Une SCI A cède l’usufruit d’un immeuble à une SCI B pour 4 130 000 €. L’acte stipule que l’usufruit s’éteindra au décès du survivant de Monsieur ou Madame X, le premier étant gérant de la SCI A et la seconde, gérante de la SCI B.
L’assiette des droits d’enregistrement au titre de la cession est calculée par application du barème de l’article 669, I du Code général des impôts qui prévoit que la valeur de l'usufruit viager est fixée forfaitairement à une fraction de la valeur de la pleine propriété d'après l'âge de l'usufruitier. Compte tenu de l’âge de Monsieur et Madame X au jour de la cession (respectivement 69 et 63 ans), la base d’imposition aux droits d’enregistrement est fixée à 2 400 000 €, soit 40 % de la valeur de l’immeuble en pleine propriété estimée à 6 000 000 €.
L’administration fiscale conteste l’assiette des droits et exige le paiement d’un complément pour enregistrer et publier l’acte de cession. Elle estime que l’article 669 du CGI ne s’applique qu’aux personnes physiques et qu’il convient d’appliquer ici l’article 683 du CGI, propre aux mutations à titre onéreux d'immeubles, qui prévoit que le droit de vente est liquidé sur le prix exprimé dans l'acte constatant la mutation.
Elle obtient gain de cause en première instance.
En appel, la SCI A soutient que l’article 669, I est applicable aux cessions d’usufruit viager d’immeubles même entre personnes morales dans la mesure où le texte ne distingue pas selon que le cédant est une personne physique ou une personne morale. Elle ajoute que la doctrine administrative prévoit que l’article 669, I est une disposition spéciale qui prévaut sur les dispositions générales de l’article 683 du CGI (BOI-ENR-DMTOI-10-10-10 n° 125).
Ces arguments convainquent la cour d’appel de Paris. L’assiette des droits d’enregistrement doit donc être déterminée par application du barème de l’article 669, I du CGI, même en cas de cession entre personnes morales d’un usufruit devant s’éteindre au décès du survivant des deux époux.
A noter : les faits étaient singuliers : la durée de l’usufruit était fixée en fonction de la durée de vie de personnes physiques qui n’étaient pas titulaires de l’usufruit. La question de la valeur à retenir pour le calcul du droit de vente d'immeubles dans pareille configuration n'avait encore donné lieu, à notre connaissance, à aucune solution jurisprudentielle. Dans l’affaire commentée, la cour d’appel fait primer le barème de l’article 669 sur les dispositions de l’article 683, conformément à la doctrine administrative (BOI-ENR-DMTOI-10-10-10 n° 125), à l’inverse de la position (opportuniste ?) du service vérificateur qui entendait faire prévaloir le second de ces articles. La solution de la cour d’appel qui consacre la primauté du barème fiscal, que nous défendions dans notre Mémento Patrimoine, doit être saluée. Elle méritera d’être confirmée en cas de pourvoi de l’administration.
L’affaire commentée tranche également la question de savoir si l'usufruit qui bénéficie à une personne morale peut être considéré comme viager, ou si, en raison de la limitation de sa durée à 30 ans posée par l’article 619 du Code civil, cet usufruit est à terme fixe. La cour se positionne en faveur de la première branche de l'alternative, avec une application corrélative du barème fiscal.
L'arrêt de la cour d'appel de Paris a d'ores et déjà été approuvé par Pascal Julien Saint-Amand (Solution Notaires 11/16 inf. 216), voir aussi Henri Hovasse, notamment pour un éclairage sur les conséquences fiscales de la cession d’usufruit par une société soumise à l’impôt sur les sociétés au regard du plafonnement de l’ISF (JCP E 2016, 1572).
Caroline DANCOISNE
Pour en savoir plus sur les incidences du démembrement au regard des droits d’enregistrement : voir Mémento Patrimoine nos 3750 s.