1. Le règlement (UE) 650/2012 du 4 juillet 2012 relatif à la compétence, la loi applicable, la reconnaissance et l'exécution des décisions, et l'acceptation et l'exécution des actes authentiques en matière de successions et à la création d'un certificat successoral européen, dit « règlement successions », a déjà donné lieu à une abondante littérature (dans Solution Notaires, voir R. Crône, Successions internationales : la révolution en marche : Sol. Not. 8-9/12 inf. 234, Le certificat successoral européen, « super acte de notoriété » des successions internationales : Sol. Not. 10/12 inf. 265, Règles de compétence et loi applicable dans le règlement « successions » : Sol. Not. 1/13 inf. 23, Règlement « successions » : vers la libre circulation des décisions et des actes authentiques : Sol. Not. 6/13 inf. 161).
La circulaire de présentation du ministère de la Justice en date du 25 janvier 2016, dont on peut regretter qu’elle soit un peu tardive au regard de l’entrée en application du texte le 17 août 2015, n’en présente pas moins un réel intérêt (BOMJ 2016-02 du 29-2-2016). D’abord par les précisions qu’elle apporte dans un document comportant 17 pages de commentaires du texte. Mais aussi, et on ne s’en plaindra pas, par le regroupement des textes qui y sont annexés (règlement proprement dit et formulaires d’application), qui en font une documentation complète sur le sujet, que l’on peut qualifier de « documentation officielle » qui figurera sans doute sur le bureau de bien des magistrats et autres juristes.
Les destinataires de la circulaire
2. La circulaire est avant tout destinée aux magistrats : Cour de cassation, cours d’appel, parquets généraux, procureurs, Ecole nationale de la magistrature, etc. Les notaires ne figurent pas dans la liste des destinataires. Il n’en demeure pas moins qu’ils sont au premier chef concernés en raison des nombreuses précisions que donne la circulaire, notamment sur le certificat successoral européen qu’ils sont amenés à délivrer. La circulaire revient également sur un certain nombre de notions du règlement, comme celle de résidence habituelle, dont l’appréciation pèsera sur les épaules du notaire dans la majorité des cas.
Un rappel de certains points connus
3. La circulaire comporte cinq sections, qui correspondent au découpage du règlement lui-même et en respectent l’ordre chronologique. Y sont notamment présentés – rappelés plutôt – le champ d’application du règlement, les règles de compétence, la loi applicable aux successions présentant un élément d’extranéité, les règles relatives à la reconnaissance et l’exécution des décisions, à l’acceptation et la force exécutoire des actes authentiques et, enfin, les règles relatives au certificat successoral européen, qui constitue une véritable nouveauté pour le notariat.
4. En ce qui concerne le champ d’application du règlement, il n’y a à proprement parler aucune nouveauté et l’on peut purement et simplement se reporter aux diverses études déjà citées. Une seule précision mérite d’être relevée : le règlement, on le sait, ne s’applique pas à la question des régimes matrimoniaux. Le notaire français applique par conséquent sur le sujet les dispositions de la convention de La Haye du 14 mars 1978 en cas de mariage ou de l’article 515-5-1 du Code civil pour les partenariats. La circulaire rappelle opportunément que l’Union européenne a mis en place une procédure de coopération renforcée pour parvenir à l’élaboration d’un nouveau règlement en matière de compétence et de loi applicable aux régimes matrimoniaux et d’un autre en ce qui concerne les partenariats, qui, à très brève échéance, constitueront une règle du jeu commune en la matière entre Etats participants (17 Etats à ce jour).
Nous ne reviendrons pas non plus sur l’ensemble des règles de compétence pour lesquelles la circulaire n’ajoute rien à ce que l’on savait déjà.
5. Une réponse est donnée cependant en ce qui concerne la possibilité de faire une déclaration d’acceptation ou de renonciation devant les juridictions de son lieu de résidence habituelle, par exception à la règle de compétence des juridictions de la résidence habituelle du défunt.
Nous nous étions interrogés sur le point de savoir ce que devenait cette renonciation ensuite. La juridiction la transmettait-elle ou devait-on s’en charger ? A cette question, il avait été répondu qu’une commission réfléchirait à la solution. Une réponse, sans doute temporaire, mais de bon sens, est fournie par la circulaire : l’héritier (au sens large du terme) qui en fait usage (ou son notaire, plus vraisemblablement) est invité à informer lui-même la juridiction ou l’autorité en charge de la succession de l’existence de cette déclaration, dans le délai éventuel imparti par loi applicable à la succession. Les notaires devront donc y veiller.
6. Au plan de la loi applicable, le paragraphe 1-1 de la circulaire rappelle le principe de l’application de la loi de la dernière résidence habituelle du défunt, en insistant sur le fait que le règlement autorise les juridictions à utiliser le mécanisme de la fraude à la loi lorsqu’elle est avérée. Nous avions pressenti que les fraudes éventuelles pourraient se traiter sous cet angle plutôt que sous celui de l’ordre public (n° 7).
Des précisions intéressantes sur l’ordre public et la question de la réserve héréditaire
7. Sur la notion d’ordre public, des précisions sont données au paragraphe 3-2. Elles revêtent une certaine importance. Après avoir rappelé que le règlement (art. 35) prévoit d’écarter une loi étrangère dont les dispositions seraient manifestement contraires à l’ordre public de l’Etat requis, la circulaire rappelle que cette disposition est à utiliser de manière et dans des circonstances exceptionnelles (l’adverbe manifestement renforçant ce caractère).
La circulaire rappelle également que la Cour de justice de l’Union a, dans une affaire C 38/98 du 11 mai 2000, précisé que « s’il n’appartient pas à la Cour de définir le contenu de l’ordre public d’un Etat contractant, il lui incombe néanmoins de contrôler les limites dans le cadre desquelles un Etat contractant peut avoir recours à cette notion ».
Il faudra s’assurer à cet égard que la loi normalement désignée ne porte pas atteinte aux droits résultant de la Charte des droits fondamentaux ni aux libertés de circulation des personnes contenues dans les traités. Le respect de la prévisibilité en matière d’organisation anticipée des successions internationales devra être pris en compte.
8. Dans le même paragraphe est abordée la délicate question de savoir si une législation ne connaissant pas de réserve héréditaire peut relever de l’ordre public. On sait, et cela aussi est rappelé, que cette question a longuement préoccupé les rédacteurs du règlement et donné lieu à bien des débats.
Ce que nous avions pressenti et écrit est ici rappelé : « il convient de noter à cet égard qu’il n’existe au sein du règlement aucune disposition visant à protéger les mécanismes de réserve héréditaire » ; « que sous réserve d’une meilleure appréciation des juridictions et d’une évolution à cet égard, la réserve héréditaire prévue par la loi française n’est pas considérée par la Cour de cassation comme relevant de l’ordre public international ».
Le mécanisme correcteur pourrait donc, comme nous l’avons toujours affirmé, plutôt relever de la fraude à la loi, le cas échéant.
Situations spécifiques
9. En matière d’administration de la succession, l’article 29 du règlement prévoit la désignation par les juridictions compétentes d’un Etat membre d’un administrateur de la succession en vertu de leur propre loi, lorsque celle-ci impose une telle désignation, alors même que la loi applicable à la succession s’avérerait être une loi étrangère.
La circulaire affirme ici très clairement : « une telle situation ne concerne pas la France, dont le droit prévoit seulement, sans l’imposer, la désignation d’un administrateur successoral ». La question de savoir si une juridiction française peut désigner un administrateur comme en droit anglais reçoit donc ici une réponse négative. Que l’on peut comprendre en droit, mais qui ne facilitera pas la tâche des notaires le moment venu dans certaines successions…
10. L’article 35 du règlement prévoit l’hypothèse dans laquelle une personne bénéficie d’un droit réel en vertu de la loi applicable à la succession inconnu d’un autre Etat. Il convient alors d’adapter ce droit au plus près.
Le considérant 16 prévoit dans ce cas d’interroger les autorités ou personnes compétentes dont la loi s’applique pour obtenir des informations sur le droit en question. La Chancellerie rappelle à cet égard qu’il est possible d’avoir recours aux réseaux existants dans le domaine de la coopération judiciaire en matière civile et commerciale, « ainsi qu’à tout autre moyen permettant plus facilement de comprendre la loi étrangère ». Les notaires n’ayant pas accès aux mêmes informations que les magistrats, c’est naturellement dans le réseau européen des notariats qu’ils trouveront réponse(s) à leurs questions (ou donneront à leurs homologues les réponses adaptées).
L’acceptation et l’exécution des actes authentiques
11. L’ensemble des règles applicables à l’acceptation et à l’exécution des actes authentiques est rappelé dans la circulaire, mais sans qu’on y apprenne quelque chose de nouveau. Le document constitue cependant une référence en la matière, auquel le notaire peut se reporter. Un tableau fort utile figure en fin de section : « Tableau relatif à la reconnaissance et à la force exécutoire ». Il résume parfaitement les diverses situations.
Précisions relatives au certificat successoral européen
12. Les fonctions du certificat sont réaffirmées. Le certificat ne remplace nullement les instruments du droit interne des Etats membres. En revanche, lorsqu’un certificat a été délivré, aucun Etat membre de peut demander la production d’une décision, d’un acte authentique ou d’une transaction judiciaire en lieu et place du certificat.
13. Au plan des effets, il est très clairement affirmé : « Le certificat n’est ni un titre exécutoire, ni un acte authentique ». Cela confirme les propos tenus dans de précédent écrits et semble mettre fin à une querelle parfaitement stérile. Il n’en demeure pas moins, selon nous, que la position que nous avions prise précédemment en indiquant que le certificat pouvait être établi en la forme authentique sous différentes conditions demeure pertinente. (Voir R. Crône, Le certificat successoral européen gagnera à être établi par acte authentique : Sol. Not. 10/14 inf. 216).
14. La circulaire aborde par ailleurs l’épineuse et controversée discussion sur les effets du certificat en matière d’inscription d’un bien successoral dans les registres fonciers français.
De manière à ne pas attiser cette querelle pour laquelle nous préconisions le jeu de la coopération entre notariats par préférence à une volonté de publier dans les registres étrangers (bien illusoire au demeurant), nous reproduisons ici littéralement la position de la Chancellerie : « En ce qui concerne l’inscription d’un bien successoral dans les registres fonciers français, si l’article 1 §2.1 du règlement exclut du champ d’application les inscriptions dans les registres de droit immobilier et mobilier et pose le principe selon lequel c’est la loi du registre qui déterminera les conditions et la manière dont l’inscription peut être effectuée, et si l’article 69 §5 prévoit que le certificat successoral européen constitue un document valable pour l’inscription d’un bien successoral sans préjudice de cet article 1 §2.1, il n’en reste pas moins que le considérant 18 rappelle la nécessité d’une mutation directe d’une mutation immobilière dans les registres fonciers, sans procédure intermédiaire, dans toutes les hypothèses où les indications mentionnées dans le certificat successoral européen ou l’acte authentique étranger sont suffisantes ». Dont acte.
Une fois encore, nous soulignons que la théorie est une chose mais que la pratique en est une autre. Les notaires, en raison des difficultés inhérentes à la connaissance des fichiers immobiliers étrangers et à l’obstacle de la langue, pratiqueront sans aucun doute une coopération active sur le sujet, sans chercher à publier leurs actes directement dans les fichiers étrangers. Ce qui s’avérera sans aucun doute plus efficace et plus sécurisant.
15. La circulaire rappelle que dans la mesure où cela s’avère nécessaire à la finalité du certificat successoral européen, ce dernier doit préciser si le défunt avait conclu un contrat de mariage (ou un partenariat) et donner les renseignements concernant le régime matrimonial (ou patrimonial). Ces précisions doivent être fournies à la lumière des textes existants : en France, par rapport à la convention de La Haye ou l’article 515-5-1 du Code civil, et prochainement à la lumière des règlements applicables aux régimes matrimoniaux et aux effets patrimoniaux des partenariats, lorsque ces textes seront en application.
16. En dernier lieu, même si cela n’est pas nouveau, le notaire qui a établi un certificat successoral européen doit conserver la liste des personnes auxquelles il a été délivré. Le certificat ayant une durée de validité limitée à six mois, sa date d’expiration devra figurer sur la copie conforme qui a été remise. Une fois ce délai expiré, la personne en possession de la copie pourra (sous réserve qu’aucune modification ne soit intervenue, naturellement) demander la prorogation de la durée de validité ou requérir l’émission d’une nouvelle copie. (Règl. art. 70 §3).
Une position assez timide mais qui s’explique aisément
17. La circulaire ainsi décrite pourrait paraître à première vue assez timide dans l’approche qu’elle fait des dispositions du règlement. On ne saurait le lui reprocher. Il s’agit d’abord d’un document de travail pour ses destinataires. Ensuite, les positions prises par la Chancellerie sont enfermées dans les limites du droit communautaire et de l’application du règlement, sous le contrôle de la Cour de justice de l’Union.
Ceci explique cela…
Par Richard Crône, notaire honoraire, ancien directeur adjoint et directeur du développement de l’Ecole du Notariat de Paris, consultant chez Lacourte et associés Paris.