatée et qu'il en a été donné acte.
En l’espèce, les juges ne pouvaient donc débouter la partie civile de ses demandes au titre de l'action civile sans s'interroger sur l'incidence de l'absence d'appel de la société prévenue et du désistement d'appel d’un des autres prévenus, alors que le jugement ayant condamné solidairement les intéressés à indemniser ladite partie civile était devenu définitif à leur égard. (Crim. 21-01-2025, n° 22-87.145 FS-B+R, préc.)
Peine et exécution des peines
Justification de la saisie d’un bien objet d’un démembrement de propriété
La peine de confiscation peut porter sur tout ou partie des biens, quelle qu'en soit la nature - meubles ou immeubles, divis ou indivis -, appartenant au condamné, ainsi que sur ceux qui, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, sont à sa libre disposition.
Lorsque le juge ordonne la saisie d'un bien à la libre disposition d'une personne sur le fondement de la saisie de patrimoine (en l’occurrence un immeuble dont la nue-propriété est détenue par deux enfants mineurs et l’usufruit par leur père), il doit, après avoir établi que les tiers titulaires de droits sur ce bien ne sont pas de bonne foi, apprécier d'office le caractère proportionné de l'atteinte portée par la mesure au droit de propriété tant de la personne ayant la libre disposition du bien saisi que des tiers faisant valoir des droits sur ce bien (Premier Protocole additionnel à la Conv. EDH, art. 1er et C. pén., art. 131-21, al. 6). (Crim. 15-01-2025, n° 24-80.694, FS-B)
Peine correctionnelle : motivation non requise pour le délai de probation
L'exigence selon laquelle, en matière correctionnelle, toute peine doit être motivée, s'applique au choix de la peine et non au choix de sa modalité que constitue le délai d'épreuve prévu à l'article 132-42 du code pénal, que le juge de l'application des peines peut modifier. Le demandeur ne saurait donc se faire un grief de ce que la cour d'appel n'a pas spécialement motivé la durée du délai de probation de la peine d'emprisonnement avec sursis probatoire prononcée à son encontre. (Crim. 22-01-2025, n° 24-81.201, F-B)
Prononcé d’une suspension de peine pour raison médicale
La Cour de cassation indique qu’il entre dans l'office du juge saisi d'une demande de suspension de peine de rechercher si le maintien en détention de l'intéressé n'est pas constitutif d'un traitement inhumain ou dégradant en raison de son incompatibilité avec les garanties qui lui sont dues pour protéger sa santé, indépendamment du recours qu'il pourrait exercer sur le fondement de l'article 803-8 du code de procédure pénale.
Elle réaffirme par ailleurs que si l'article 720-1-1 de ce code dispose que la suspension de peine peut être ordonnée pour les condamnés dont il est établi qu'ils sont atteints d'une pathologie engageant le pronostic vital ou que leur état de santé physique ou mentale est durablement incompatible avec le maintien en détention, ce texte n'est applicable qu'aux condamnés dont le pronostic vital est engagé à court terme. (Crim. 22-01-2025, n° 23-86.433 F-B)
Pour aller plus loin : voir la revue AJ pénal