1. Un syndicat obtient d’un juge des référés une ordonnance interdisant à une société, sous astreinte, de faire travailler ses salariés le dimanche dans plusieurs établissements, faute de posséder les autorisations administratives nécessaires.
Considérant que la société n’a pas respecté cette interdiction, il saisit à nouveau la justice afin de demander la liquidation de l’astreinte et le paiement d’une provision au titre du préjudice porté à l’intérêt collectif des salariés. Pour établir la preuve du manquement de l’employeur, il produit notamment des photocopies de documents relatifs au décompte de la durée du travail au sein de l’entreprise faites par un délégué du personnel.
2. La cour d’appel déboute le syndicat de ses demandes. Pour les juges du fond, la consultation prévue par l’article L 3171-2 du Code du travail au bénéfice des délégués du personnel exclut toute appropriation par ces derniers des documents appartenant à la société et donc ne donne aucune possibilité de photographie des documents et encore moins de production en justice.
En outre, elle considère que les photographies, dans les locaux des établissements, des contrats de travail, bulletins de salaires et lettres des salariés se portant volontaires pour le travail le dimanche, contenant des données personnelles de salariés, ne constituent pas des moyens de preuve admissibles en l’absence de d’accord de ces salariés.
Le syndicat peut produire des documents comportant des données personnelles…
3. La Cour de cassation censure la décision des juges du fond. Pour elle, l’article L 3171-2 du Code du travail, qui autorise les délégués du personnel à consulter les documents nécessaires au décompte de la durée de travail, des repos compensateurs acquis et de leur prise effective, n’interdit pas à un syndicat de produire ces documents en justice.
La copie des documents que les délégués du personnel ont pu consulter en application de ce texte constitue un moyen de preuve licite.
A noter Selon la note explicative de l’arrêt, diffusée par la Cour de cassation sur son site internet, cette solution se justifie par la nécessité de permettre aux syndicats d’exercer la mission de défense des droits et intérêts des salariés dont ils sont investis.
… même si cela porte atteinte à la vie personnelle des salariés
4. La production en justice des documents concernés soulevait toutefois une seconde difficulté dans la mesure où ces derniers faisaient apparaître des éléments de la vie personnelle de salariés non parties au procès. Sur ce point, la Cour de cassation exerce dans cet arrêt un contrôle de proportionnalité entre le droit de la preuve et le droit au respect de la vie privée.
Au visa notamment des articles 6 et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, la chambre sociale énonce le principe selon lequel le droit à la preuve peut justifier la production d’éléments portant atteinte à la vie personnelle d’un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l’exercice de ce droit et que l’atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
Elle décide qu’au cas d’espèce, le délégué du personnel ayant recueilli les documents litigieux dans l’exercice de ses fonctions de représentation afin de vérifier si la société respectait la règle du repos dominical et se conformait à la décision de justice lui interdisant de faire travailler ses salariés le dimanche, la production de tels documents ne portait pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie personnelle des salariés au regard du but poursuivi. Concrètement, du fait du caractère proportionné de cette atteinte, le syndicat pouvait donc valablement produire en justice des documents en cause sans avoir besoin de recueillir l’accord des salariés concernés.
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Social no 29745