En l’espèce, une entreprise avait conclu un accord collectif à durée indéterminée fixant les conditions d’attribution de la prime de partage des profits (montant de la prime, bénéficiaires) instituée par l’article 1er de la loi de financement de la sécurité sociale rectificative pour 2011 (Loi 2011-894 du 28-7-2011 art. 1). L'accord rappelait dans un article distinct que la prime était assortie d'allègements de charges en application de la loi précitée.
A la suite de l’abrogation du dispositif par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2015 (Loi 2014-1554 du 22-12-2014), l’employeur a cessé de verser la prime, estimant que l’accord collectif prévoyant sa mise en oeuvre au sein de l'entreprise était devenu caduc. Soutenant, au contraire, qu'il restait applicable, des salariés ont saisi la juridiction prud’homale pour obtenir le versement de cette prime et ont obtenu gain de cause. L’employeur s'est pourvu en cassation à l'encontre de cette décision mais son recours est rejeté.
Pour mémoire : les sociétés commerciales employant habituellement au moins 50 salariés et ayant versé des dividendes à leurs associés ou actionnaires dont le montant par part sociale ou par action était en augmentation par rapport à la moyenne de ceux versés au titre des deux exercices précédents devaient verser une prime de partage des profits à l'ensemble de leurs salariés. Cette prime pouvait être instituée, notamment, par accord collectif de travail ou, en cas d'échec des négociations, par décision unilatérale de l'employeur. Si la loi ne fixait aucun montant minimum ou maximum, les sommes correspondantes n’étaient exonérées de cotisations et contributions sociales (à l'exception de la CSG et de la CRDS) que dans la limite de 1 200 € par salarié et par an.
Un accord collectif n’est caduc que si son exécution est devenue impossible
A l'appui de son pourvoi, l’employeur faisait valoir que l’accord d'entreprise avait pour seul objet d’appliquer la loi, laquelle imposait à l’entreprise de verser une prime de partage des profits à ses salariés en contrepartie d’un allègement de charges. Or, pour l’employeur, cet objet avait disparu du fait de l’abrogation du dispositif légal qui avait entraîné, avec la suppression de l’obligation de versement d’une telle prime, la suppression des allègements auxquels il ouvrait droit.
L’argument est écarté par la Cour de cassation. Pour elle, l’abrogation de la disposition légale ayant institué la prime de partage des profits en faveur des salariés de certaines entreprises, assortie d'une exonération de charges, ne rendait pas caduc de plein droit l’accord collectif ayant instauré cette prime dans l’entreprise.En effet, comme le souligne la note explicative concernant cet arrêt, diffusée par la Cour de cassation sur son site internet, un contrat n’est caduc que lorsque son exécution est devenue impossible du fait de la disparition d’un de ses éléments essentiels.
A noter : Cette règle d’origine prétorienne figure, depuis le 1er octobre 2016, dans le Code civil (C. civ. art. 1186).
Or, en l'espèce, la Cour de cassation juge que l’exécution de l’accord d'entreprise n’avait rien d’impossible.
A cet égard, elle relève que l’accord ne perdait pas son objet puisque la prime de partage des profits pouvait continuer à exister et à être versée, peu important l’absence de dispositions législatives impératives en ce sens, et même si l'exécution de l'accord était devenue plus onéreuse du fait de la disparition des allègements sociaux.
A noter : Pour la Cour de cassation, cette situation doit être distinguée de celle qui avait donné lieu à un arrêt du 17 juin 2003, dans lequel elle avait admis la caducité d’un accord collectif en raison de la perte de son objet. Dans cette espèce, elle avait décidé que l’accord collectif conclu en application de la loi « de Robien » du 11 juin 1996 ne pouvait plus s’appliquer car il n’avait de raison d’être que pour favoriser la création d’emplois, alors que le plan de cession intervenu par la suite ne prévoyait que des licenciements (Cass. soc. 17-6-2003 n° 01-15.710 FS-PBRI : RJS 8-9/03 n° 1024).
Un coût que l'employeur aurait pu éviter s'il avait pris certaines précautions
Après avoir relevé que l’accord d’entreprise n’était pas caduc, l’arrêt se fonde sur les trois éléments suivants pour le juger applicable : l'accord était à durée indéterminée, il prévoyait les conditions de sa dénonciation et spécifiait les conditions d’attribution de la prime, sans la conditionner au maintien de la législation en vigueur ou à l’octroi d’exonérations particulières.
L'employeur est donc condamné à verser aux salariés demandeurs une prime de partage des profits sur laquelle il est tenu de précompter les cotisations salariales, le dispositif d’allègements n’étant plus en vigueur, et de verser les cotisations (parts patronale et salariale).
A noter : La demande des salariés portait sur l'octroi de la prime de partage des profits au titre des années 2014 et 2015. On peut donc se demander pour quelle raison les juges du fond ont limité leurs prétentions à la prime due au titre de 2014.
Ce qu'il faut retenir :
- Si un employeur conclut un accord d'entreprise prévoyant le versement à ses salariés d'une prime exemptée de certaines charges sociales et/ou fiscales en vertu d'un dispositif légal, il doit prendre certaines précautions. il peut ainsi opter pour la conclusion d'un accord à durée déterminée. Si toutefois il préfère conclure un accord à durée indéterminée, il doit prévoir dans cet accord les modalités de sa dénonciation et procéder à celle-ci en temps voulu selon ces modalités ou bien insérer une clause spécifique subordonnant clairement le droit à la prime au maintien en vigueur du dispositif légal.
- A défaut, l'employeur s'expose au paiement d'un rappel de salaire tant que l'accord reste en vigueur, y compris, selon nous, à l'égard de salariés embauchés après l'abrogation du dispositif ayant institué la prime en cause, compte tenu du principe d'égalité de traitement.
- La portée de cet arrêt est loin d'être limitée à la prime de partage des profits. En effet, il pourrait concerner des accords plus récents ayant alloué une prime exceptionnelle de pouvoir d'achat en application de la loi 2018-1213 du 24 décembre 2018, dite « gilets jaunes ».
Elodie EXPERT
Pour en savoir plus sur la négociation collective : voir Mémento Social nos 51800 s.