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Le site internet « demander justice » ne porte pas atteinte au monopole des avocats

La cour d'appel de Paris juge que les prestations proposées par le site « www.demanderjustice.com » ne constituent pas des activités d'assistance juridique, de représentation et de conseil juridique réservées à la profession d'avocat.

CA Paris 6-11-2018 n° 17/04957


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Le site internet « www.demanderjustice.com » permet aux justiciables, moyennant le règlement d’un prix forfaitaire adapté à la prestation choisie, de faire envoyer à leur adversaire une mise en demeure à partir d’un modèle correspondant à l’objet du litige, qu’ils complètent en ligne avec les informations utiles, puis, le cas échéant, de faire saisir un tribunal d’instance ou un conseil de prud’hommes, par l'envoi au greffe de la juridiction compétente d'une déclaration signée électroniquement et accompagnée des pièces justificatives.

Le Conseil national des barreaux (CNB) et l’ordre des avocats de Paris reprochent à la société créatrice du site d'exercer à travers celui-ci une activité d’assistance juridique, de représentation et de conseil juridique réservée à la profession d’avocat et ils lui demandent, en conséquence, de cesser cette activité.

La cour d’appel de Paris rejette la demande. Elle écarte l'exercice par la société en cause de toute activité d’assistance juridique, de représentation et de conseil pour les raisons suivantes.

La société met à la disposition des internautes qui sont confrontés à un litige qu’ils ne peuvent résoudre, pour un montant et dans un domaine où le ministère d’avocat n’est pas obligatoire, un logiciel leur permettant de choisir, parmi un certain nombre de thèmes, celui qui les préoccupe pour envoyer à l’adversaire, selon le modèle proposé, une lettre de mise en demeure qui lui sera expédiée, avec la possibilité, en cas d’absence de réponse, d’adresser une déclaration de saisine de la juridiction compétente désignée par un logiciel en libre accès du ministère de la justice.

L’internaute justiciable, qui choisit librement et seul de déclencher le processus (lettre recommandée puis, le cas échéant, saisine du tribunal), manifeste sa volonté de saisir la juridiction en appuyant sur un bouton de signature électronique, laquelle est certifiée par un organisme agréé, la déclaration de saisine générée par le logiciel étant ensuite matérialisée et expédiée à la juridiction par un prestataire avec application d’une signature mécanique.

L’assistance juridique, que seul un avocat peut apporter à son client, se manifeste essentiellement par ce qu’il est convenu d’appeler une prestation intellectuelle syllogistique consistant à analyser la situation de fait personnelle au justiciable pour y appliquer ensuite la règle de droit abstraite correspondante ; en l’espèce, c’est l’internaute-justiciable qui fait seul ce travail en choisissant parmi les modèles proposés et classés celui qui convient à son cas, un peu comme le faisaient auparavant les utilisateurs de recueils de modèles de lettres prévues dans un grand nombre de situations classiques de conflits ; le site effectue ainsi une prestation matérielle de mise à disposition d’une bibliothèque documentaire et non une assistance juridique au sens précité ; l’envoi de la déclaration est également une prestation matérielle d’entreprise.

Le fait que la société recrute un personnel de juristes qualifiés s’explique par la nécessité d’offrir une documentation à jour et opérationnelle ; il n’est pas suffisamment justifié par le CNB et l’ordre des avocats de Paris, à qui une telle preuve incombe, que le personnel du service téléphonique, tenu par une charte lui interdisant expressément de le faire, aurait dépassé sa mission de simple renseignement sur le fonctionnement du site et donné des conseils d’ordre juridique personnalisés assimilables à de l’assistance juridique interdite.

La lettre de mise en demeure n’est pas remplie par la société qui en fournit seulement un modèle, de sorte qu’il n’est pas possible de lui reprocher de rédiger un acte juridique.

Il n’y a pas non plus de représentation juridique car le justiciable ne donne pas mandat à la société de le représenter devant la juridiction saisie, cette société se bornant à faire envoyer par un prestataire une impression papier de la déclaration de saisine, signée électroniquement au préalable par le requérant, accompagnée des justificatifs de l’authentification de celle-ci et revêtue d’une signature mécanique.

La société prévient d’ailleurs les visiteurs de son site que certains tribunaux (une demi-douzaine recensée) ne considèrent pas comme valide ce mode de saisine, de sorte que, dans cette hypothèse, les clients qui se trouveraient dans cette situation rarissime auront à signer manuellement la déclaration de saisine. La société, qui exécute un contrat d’entreprise, n’effectue aucune tâche de représentation en justice qui lui serait interdite comme réservée aux avocats, une éventuelle irrégularité dans la déclaration de saisine étant indifférente à l’absence de mandat de représentation donné par le requérant, lequel, seul présent à l’audience de la juridiction, sera à même de confirmer qu’il est bien à l’origine de la démarche.

A noter : Nul ne peut, s'il n'est avocat, assister ou représenter les parties, postuler et plaider devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires (Loi 71-1130 du 31-12-1971 art. 4).

La cour d’appel de Paris a déjà défini la consultation juridique relevant du monopole de l’avocat : c'est une prestation personnalisée qui ne se borne pas à la diffusion d'une simple information de type documentaire mais tend à analyser une situation juridique, à en résoudre les difficultés quel qu'en soit le niveau de complexité et à concourir directement à la prise de décision par le client (CA Paris 18-9-2013 n° 10/25413 : RJDA 1/14 n° 5).

Ont ainsi été sanctionnées une personne qui, dans le cadre d'une activité de recouvrement de créances pour le compte d'autrui, exerçait à titre habituel des missions d'assistance et de représentation des parties devant le tribunal de commerce, alors que l'article 853 du Code de procédure civile, qui autorise les parties à se faire représenter par toute personne de leur choix devant le tribunal de commerce, ne déroge pas au monopole des avocats (Cass. 1e civ. 21-1-2003 n° 01-14.383 F-PB : RJDA 6/03 n° 671) et une société qui s'était spécialisée dans l'assistance aux victimes d'accidents de la circulation pendant la phase non contentieuse de la procédure d'offre obligatoire, qui comportait des prestations de conseil en matière juridique (Cass. 1e civ. 25-1-2017 n° 15-26.353 F-PB : RJDA 12/17 n° 785).

Sophie CLAUDE-FENDT

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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