Qu’ont en commun un notaire et un aiguilleur du ciel ? « Ils guident des individus qui partent à l’étranger ou en reviennent. Exerçant sur le sol ou territoire, ils garantissent leur sécurité grâce aux radars qui leur permettent d’analyser les situations dans leur globalité, explique Marc Cagniart, président du 115e Congrès des notaires qui se déroulera à Bruxelles du 2 au 5 juin sur le thème "L'international". Le droit international privé (DIP) surgit aujourd’hui de plus en plus souvent dans nos dossiers. Nous voulons mettre le doigt sur les difficultés pratiques rencontrées et y apporter des solutions. En effet, le notaire doit nourrir les réflexions de ses clients en situation de mobilité et faciliter leurs opérations juridiques. Il nous appartient de les assister et de les avertir ». Présentation de quatre propositions parmi celles élaborées par l'équipe après publication du rapport. Elles seront examinées en commissions du 3 au 5 juin.
Élaborer un Code de DIP français
Une des propositions consiste à rassembler dans un Code unique l’ensemble des règles d’organisation du DIP français, éparpillées selon la matière et les sujets abordés (mariage, affaires, succession, immobilier, etc.) et disséminées entre des normes nationales, européennes ou internationales. « Il faut les organiser et établir un corpus cohérent pour tous les juristes, français et étrangers afin qu’ils puissent dialoguer, explique Jean Gasté, responsable de la communication. Pierre Tarrade, rapporteur général, ajoute que « le DIP français était jusque-là un droit jurisprudentiel illisible, démodé par les conventions internationales et les règlements européens : le DIP est désormais un droit écrit. Le Code serait l'occasion d'introduire dans notre réglementation une théorie générale, de mettre de l'ordre parmi des notions discordantes tout en étant pédagogique ». Cette codification contribuerait par ricochet à diffuser les valeurs du droit continental et à faciliter à terme l’émergence d’un droit européen. Face à la compétition des systèmes juridiques, « il s’agit bien d'exporter la culture juridique française ».
Simplification et mise en cohérence font consensus, y compris du côté de la Chancellerie. Thomas Andrieu, directeur des affaires civiles et du Sceau, s’est d’ores et déjà prononcé favorablement : « la rédaction d’un Code permettrait à cette matière de ne plus être réservée à des spécialistes afin que toute personne ayant quelques notions de droit international puisse détecter les éléments d’extranéité et se poser les bonnes questions. » La proposition devrait aboutir. L’équipe évoque « un groupe de travail constitué au ministère de la justice fin 2018 ».
Bilinguisme des rendez-vous et traduction des actes notariés
Comment concilier deux impératifs que sont la rédaction des actes en langue française et leur bonne compréhension par les signataires ? Libeller les actes notariés en deux langues pour que chacune des parties en comprenne les termes est une autre proposition de l’équipe. « Le souci du notaire est de se faire comprendre alors que de nombreux actes s’adressent à des non-francophones, que ces actes peuvent circuler et être exécutoires à l'étranger. Il faut assurer leur pleine efficacité, observe Pierre Tarrade. Ce serait un signal positif à l'égard des étrangers qui seront assurés de comprendre la portée des actes juridiques conclus en France ». Certains pays sont habitués au multilinguisme et les notaires ont plus de latitude pour instrumenter en deux langues. Marc Cagniart veut « promouvoir les actes en double colonne, très répandus pour les actes sous seing privés notamment en droit des sociétés. » Solliciter les services d’un interprète lors du rendez-vous de signature est une autre pratique courante. « Un acte notarié s’apparente au procès-verbal du rendez-vous au cours duquel ont lieu des échanges nécessitant parfois des corrections en séance, rappelle un des notaires. Si une traduction préalable est utile, le recours à un interprète est indispensable ».
Reconnaître en France les trusts valablement constitués à l’étranger
L’affaire Johnny a eu le mérite de mettre en lumière les différences de traitement successoral selon les pays. « Le trust souffre d'un ostracisme juridique en raison de ce qu'il symbolise et parce qu'il défie notre culture », déplore Pierre Tarrade qui aimerait que les trusts soient traités de façon uniforme par les services de publicité foncière. Le notariat ne revendique pas pour autant la création du trust en droit français. « Soyons clairs, on n’en veut pas, confirme Jean Gasté. Mais les notaires doivent pouvoir l’appliquer. Il suffirait que la France ratifie la convention de La Haye signée en 1985, à l'instar de pays frontaliers tels que les Pays-Bas ou l'Italie notamment ». Le Code général des impôts reconnaît et taxe les trusts. « Donnons-lui tous ses effets », plaide le rapporteur.
Promouvoir le certificat successoral européen (CSE)
Le CSE est un document reconnu dans 25 États membres de l’Union européenne. Destiné à circuler entre les États où le défunt détenait des biens, il permet de garantir la qualité et les droits de l’héritier à l’étranger. Dans les pays dans lesquels il peut être établi, il est proposé de créer un fichier permettant une interconnexion de nature à favoriser une meilleure communication quant à l’existence d’un CSE. La mise en œuvre de cette proposition implique une modification des dispositions européennes. « Notre équipe s’adresse aux pouvoirs publics français, mais également à l’Union européenne et à la conférence de la Haye, explique Marc Cagniart. Après 5 ans d’application du CSE, nous livrons notre retour d’expérience ».
Alexandra DESCHAMPS
Pour aller plus loin : voir Solution Notaire Hebdo (SNH 20/18 inf. 10 ; SNH 10/19 inf. 11 et SNH 17/19 inf. 15)