La négociation d’un APC est soumise à une exigence générale de loyauté
L’article L 2254-2 du Code du travail prévoit la possibilité de négocier et conclure un accord de performance collective (APC) afin de répondre aux nécessités de fonctionnement de l'entreprise ou en vue de préserver ou de développer l'emploi.
Comme toute négociation, celle-ci est soumise à une exigence générale de loyauté qui impose notamment à l’employeur de convoquer tous les syndicats représentatifs, de les mettre à même de discuter les termes du projet soumis à signature, et de négocier collectivement et non de façon séparée avec un ou plusieurs d’entre eux (Cass. soc. 12-10-2006 n° 05-15.069 FS-PBRI ; Cass. soc. 10-10-2007 n° 06-42.721 F-PB ; Cass. soc. 8-3-2017 n° 15-18.080 FS-PB). Si la déloyauté est caractérisée, le juge doit annuler l’accord.
Deux décisions récentes de la cour d’appel de Paris rappellent cette règle, dans un attendu de principe commun.
L’APC est un accord dérogatoire au droit commun qui :
permet de licencier les salariés qui refusent son application en écartant la législation protectrice relative au licenciement pour motif économique ;
et se substitue aux clauses contraires des contrats de travail : la volonté collective des signataires de l'accord prévaut ainsi sur les volontés individuelles des salariés auxquels il s'applique.
Le principe de loyauté dans les négociations de l'APC revêt une particulière et nécessaire importance au regard des effets de ce type d'accord. Les deux décisions de la cour d’appel de Paris témoignent de cette vigilance accrue des juges.
La déloyauté caractérisée par la mise à l’écart d’un syndicat représentatif
Dans la première affaire (n° 23/12256), la cour d’appel de Paris confirme une décision du tribunal judiciaire de Paris qui avait connu un certain retentissement, car les juges avaient appliqué, pour la première fois, le principe de loyauté de la négociation collective à un accord de performance collective (TJ Paris 20-6-2023 n° 22/04785).
L’affaire concernait une société ayant négocié un APC avec les deux syndicats représentatifs en son sein – l’Unsa, majoritaire, et la CGT, minoritaire. À l’issue du processus de négociation, la société avait convié l’Unsa à finaliser l’accord, écartant ainsi la CGT. Celle-ci, invoquant la déloyauté des négociations, avait saisi le tribunal judiciaire d’une demande d’annulation de l’accord. L’employeur avait alors réouvert les négociations avec les deux syndicats, et avait signé avec l’Unsa un nouvel accord intégrant quelques-uns des aménagements proposés par la CGT.
Insuffisant, pour le tribunal judiciaire de Paris, qui avait jugé que la déloyauté de l’employeur était caractérisée et avait annulé l’APC ainsi conclu. Insuffisant, également, pour la cour d’appel de Paris saisie par l’employeur.
Les juges d’appel confirment en effet l’analyse du tribunal judiciaire : c’est précisément le caractère dérogatoire au droit commun de l’APC qui justifie une exigence particulière de loyauté des parties. Or, en l’espèce, l’employeur a sciemment écarté un syndicat représentatif des négociations, viciant ainsi le processus. L’argument de l’employeur selon lequel l’accord signé avec l’Unsa restait ouvert à la signature est écarté, faute de preuve d’un calendrier sur le délai de signature offert à la CGT, et dès lors que l’accord était valable car signé par le syndicat majoritaire.
Pour les juges, la réouverture des négociations et l’intégration dans l’APC de quelques aménagements proposés par le syndicat initialement écarté ne permettaient pas de régulariser la situation au regard du principe de loyauté.
Un faisceau d’indices pour mettre en évidence une éventuelle déloyauté
La deuxième affaire (n° 23/12260) concernait une société de services dans le domaine de l’aéronautique, frappée par la crise sanitaire de 2020, ayant conclu un APC avec 3 organisations syndicales représentatives majoritaires. Deux syndicats représentatifs non-signataires, la CGT et l’Unsa, ont saisi le tribunal judiciaire de Bobigny pour obtenir l’annulation de l’accord, soutenant notamment que les négociations n’étaient pas loyales. Ils n’ont pas obtenu gain de cause. La CGT a fait appel de cette décision.
Pour débouter le syndicat demandeur, la cour d’appel de Paris a examiné point par point ses demandes, qui portaient essentiellement sur 3 éléments.
La négociation d’un accord de méthode est facultative
Premier argument écarté par la cour d’appel de Paris : celui consistant à soutenir que l’absence de conclusion d’un accord de méthode préalablement à la négociation de l’APC vicierait celle-ci.
Si, aux termes de l’article L 2222-3-1 du Code du travail, un accord de méthode permet à la négociation de s’accomplir « dans des conditions de loyauté et de confiance mutuelle entre les parties », il n’en est pas moins facultatif. La cour d’appel rappelle en effet que la conclusion d’un accord de méthode n’est qu’une possibilité, et non un préalable obligatoire ou une condition de validité d’un accord collectif.
A notre avis :
On ajoutera que la conclusion d’un accord de méthode ne devrait pas être, à elle seule, de nature à garantir la loyauté des négociations.
Le cadre limité de la négociation d’un APC
Le syndicat demandeur a ensuite recherché l’annulation de l’APC en raison du contexte dans lequel il a été négocié et conclu. Il reprochait en effet à l’employeur, d’une part de ne pas avoir justifié du choix du dispositif de l’APC plutôt que de la rupture conventionnelle collective ou de l’activité partielle de longue durée et, d’autre part, de ne pas avoir consulté le comité social et économique de l’entreprise sur les raisons économiques du projet et sur les alternatives possibles.
Là encore, l’argument est écarté par la cour d’appel de Paris, car il est jugé hors de propos. Son examen porte en effet uniquement sur la loyauté dans les conditions de négociation de l’APC, et non sur les choix stratégiques opérés par l’employeur, éventuellement soumis à la consultation des représentants du personnel.
A noter :
En pratique, l’opposition de la CGT au choix de l’accord de performance collective, en lieu et place d’autres dispositifs qu’elle considérait comme plus adaptés aux besoins des salariés, n’est pas pertinente au regard du principe de loyauté des négociations.
L’exigence de négociations transparentes
La CGT se plaignait enfin d’un manque de transparence dans les négociations menées par l’employeur. Un tel manquement, s’il est prouvé, est en effet de nature à justifier l’annulation d’un accord collectif, conformément à la jurisprudence précitée de la Cour de cassation.
Mais pour la cour d’appel de Paris, cette preuve n’est ici pas rapportée. Les juges relèvent en effet que l’entreprise a proposé aux syndicats l’assistance d’un expert-comptable afin de les éclairer et de les entendre. Cet expert indépendant a rencontré chacun des syndicats, y compris la CGT, répondu à leurs questions et rédigé une synthèse de leurs propositions.
Par ailleurs, s’agissant du déroulement des négociations, 3 réunions se sont tenues en l’espace de 6 semaines. Les juges retiennent que tous les syndicats ont été systématiquement et simultanément informés des propositions des autres organisations syndicales et de la direction. Les syndicats ont disposé du temps nécessaire pour prendre connaissance des termes de l'accord, échanger avec leurs adhérents et formuler des contre-propositions. À cet égard, la CGT ne démontre pas avoir sollicité un report de délai pour la signature de l’accord. Dans ces conditions, les juges considèrent que le reproche de déloyauté des négociations doit être écarté.
A notre avis :
La décision donne ainsi, en creux, des pistes pour garantir la transparence des négociations : le recours à un expert extérieur, financé par l’entreprise mais indépendant, afin de préparer la négociation ; une égalité de traitement entre syndicats dans le partage des informations ; du temps laissé aux négociateurs pour analyser le projet d’accord et y réagir.
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