Des époux achètent une maison en l’état futur d’achèvement. La livraison a lieu avec des réserves le 14 décembre 2007 alors qu’elle était prévue au plus tard à la fin du 1er trimestre 2007. Une action en référé contre le vendeur donne lieu à une ordonnance le 11 mars 2008 qui le condamne à lever les réserves. Le 3 mars 2009, une seconde ordonnance ordonne une expertise. Les réserves ne sont pas levées et le 15 juillet 2011, les acheteurs assignent le vendeur au fond. Ce dernier invoque une fin de non-recevoir de leur action tirée de sa forclusion.
La cour d’appel rejette la fin de non-recevoir. Elle rappelle tout d’abord que l’action en dénonciation des vices apparents doit être introduite, à peine de forclusion, dans l’année qui suit la réception ou dans les 13 mois de la prise de possession (C. civ. art. 1642-1 et 1648, al. 2). Les acheteurs ont donc assigné le vendeur en référé dans le délai. Ensuite, l’ordonnance du 11 mars 2008 a reconnu le droit des acheteurs d’obtenir réparation des désordres ; elle a non seulement interrompu le délai de forclusion mais a aussi fait courir un délai de dix ans. L’ordonnance de référé ayant reconnu le droit revendiqué a ainsi eu un effet non seulement interruptif de forclusion mais aussi « interversif » du délai. Celui-ci a été à son tour interrompu par l’assignation en référé-expertise, de sorte que l’action intentée par le couple était recevable.
Cassation. L’ordonnance de référé du 11 mars 2008 a interrompu le délai de forclusion courant depuis la livraison le 14 décembre 2007. Un nouveau délai d’un an a ainsi couru à compter de cette interruption, lequel a lui-même été interrompu par l’ordonnance de référé du 3 mars 2009 ordonnant une expertise judiciaire. Or, à compter de cette décision, un nouveau délai d’un an a couru. Il en résulte qu’en n’assignant au fond le vendeur que le 15 juillet 2011, soit plus d’un an après l’ordonnance, les acheteurs étaient irrecevables comme forclos en leur action.
à noter : A noter : Dans la Vefa, la garantie des défauts apparents résulte de l’article 1642-1 du Code civil. L’action doit être intentée dans le délai d’un an à compter de la date à laquelle le vendeur peut être déchargé des vices ou défauts de conformité apparents (C. civ. art. 1648, al. 2). En l’espèce, le caractère apparent des défauts ayant été constaté lors de la livraison (constat que l’arrêt qualifie de « réserves », notion généralement retenue en matière de réception), l’arrêt retient la date de la livraison - le 14 décembre 2007 - comme point de départ du délai de forclusion. Ce délai peut être interrompu par une demande en justice, même en référé (voir par exemple, Cass. 1e civ. 21-6-2000 n° 99-10.313 FS-PB). Dans ce dernier cas, l’effet interruptif de l’instance cesse au prononcé de l’ordonnance (voir par exemple Cass. 2e civ. 18-9-2003 n° 01-17.584 FS-PB : RJDA 3/04 inf. 390). Ces deux règles ont été reprises aux articles 2241 et 2242 du Code civil suite à la réforme de la prescription civile du 17 juin 2008. L’interruption a pour effet d’effacer le délai qui a couru et de faire courir un nouveau délai d’un an (voir notamment Cass. 3e civ. 21-6-2000 n° 99-10.313 FS-PB: RJDA 10/00 inf. 855, BPIM 5/00 inf. 325, Defrénois 2000 art. p.1251 obs. H. Périnet-Marquet, JCPG 2000 II n° 10362 concl. J.-F. Weber). De ce point de vue, la solution de l’arrêt est classique.
En l’espèce, c’est le changement de nature du délai qui intéresse. La cour d’appel avait estimé que la reconnaissance des droits de l’acquéreur avait interverti le délai de prescription qui, selon elle, était désormais de 10 ans. Cette idée est écartée par la Cour de cassation sans autre considération que la référence au principe d’interruption. Elle aurait pourtant mérité un examen plus précis : la décision de justice qui reconnaît un droit, et donc une obligation du vendeur, n’est-elle pas aussi contraignante que la reconnaissance de ce droit par le vendeur lui-même ? Or, il a été admis que l’engagement de réparation pris par ce dernier soumet l’action à la prescription de droit commun (Cass. 3e civ. 14-12-1977 n° 76-12.176). Dans l’affaire rapportée, une des ordonnances avait ordonné la levée des réserves, ce qui vaut reconnaissance de la créance, et c'est à ce titre que la question de l'interversion pouvait se poser. La décision des juges du fond estimant que l’ordonnance de référé ordonnant la levée des réserves intervertissait la prescription au même titre que l’engagement de réparer n’était donc pas nécessairement hérétique. Était-elle limitée dans sa portée par le caractère provisoire de l’ordonnance de référé ? C’est bien possible, mais un éclairage de la Haute juridiction sur ce point aurait été des plus utiles.Signalons enfin que la solution, rendue sous l’empire de l’article 1648, alinéa 2 du Code civil dans sa rédaction antérieure à la loi du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, reste d’actualité : les modifications opérées concernent la nature des vices concernés et non le délai de l’action.
Bernard BOUBLI, Conseiller doyen honoraire à la Cour de cassation
Pour en savoir plus sur cette question : voir Mémento Urbanisme Construction n° 70255