Un père consent à sa fille une donation portant sur l’usufruit viager de parts d’une société en nom collectif. La donataire apporte cet usufruit à une société par actions simplifiée. L’acte d’apport prévoit que celui-ci est réalisé pour 30 ans, durée maximale de l’usufruit accordé aux personnes morales en vertu de l’article 619 du Code civil.
L’administration fiscale estime applicables les dispositions de l’article 13, 5 du CGI qui prévoient que le produit résultant de la première cession à titre onéreux d'un usufruit temporaire est imposable au nom du cédant dans la catégorie de revenus à laquelle se rattache, au jour de la cession, le bénéfice ou revenu procuré ou susceptible d'être procuré par le bien ou le droit sur lequel porte l'usufruit temporaire cédé. Elle assujettit la valeur d’apport de l’usufruit des parts, soit 1 248 000 €, à l’impôt sur le revenu dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux.
L’apporteuse conteste cette analyse en faisant valoir que si l’acte de constitution de la SAS relatif aux apports prévoit une durée de 30 ans, cette durée, qui correspond à la durée maximale prévue par les dispositions de l’article 619 du Code civil, n’a pas dénaturé le caractère viager de l’usufruit apporté, dès lors qu’en cas de décès avant l’expiration de la période de 30 ans, cet usufruit s’éteindrait.
Le tribunal administratif juge que cette circonstance n’est pas de nature à remettre en cause le caractère temporaire de l’usufruit apporté à la SAS, dès lors que l’acte d’apport spécifie une durée fixe. Il estime que c’est à bon droit que l’administration a fait application des dispositions de l’article 13, 5 du CGI et a imposé le produit résultant de la cession dans la catégorie des bénéfices industriels et commerciaux et non sous le régime des plus-values.
À noter : Pour l’application des dispositions de l'article 13, 5 du CGI, l'administration a précisé qu'en cas de cession ou d’apport d'un usufruit en société, il convient de distinguer (BOI-IR-BASE-10-10-30 no 90) :
– si l'usufruit est constitué sur la tête de la personne morale (usufruit détaché de la pleine propriété du cédant), sa durée ne peut, en application de l'article 619 du Code civil, excéder 30 ans. L'usufruit est ainsi nécessairement consenti pour une durée fixe et la cession entre dans le champ d'application des dispositions de l'article 13, 5 ;
– si l'usufruit apporté ou cédé à la personne morale est un usufruit viager préconstitué sur la tête du cédant antérieurement à la cession, l'opération n'entre pas dans le champ d'application des dispositions de l'article 13, 5 du CGI, à moins que l'usufruit ne soit consenti pour une durée fixe.
Cette analyse a été suivie et appliquée par le tribunal administratif de Montreuil dans une espèce où un contribuable, détenteur d’un usufruit viager, avait cédé à une personne morale son usufruit pour une durée de 20 ans : les juges ont retenu que les parties à l’acte avaient explicitement entendu transférer un usufruit temporaire pour une durée limitée, ajoutant que la circonstance que cette temporalité puisse prématurément échoir en cas de décès du cédant était sans influence sur l’application du régime de l’article 13, 5 du CGI (TA Montreuil 4-12-2019 no 1805676 : RJF 4/20 no 296).
L’intérêt de l’espèce jugée par le tribunal administratif de Nice est que les parties avaient retenu la durée de 30 ans fixée à l’article 619 du Code civil. Selon les juges, cette circonstance ne modifie pas l’analyse de la nature de l’usufruit apporté, qui doit dès lors être considéré comme un usufruit temporaire.
Pour échapper à l’article 13, 5 du CGI, les parties doivent donc s’abstenir de préciser toute limitation temporelle dans l’acte de cession ou d’apport en société d’un usufruit viager préconstitué.
Sophie DIDIER
Pour en savoir plus sur les conséquences fiscales du démembrement de propriété, voir Mémento Patrimoine nos 3510 s.