Le créancier peut agir en son nom personnel pour faire déclarer inopposables à son égard les actes faits par son débiteur en fraude de ses droits (action dite « paulienne » ; C. civ. art. 1341-2).
Condamné à plus de cinq millions d’euros d’amende pour détention de marchandises importées en contrebande, un père de famille procède, avec son épouse, à une donation-partage d’un immeuble et des parts qu’ils détiennent dans plusieurs SCI, au profit de leurs enfants. L’administration des douanes demande que cette donation lui soit déclarée inopposable pour fraude paulienne.
Parents et enfants contestent la décision de la cour d’appel qui a fait droit à cette demande car les juges n’ont pas caractérisé que la donation a entraîné ou aggravé l’insolvabilité du père ni qu’elle a privé l’administration des douanes de sa faculté de recouvrer sa créance contre lui.
La Cour de cassation écarte la critique et confirme l’inopposabilité de la donation à l’administration des douanes.
En effet, si c'est au créancier exerçant l'action paulienne d'établir l'insolvabilité apparente du débiteur, c'est à ce dernier qu'il appartient de prouver qu'il dispose de biens de valeur suffisante pour répondre de l'engagement.
D’une part, l’insolvabilité apparente du débiteur résultait des éléments suivants : la créance de l'administration des douanes était fondée en son principe à la date de la donation-partage, puisque la condamnation pénale du débiteur avait déjà été confirmée une première fois par une cour d'appel ; la dette en cause était importante ; l'acte de donation, portant sur une somme à partager de 1 260 000 € et intervenu trois mois après le prononcé de l'arrêt de la cour d'appel, avait nécessairement appauvri le débiteur en soustrayant certains éléments de son patrimoine et avait été consenti afin de porter atteinte au droit de créance de l'administration des douanes ; la donation étant un acte à titre gratuit, la preuve de la fraude de ses bénéficiaires n'était pas exigée. D’autre part, le débiteur n’avait pas soutenu qu’il aurait disposé d’un patrimoine suffisant pour faire face à sa dette.
A noter :
L’article 1341-2 du Code civil étant laconique sur l’action paulienne, c’est la jurisprudence qui en a fixé le régime en retenant les principes suivants.
Le créancier demandeur doit être titulaire d’une créance fondée en son principe à la date de l’acte attaqué (notamment, Cass. 1e civ. 17-1-1984 n° 82-15.146 P : Bull. civ. I n° 16 ; Cass. com. 25-3-1991 n° 89-12.267 P : RJDA 11/91 n° 885, 1e espèce). Il n’est pas nécessaire que cette créance ait été certaine et exigible à cette date (Cass. com. 25-3-1991 précité).
L'acte attaqué doit avoir entraîné un appauvrissement du débiteur (diminution de son patrimoine) et provoqué ou aggravé l’insolvabilité apparente de celui-ci : ces conditions sont cumulatives pour un créancier chirographaire (Cass. 1e civ. 6-3-2001 n° 98-22.384 FS-P : RJDA 7/01 n° 808 ; Cass. 3e civ. 26-11-2020 n° 19-23.243 F-D : RJDA 7/21 n° 513). Toutefois l’insolvabilité n’a pas à être caractérisée lorsque la fraude affecte l’exercice d’un droit spécial dont dispose le créancier sur un bien du débiteur, par exemple, une promesse de vente (Cass. 3e civ. 6-10-2004 n° 03-15.392 F-PBI : RJDA 2/05 n° 194) ou une hypothèque (Cass. 1e civ. 8-10-2008 n° 07-14.262 F-D : RJDA 1/09 n° 55).
Il faut qu’en accomplissant l’acte attaqué le débiteur ait eu conscience du préjudice qu'il causait au créancier (Cass. 1e civ. 13-1-1993 n° 91-11.871 P : RJDA 11/93 n° 937 ; Cass. 3e civ. 9-2-2010 n° 09-10.639 F-D : RJDA 7/10 n° 782 ; Cass. com. 1-7-2020 n° 18-12.683 F-D : RJDA 10/20 n° 533).
Enfin, pour un acte consenti à titre onéreux, le tiers cocontractant doit avoir eu connaissance de la fraude (C. civ. art. 1341-2). Une telle connaissance n’est pas requise pour un acte à titre gratuit, telle une donation (Cass. 1e civ. 15-5-2015 n° 14-16.652 F-D : RJDA 8-9/15 n° 601).
Bien sûr, l’action paulienne doit être rejetée dès lors que, nonobstant l’acte attaqué, le débiteur demeure en mesure de désintéresser le créancier poursuivant (Cass. com. 1-7-2020 précité).
Dans l’arrêt commenté, la Cour de cassation fait application de ces principes, y compris ceux relatifs à la charge de la preuve (Cass. 1e civ. 5-7-2005 n° 02-18.722 F-PB : RJDA 2/06 n° 188 ; Cass. 1e civ. 10-4-2013 n° 12-11.788 F-D : RJDA 11/13 n° 937 ; Cass. 3e civ. 9-2-2010 n° 09-10.639 F-D : RJDA 7/10 n° 782).
Documents et liens associés :
Cass. com. 10-5-2024 n° 22-15.257 F-D
Retrouvez toute l'actualité en matière de droit des sociétés, droit commercial et de la concurrence dans Navis Droit des Affaires !
Vous êtes abonné ? Accédez à votre Navis Droit des affaires à distance
Pas encore abonné ? Nous vous offrons un accès au fonds documentaire Navis Droit des Affaires pendant 10 jours.