À la suite du décès du propriétaire de plusieurs lots, survenu il y a plus de 7 ans, le syndicat des copropriétaires souhaite recouvrer les charges de copropriété impayées auprès de ses héritiers. Il demande la délivrance de l’acte de notoriété et la communication de l’identité des héritiers au notaire de la succession. Ce dernier s’y oppose en vertu du secret professionnel auquel il est tenu (Loi du 25 ventôse an XI art. 23 modifié par ord. 2000-916 du 19-9-2000). Le syndicat assigne alors le notaire en référé pour en obtenir la levée.
La cour d’appel infirme l’ordonnance du juge des référés rejetant cette demande. Elle autorise le notaire, et à défaut lui ordonne, de communiquer l’identité complète avec adresse des héritiers au syndicat des copropriétaires. Certes la délivrance de l’acte de notoriété ne pouvait pas être ordonnée, ledit acte n’ayant pu être dressé en l’absence de prise de position de certains des héritiers et d’une contestation sur leur qualité. Pour autant, dès lors qu'une autorisation judiciaire peut valablement affranchir le notaire du secret professionnel auquel il est en principe tenu au regard des intérêts légitimes en cause (l’aggravation des charges au préjudice de la trésorerie de la copropriété), celui-ci ne peut maintenir son refus devant les juridictions saisies au motif du caractère absolu du secret professionnel. La protection des intérêts privés de ses clients ne peut en aucun cas permettre à ceux-ci, tenus des dettes et des charges de la succession, de s'affranchir durablement de leurs obligations légales.
Cassation. Le secret professionnel s'impose au notaire, qui ne peut en être délié par l'autorité judiciaire que pour la délivrance des expéditions et la connaissance des actes qu'il a établis (Loi du 25 ventôse an XI art. 23 susvisé). À défaut d’acte de notoriété, le notaire ne peut pas être contraint de communiquer ni un acte qu’il n’a pas établi ni des informations qu’il détient soumises au secret professionnel.
A noter :
Rappel : « Le secret professionnel du notaire est général et absolu. Confident nécessaire de ses clients, le notaire est tenu au secret professionnel dans les conditions prévues par le Code pénal ou toutes autres dispositions législatives ou réglementaires » (Règl. national des notaires art. 3.4, al. 1 et 2). « Il doit :
[…] ;
refuser de donner communication des actes déposés en son office sauf aux parties elles-mêmes, leurs héritiers ou ayants droit ou leurs mandataires, ou toute personne autorisée par la loi ou par décision judiciaire, qui auront à justifier de leur identité et de leur qualité (loi du 25 ventôse, an XI, article 23) […] » (Règl. national des notaires art. 20, al. 1).
L’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI, au visa duquel le présent arrêt commenté a été rendu, concerne plus précisément le secret professionnel du notaire attaché aux actes qu’il reçoit. Interdiction de principe lui est faite d’en donner connaissance ou d’en délivrer copie authentique à toutes personnes autres que celles intéressées en nom direct, leurs héritiers et ayants droit. L’administration fiscale et les tiers peuvent toutefois en avoir connaissance indirectement par le biais des mesures de publicité des actes que le notaire est tenu d’accomplir, relatives aux droits d’enregistrement et à la publicité foncière (art. 23 in fine).
Le texte admet, de manière dérogatoire, la levée judiciaire du secret professionnel sur ordonnance du président du tribunal judiciaire (art. 23 in limine dans sa rédaction issue de l’ord. 2019-964 du 18-9-2019, laquelle a substitué les mots « tribunal de grande instance » par ceux de « tribunal judiciaire » sans autre modification sur le fond de ladite disposition). À cet égard, la Haute Juridiction rappelle l’une des conditions et la portée de cette levée judiciaire du secret professionnel :
- elle présuppose que l’acte ait déjà été reçu par le notaire ;
- elle voit ses effets réservés au seul acte (délivrance d’une expédition ou communication de l’acte à des tiers ; pour une illustration, TGI Marseille ord. 11-12-1998 : Defrénois 30-3-2000 n° JP2000DEF374N1 p. 374 note G. Rouzet).
La dérogation légale au secret professionnel se révèle d’interprétation stricte et la Cour de cassation semble ainsi mettre un coup d’arrêt à une application trop libérale de l’article 23 de la loi du 25 ventôse an XI tendant à accorder aux créanciers un droit de communication élargi. Elle condamne la jurisprudence en vertu de laquelle le juge des référés peut, à la demande d'un créancier, ordonner la levée du secret professionnel d'un notaire afin que celui-ci communique l'identité des héritiers du débiteur ainsi que les forces de la succession. Motif (repris, en l’espèce, par la cour d’appel) : la protection des intérêts privés des héritiers ne peut en aucun cas permettre à ces derniers de s'affranchir de leurs obligations légales de successibles, tenus des dettes et charges de la succession, et tenus d'exercer de bonne foi, chacun pour sa part, les obligations contractuelles du défunt (TGI Meaux ord. réf. 29-1-2003 : JCP N 2003 n° 1302 note J.-P. Kuhn). Condamnation fort logique, la Cour de cassation ayant affirmé « l'intangibilité du secret professionnel du notaire, lequel n'en est délié que par la loi, soit qu'elle impose, soit qu'elle autorise la révélation du secret » (à propos de la conciliation du secret professionnel du notaire et du droit à la preuve de l’art. 6 de la convention européenne des droits de l’Homme, Cass. 1e civ. 4-6-2014 n° 12-21.244 FS-PBI : RTD civ. 2014 p. 1284 note H. Barbier), même si elle pourrait être remise en cause au regard de la jurisprudence européenne (à propos du secret bancaire, CJUE 16-7-2015 aff. 580/13 : D. 2015 p. 2168 obs. C. Kleiner, RTD civ. 2016 p. 128 note H. Barbier).
Précisons qu’il est toujours possible aux bénéficiaires du secret professionnel de consentir à sa levée amiable, le notaire devant recueillir à cette fin l’autorisation expresse de chacun en ce sens.