La fiducie-gestion n’a pas encore trouvé sa place dans la pratique des affaires. Pourtant elle peut permettre au constituant de garantir la bonne exécution d’obligations contractuelles autres que le paiement d’une créance ou d’éluder une réglementation à laquelle la propriété d’un actif le contraindrait.
1. Lointaine cousine continentale du trust anglo-saxon, la fiducie est une sûreté ainsi qu’un outil de gestion introduits en droit français par la loi 2007-211 du 19 février 2007. Selon l’article 2011 du Code civil, elle est une opération par laquelle un constituant (personne physique ou morale) transfère la propriété de biens, de droits ou de sûretés, qu’ils soient présents ou futurs, à un fiduciaire qui, les tenant séparés de son propre patrimoine, agit dans un but précis au profit d’un bénéficiaire. Ce bénéficiaire peut être un tiers, tel le créancier, dans le cadre d’une fiducie-sûreté mais il peut aussi être le constituant, notamment dans le cadre d’une fiducie-gestion.
2. Bien que le transfert de propriété opéré par la fiducie ait pu initialement être discuté par une fraction de la doctrine (R. Libchaber, « Les aspects civils de la fiducie dans la loi du 19 février 2007 », première partie : Defrénois 2007 art. 38631 ; en sens contraire, C. Witz, « Fiducie : Introduction et constitution » : J.-Cl. Banque-Crédit-Bourse Fasc. 785, § 26), le débat s’est tari et la pratique s’est malgré tout rapidement emparée de la fiducie-sûreté. Cette dernière apporte en effet une réponse immédiate aux besoins des fournisseurs de crédit sujets à la fragilité des sûretés réelles conventionnelles reposant sur le droit de préférence (en ce sens, notamment, D. Legeais, « La réforme des sûretés, la fiducie et les procédures collectives » : Rev. sociétés 2007 p. 687 ; F.-X. Lucas, « L'efficacité des sûretés réelles et les difficultés des entreprises » : Rev. proc. coll. 2009 n° 6, Dossier p. 17 ; P. Cagnoli, « Le sort des créanciers munis de sûretés réelles » : Rev. proc. coll. n° 3, Dossier p. 39) et sur laquelle il n’est pas besoin de revenir.
Selon l’Association française des fiduciaires, plus de 450 fiducies ont été signées en France depuis l’introduction de la loi du 19 février 2007 (Fiducie sur titres, les nouvelles perspectives, Colloque du 22 octobre 2015).
3. En revanche, la fiducie-gestion, à savoir toute fiducie constituée hors du régime spécifique des articles 2372-1 à 2372-5 et 2488-1 à 2488-5 du Code civil, est restée à l’écart de ce développement. Ce début laborieux dans le monde du droit des affaires s’explique d’autant moins que, dans certains cas, il peut être utile de confier la propriété des actifs à un tiers de confiance, que cet outil ne manque pas d’atouts structurels et que son traitement comptable et fiscal neutres en font une opération intercalaire, non génératrice d’imposition, dans la quasi-totalité des cas.
Cependant, diluée par des textes constitutifs qui posent le principe d’un transfert de propriété sans en préciser la finalité, tétanisée par l’interdiction d’ordre public de la fiducie libéralité posée par l’article 2013 du Code civil (« Le contrat de fiducie est nul s'il procède d'une intention libérale au profit du bénéficiaire. Cette nullité est d'ordre public. ») et concurrencée par des institutions plus traditionnelles (contrat de société, mandat de gestion, séquestre, etc.), la fiducie-gestion n’a pas encore trouvé la place qui peut être la sienne dans la pratique des affaires.
A l’exception cependant çà et là de quelques applications spéciales, qui peuvent être rangées en deux catégories : les fiducies-gestion dites de garantie et les fiducies de gestion « externalisée ».
Applications de fiducies-gestion de garantie
4. Les fiducies-gestion dites de garantie ont pour finalité de garantir la bonne exécution d’obligations contractuelles autres que le paiement d’une créance. La fiducie en devient alors l’accessoire.
Les pactes d’associés
5. Dans certaines sociétés, les intérêts antagonistes des associés peuvent aboutir à des actions en violation du pacte d’associés.
Sous l’empire du droit des obligations précédant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations au 1er octobre 2016, le contentieux résultant de cette violation, pouvait aboutir à un résultat insatisfaisant. Notamment, il a été jugé que la violation d'une clause de préemption n'emporte pas par elle-même nullité de la cession de parts conclue entre associés, mais ouvre à l'associé dont le droit de préemption n'a pas été respecté une action en responsabilité contractuelle contre l'associé cédant (Cass. com. 11-3-2014 n° 13-10.366 P : D. 2014 p. 719 obs. A. Lienhard, BRDA 10/14 inf. 1).
La solution reste relativement incertaine, à ce jour, au regard du nouvel article 1217 du Code civil qui autorise notamment l’exécution forcée. Il peut être alors prudent de doubler le pacte d’associés de la société par une convention de fiducie-gestion afin de sécuriser la bonne exécution du pacte et de ses clauses les plus sensibles (cession forcée, cession conjointe, droit de préférence, conventions de vote etc.).
La fiducie permet de sécuriser la bonne exécution du pacte d’associés.
6. A cet effet, les titres sont transférés dans un patrimoine fiduciaire.
L’exercice du droit de vote est alors assuré par le fiduciaire en sa qualité d’associé, selon les recommandations des constituants, chacun en ce qui concerne sa quote-part de droits dans la fiducie.
En ce qui concerne les décisions faisant l’objet des stipulations du pacte, le fiduciaire devra se conformer à ces dernières. Toute action violant le pacte est exclue dès le transfert des parts puisque le fiduciaire est responsable de la bonne gestion des actifs confiés (en application de l’article 2026 du Code civil aux termes duquel le fiduciaire est responsable, sur son patrimoine propre, des fautes qu'il commet dans l'exercice de sa mission).
La gestion des plans de sauvegarde de l’emploi (PSE)
7. La fiducie-gestion peut aussi sécuriser la bonne exécution des engagements négociés entre le repreneur et le cédant d’une entreprise.
Le cédant peut affecter une somme d’argent en fiducie, à charge pour le fiduciaire d’en libérer tout ou partie par le biais de tirages successifs notifiés par le repreneur de la société. La fiducie financera alors des investissements de croissance ou des investissements liés aux restructurations de la société reprise. Le cédant s’assure ainsi de la parfaite utilisation des sommes mises à disposition de l’entreprise cédée car une fois signé, le contrat ne peut être modifié qu’avec l’accord de tous les signataires (C. civ. art. 2028, al. 2).
Applications de fiducie-gestion externalisée
8. Les fiducies de gestion « externalisée » ont pour finalité de confier la gestion d’actifs entre les mains d’un tiers de confiance, gestionnaire capable et solvable. Ce transfert permet alors au constituant d’éluder le régime juridique auquel la propriété des actifs le contraindrait.
La fiducie sur des titres cotés permet d’échapper aux seuils des offres publiques.
Fiducie boursière
9. Le transfert de propriété de la fiducie permet au constituant de transférer des actifs, tels que des titres cotés, dans un patrimoine d’affectation afin d’échapper à certaines obligations pouvant lui incomber en sa qualité d’actionnaire.
La pratique a ainsi vu des conventions de fiducie recueillir des actions cotées afin de permettre au constituant de revenir à un niveau de détention inférieur aux seuils d’offres publiques établis par la réglementation ou les statuts sociaux.
Dans une telle hypothèse, le transfert de propriété auprès de la fiducie s’accompagne d’une perte du contrôle sur les actions. Le constituant n’a droit qu’aux fruits et produits des actions, en cas de dividendes et lorsque celles-ci sont cédées par le fiduciaire pour des montants minimaux fixés par le contrat, tandis que le fiduciaire exerce les droits de vote de manière autonome.
Le contrat doit comprendre par ailleurs une clause aux termes de laquelle les parties déclarent qu’elles n’agissent pas de concert pour mettre en œuvre une politique commune au sens de l’article L 233-10, II-5° du Code de commerce.
Fiducie concurrence
10. Dans le même ordre d’idée, le contrôle opérationnel d’un actif, d’une société par exemple, peut être transféré en fiducie afin d’échapper à certaines obligations liées au droit de la concurrence ou à une clause de non-concurrence.
La mission du fiduciaire sera alors de conserver les actifs transférés, pour la durée du contrat, et de gérer indépendamment du constituant les actifs transférés mais selon des conditions, des limites, définies initialement dans le contrat de fiducie, le fiduciaire pouvant, s’il en a reçu l’autorisation dans le contrat, procéder ultérieurement à la vente des actifs ou à leur restitution au terme convenu entre les parties (www.lesechos.fr/02/02/2012/LesEchos/21115-040-ECH_le-charme-discret-de-la-fiducie.htm)
Perspectives…
11. Le périmètre de la fiducie-gestion est encore largement inexploré bien que les quelques applications mentionnées ci-dessus aient permis aux fiduciaires de développer une pratique dépassant le stade embryonnaire.
A l’heure où ces lignes sont écrites, de nouvelles fonctionnalités émergent : fiduciaire-agent du crédit en financements bancaires ou alternatifs, fiducie-gestion SPV (Special Purpose Vehicle) correspondant à la création d’une structure dédiée permettant d’accueillir des fonds propres ou de la dette, tous deux mis à disposition d’un projet d’acquisition ou de financement en LBO et financements sectoriels.
En matière civile, l’aménagement de la prohibition de la fiducie libéralité, attendue par certains praticiens et auteurs (en ce sens F. Tripet, « La prohibition de la fiducie-libéralité : pourquoi une telle démesure ? » : Gaz. Pal. 2006 p. 6), pourrait accélérer son développement.
Tous les espoirs sont permis, à condition que la qualité des fiduciaires et le sérieux de leur travail préservent la confiance qu’implique le recours à cet outil.
Par Arthur BERTIN
Arthur Bertin est Directeur adjoint en charge de l’activité Fiducies chez Equitis Gestion SAS. Il est diplômé de l’Université de Duke (USA) en droit et en finance ; il est élève à l’Ecole doctorale de Droit privé de Paris-I et membre de l’Association des jeunes professionnels du restructuring (AJR).