Droit pénal international
Publication de la directive relative à la traite des êtres humains
Ce texte modifie la directive en date du 5 avril 2011 qui établit des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions dans le domaine de la traite des êtres humains. Il ajoute par exemple à la liste des infractions liées à la traite des êtres humains l’exploitation de la gestation pour autrui, le mariage forcé et l’adoption illégale. La directive impose aux Etats de prévoir dans leurs législations nationales une circonstance aggravante de diffusion d’images, de vidéos ou de matériel similaire à caractère sexuel impliquant la victime d’une infraction liée à la traite. Elle élargit également le régime de sanctions applicables aux personnes morales qui peuvent notamment être exclues de l’accès aux financements publics. L’utilisation d’un service fourni par une victime de la traite des êtres humains doit constituer une infraction pénale lorsque la victime est exploitée pour fournir ce service et que l’utilisateur a connaissance du fait que la personne fournissant le service est une victime de la traite. Les Etats membres ont jusqu’au 15 juillet 2026 pour transposer la directive. (Directive [UE] 2024/1712 du Parlement européen et du Conseil du 13-06-2024 modifiant la directive 2011/36/UE concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes)
Crimes contre l’humanité, compétence universelle et immunité
Par une décision du 26 juin 2024, la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris a rejeté la requête en nullité formée par le parquet national antiterroriste concernant la régularité du mandat d’arrêt émis à l’encontre du président syrien Bacha AL ASSAD par les juges d’instruction, dans le dossier des attaques chimiques perpétrées à Adra et Douma en 2013. La chambre de l’instruction estime que les crimes internationaux dont sont saisis les juges d’instruction ne peuvent être considérés comme faisant partie des fonctions officielles d’un chef d’État. Par conséquent, l’immunité personnelle coutumièrement attachée aux Présidents, premiers Ministres et ministres des Affaires étrangères en exercice de chaque État pour les actes de souveraineté ne peut faire obstacle à la poursuite de tels crimes par les juridictions françaises.
Droit pénal spécial
Harcèlement moral : caractérisation des éléments matériel et intentionnel
Se rend coupable de harcèlement moral la directrice d’un hôpital dont les propos et les comportements répétés, confortés par de nombreux témoignages de personnels de l'établissement, ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail des salariés, ce dont elle avait nécessairement conscience compte tenu du contexte, ayant été informée, notamment par l'inspection du travail, de l'existence d'une souffrance au travail en lien avec un problème managérial. (Crim. 25-06-2024, n° 23-83.613 F-B)
Justice
Information du magistrat de son droit au silence en matière disciplinaire
Le Conseil constitutionnel considère que les dispositions de l’article 52 de l’ordonnance n° 58 1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, dans sa rédaction résultant de la loi organique du 22 juillet 2010, et de l’article 56 de la même ordonnance, dans sa rédaction résultant de la loi organique du 25 juin 2001, méconnaissent les exigences de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, duquel résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. En effet, ces dispositions ne prévoient pas que le magistrat mis en cause dans le cadre d’une procédure disciplinaire doit être informé de ce droit lors de son audition par le rapporteur ainsi que lors de sa comparution devant le conseil de discipline. Elles sont donc contraires à la Constitution et, par suite, abrogées (l’inconstitutionnalité concernant les mots « le rapporteur entend ou fait entendre le magistrat mis en cause » figurant au premier alinéa de l’art. 52 précité, d’une part, et les mots « le magistrat déféré est invité à fournir ses explications et moyens de défense sur les faits qui lui sont reprochés » figurant au premier alinéa de l’art. 56, d’autre part).
S’agissant de l’article 56, la date de l’abrogation est reportée au 1er juillet 2025, le conseil de discipline devant entre-temps informer de son droit de se taire le magistrat qui comparaîtrait devant lui. (Cons. const. 26-06-2024, n° 2024-1097 QPC).
Procédure pénale
Précisions sur la plainte en ligne
Un décret du 18 juin liste les infractions pour lesquelles il est possible de porter plainte en ligne : vol, destructions, dégradations, détériorations, délit de fuite, contraventions contre les biens (C. pr. pén., art. D. 8-2-1). Il précise également les modalités du recours à un outil de traduction automatique lorsque la personne qui porte plainte en ligne parle une langue étrangère (C. pr. pén., art. D. 8-2-2). (Décr. n° 2024-563 du 18-06-2024 relatif au champ infractionnel des plaintes adressées par voie électronique et aux modalités du recours à un outil de traduction automatique dans le traitement des plaintes adressées par voie électronique)
Circulaire sur les dispositions de procédure pénale de la loi DDADUE
Une circulaire du 14 juin 2024 présente les dispositions de procédure pénale de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne, dite loi DDADUE. Ces mesures concernent pour l’essentiel la phase de garde à vue et le mandat d’arrêt européen.
Dans le cadre de la garde à vue, la qualité de tiers que peut prévenir la personne gardée à vue est étendue à toute personne, quelle que soit sa qualité. Est également supprimé le délai de 2h durant lequel, si l’avocat ne se présentait pas, l’audition du gardé à vue pouvait commencer. Désormais, aucune audition sur les faits ne peut débuter sans la présence de l’avocat, sauf autorisation du procureur dans certains circonstances. En revanche, si aucun avocat ne se présente au bout de 2 heures, l’enquêteur peut saisir le bâtonnier pour qu’il désigne un avocat commis d’office. Ces dispositions sont applicables à compter du 1er juillet 2024 et le sont également à la retenue douanière.
Concernant le mandat d’arrêt européen, la loi ne permet qu’une dérogation exceptionnelle au délai de 60 jours imposé pour prendre une décision définitive sur l’exécution du mandat. Par ailleurs, elle supprime l’exigence de recueil du consentement de la personne recherchée dans le cas de son transfert temporaire à l’état d’émission. (Circulaire du 14-06-2024 de présentation des dispositions de procédure pénale des articles 32 et 33 de la loi n° 2024-364 du 22 avril 2024 portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière d'économie, de finances, de transition écologique, de droit pénal, de droit social et en matière agricole [DDADUE], NOR : JUSD2416353C)
Validité d’une perquisition en l’absence de l’occupant du domicile
La chambre criminelle juge régulière une perquisition opérée hors la présence de la personne au domicile de laquelle elle a lieu et sans que celle-ci n'ait été invitée à désigner un représentant de son choix. En l’occurrence, l'urgence d'une telle mesure, attachée à la nécessité de préserver la découverte d'objets utiles à la manifestation de la vérité après l'interpellation de cette personne, ainsi que la distance séparant le lieu d'interpellation, ont caractérisé l'impossibilité, pour l'intéressé, d'assister à la mesure, réalisée cinquante minutes après son placement en garde à vue. De surcroît, à l'heure du début de cette perquisition, les enquêteurs n'avaient pas encore pris en compte l'intéressé, placé en garde à vue dans les locaux d'une unité relevant de son lieu d'interpellation. Par ailleurs, les hauts magistrats retiennent que la prescription légale relative à la désignation d’un représentant (C. pr. pén., art. 57, al. 2, par renvoi de l'art. 96) a pour objet d'authentifier la présence effective sur les lieux des objets découverts et saisis au cours de la perquisition. Enfin, le requérant n’a en l’espèce subi aucun grief dès lors qu’il ne conteste pas la découverte des objets saisis dans son domicile. (Crim. 25-06-2024, n° 23-86.048 FS-B)
Prise de photographies d’un parking devenu le lieu de vie de gens du voyage
Le parking désaffecté d'un ancien magasin, accessible à tous, constitue un lieu public au sens de l'article 706-96 du code de procédure pénale. La circonstance qu'il serve d'aire de campement à un groupe de gens du voyage n’a pas pour effet de changer la nature de lieu public des espaces de circulation entre les caravanes. En conséquence, la prise de photographies par les enquêteurs d'une personne présente en ces lieux n'a pas à être préalablement autorisée par un magistrat sur le fondement des articles 706-95-12 et 706-96 dudit code. De plus, dès lors qu’elle est dépourvue de caractère permanent et systématique, elle ne saurait caractériser une ingérence dans l'exercice du droit au respect de la vie privée au sens de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme. (Crim. 25-06-2024, n° 23-86.048 préc.)
Correspondance avocat-client : objet et invocation de l’insaisissabilité
Les échanges préalables à la saisine d'un avocat sans que celui-ci n'en soit l'émetteur ou le destinataire peuvent être saisies, l’insaisissabilité concernant uniquement les communications entre le praticien et son client qui relèvent de l'exercice des droits de la défense.
Par ailleurs, il incombe à la partie qui invoque la protection des correspondances y afférentes d'identifier précisément ces pièces et d'exposer, pour chacune, les raisons pour lesquelles elle ne pouvait être saisie. (Crim. 25-06-2024, n° 23-81.491 F-B)
Autorité de la concurrence : objet et contestation des saisies
Une messagerie électronique, élément indivisible, peut être saisie dans sa totalité dès lors qu'elle comprend des documents pertinents pour l'enquête.
Par ailleurs, un salarié considérant que les saisies opérées portent atteinte à sa vie privée a, seul, qualité pour contester ces dernières. S’agissant de la réglementation économique et, en l’occurrence, de saisies réalisées par l'Autorité de la concurrence, il ne peut toutefois contester l'ordonnance autorisant celles-ci à moins d'être personnellement mis en cause au sens de l'article L. 450-4 du code de commerce.
Enfin, il appartient à la partie qui soutient que des documents sans lien avec l'enquête ont été saisis, et qui souhaite en obtenir la restitution, de les identifier précisément et d'exposer en quoi lesdits documents ne sont pas susceptibles d'être pertinents. (Crim. 25-06-2024, n° 23-81.491 préc.)
Action civile : le CSE doit justifier d'un préjudice personnel
Le comité social d'établissement (CSE), venant aux droits du comité d'hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), n'a pas pour mission de représenter les différentes catégories du personnel, ni les intérêts généraux de la profession, et ne tient d'aucune disposition de la loi le droit d'exercer les pouvoirs de la partie civile sans avoir à apporter la preuve d'un préjudice personnel découlant directement des infractions poursuivies, y compris en matière de conditions de travail. (Crim. 25-06-2024, n° 23-83.613 F-B)
Appréhension d'un délinquant versus immixtion dans une fonction publique
Aux termes de l'article 73 du code de procédure pénale, toute personne a qualité pour appréhender l'auteur d'un crime ou d'un délit flagrant et le conduire devant l'officier de police judiciaire le plus proche. Il en résulte notamment qu'un tel pouvoir de contrainte ne peut être régulièrement exercé par un particulier au cas où l'arrestation peut être ou est réalisée par un agent des forces de l'ordre, en l'absence de réquisition de la part de ce dernier.
Est dès lors justifiée la déclaration de culpabilité des chefs d'immixtion dans une fonction publique et de violences en réunion, au vu, d’une part, de la participation des prévenus à des opérations de maintien de l'ordre et d'interpellation, sans aucune nécessité, compte tenu de la présence sur les lieux de membres des forces de l'ordre en nombre suffisant au regard de la situation, et de l'accomplissement abusif, par ces prévenus, d'actes relevant des attributions réservées aux militaires de la gendarmerie nationale et aux fonctionnaires de la police nationale, ainsi que, d’autre part, des éléments constitutifs de violences. (Crim. 26-06-2024, n° 23-85.825 F-B)
Garde à vue : règles applicables à la confrontation
La notification du droit de garder le silence, régulièrement faite lors du placement en garde à vue, n'a pas à être renouvelée lors d’une confrontation.
Dans les faits, la personne gardée à vue avait été entendue à plusieurs reprises, en présence d'un avocat commis d'office, qui était également présent au début de la confrontation organisée à 22 heures. Pendant cet acte, à 23 heures 30, l'avocat a quitté les locaux de garde à vue. La confrontation s'est poursuivie sans avocat jusqu'au lendemain, à 2 heures du matin.
La chambre criminelle confirme que la confrontation ne peut être annulée au motif que l’avocat de la personne gardée à vue n’y a pas assisté jusqu’à son terme, dès lors que cela résultait d’un choix de ce dernier (Crim. 26-06-2024, n° 23-86.945 F-B).
Garde à vue : preuve du grief en cas d’irrespect du droit d’avertir l’employeur
Le prononcé d'une annulation fondée sur la méconnaissance des dispositions de l'article 63-2 du code de procédure pénale suppose la démonstration, par le demandeur, d'un grief. En ce qui concerne l'absence ou la tardiveté de l'avis donné à l'employeur, ce grief ne peut être établi que lorsque ces circonstances ont empêché ou gêné l'exercice du droit à l'assistance d'un avocat. (Crim. 26-06-2024, n° 23-84.154 F-B)
Peine et exécution des peines
Promulgation de la loi améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels
Si la mesure phare de cette loi promulguée le 24 juin est bien la confiscation automatique des biens saisis qui sont l’objet, le produit ou l’instrument de l’infraction, elle prévoit également l’expulsion automatique de la personne condamnée de son logement confisqué, excepté s’il contient des locataires de bonne foi. La loi simplifie la procédure de contestation des saisies de biens meubles et étend l’affectation gratuite des biens saisis aux services de l’administration pénitentiaire et à l’AGRASC, et des biens confisqués aux services judiciaires et d’enquête. Du côté des victimes, elle prévoit une meilleure indemnisation dont l’assiette est maintenant fixée sur l’ensemble des biens saisis. Enfin, le texte ajoute une obligation à la Convention judiciaire d’intérêt public : celle du dessaisissement au profit de l’État de tout ou partie des biens saisis. (L. n° 2024-582 du 24-06-2024 améliorant l'efficacité des dispositifs de saisie et de confiscation des avoirs criminels)
Cour d'assises et période de sûreté : quand la majorité n’est pas la bonne…
C'est à tort que, pour fixer la durée d’une période de sûreté, une cour d'assises s’est prononcée en appel non pas à la majorité absolue mais à la majorité qualifiée de huit voix au moins, celle-ci n’étant requise que pour le prononcé du maximum de la peine privative de liberté (C. pr. pén., art. 362). Faute d'intérêt, l’accusé ne saurait toutefois se plaindre de ce que ces décisions ont été prises à une majorité des votes supérieure à celle exigée par la loi. Par ailleurs, l'énonciation selon laquelle ces votes ont été acquis à la majorité de huit voix au moins ne porte aucune atteinte au secret des délibérations. (Crim. 26-06-2024, n° 23-84.553 F-B)
Cour d'assises etaltération du discernement : quand la loi devient plus sévère…
La modification de l’article 362, alinéa 2, du code de procédure pénale, issue de la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021, est plus sévère en ce qu'elle permet désormais, si la peine maximale de trente ans n'a pas été prononcée, de prononcer une peine entre vingt et trente ans de réclusion criminelle, ce qui n'était pas possible auparavant. Aussi ne peut-elle recevoir application que pour les faits commis après son entrée en vigueur, le 1er mars 2022.
Méconnaît donc ce principe, ainsi que les articles 112-1, alinéa 2, 221-4, et 122-1 du code pénal, la cour d’assises statuant en appel qui, après avoir déclaré l’accusé coupable de meurtre sur ascendant, commis entre le 28 et le 29 septembre 2018, et constaté l'altération de son discernement, sans exclure ledit accusé du bénéfice de la diminution de peine, condamne celui-ci à vingt-cinq ans de réclusion criminelle. Par suite de la diminution de peine, le maximum de la peine encourue était en effet de trente ans de réclusion criminelle, ce qui, au regard de la date des faits, interdisait le prononcé d'une peine de réclusion criminelle d'une durée comprise entre vingt et trente ans. (Crim. 26-06-2024, n° 23-81.962 F-B)
Pour aller plus loin : voir la revue AJ pénal