Confrontés à la liquidation judiciaire de leur employeur causée par les décisions prises par la société mère du groupe, les salariés peuvent agir contre celle-ci soit en soutenant l’existence d’une situation de coemploi, soit sur le fondement de sa responsabilité extra-contractuelle.
La jurisprudence de la Cour de cassation a considérablement restreint les possibilités de reconnaissance de la qualité de coemployeur de la société mère en dehors de l’existence d’un lien de subordination, en exigeant une immixtion dans la gestion économique de la filiale excédant la nécessaire coordination des actions économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et l'état de domination économique que cette appartenance peut engendrer (Cass. soc. 6-7-2016 n° 14-27.266 FS-PB ; 14-26.541 FS-PB ; 15-15.481 FS-PB).
Il peut donc apparaître plus opportun pour les salariés de rechercher la responsabilité extra-contractuelle de la société qui, même si elle n’est pas leur employeur, a contribué à la dégradation des résultats de leur employeur et aux licenciements qu’ils ont subis, comme la Cour de cassation vient encore de l’admettre (Cass. soc. 24-5-2018 n° 16-22.881 FS-PB ; 16-18.621 FS-PB : Voir La Quotidienne du 7 juin 2018).
Dans un arrêt du 13 juin 2018 destiné à être publié au bulletin des arrêts des chambres civiles de la Cour de cassation, la chambre sociale se prononce sur la juridiction compétente pour connaître des actions formées par des salariés d’une filiale à l’encontre de la société mère tenue pour responsable de la déconfiture de leur employeur.
Le conseil de prud’hommes n’est pas compétent…
La chambre sociale écarte, logiquement, la compétence du conseil de prud’hommes pour connaître des actions en responsabilité extra-contractuelle formées par les salariés d’une filiale contre la société-mère, dès lors qu’il n’est pas soutenu l’existence d’une situation de coemploi, la juridiction du travail n’ayant pas à connaître d’une action dirigée contre un tiers qui n’a pas la qualité d’employeur.
A noter : la prorogation de compétence de cette juridiction spécialisée, autorisant la mise en cause d’un tiers, n’est prévue par l’article L 1411-6 du Code du travail que pour les organismes qui se substituent habituellement aux obligations légales de l’employeur. Tel n’est pas le cas, à l’évidence, d’une société mère à laquelle est reproché un comportement fautif et dommageable.
… pas plus que le tribunal de commerce
La cour d’appel avait, en l’espèce, considéré que cette action devait être portée devant le tribunal de commerce, en raison de sa compétence exclusive pour les contestations nées de la procédure collective en application de l’article R 662-3 du Code de commerce.
Or, souligne la Cour de cassation, la contestation en cause repose sur des fautes imputées à la société en sa qualité de société mère et n’est pas née de la procédure collective de la filiale employeur, de sorte qu’elle ne relève pas de la compétence du tribunal de commerce.
Reste la compétence du juge de droit commun
Faute de compétence de juridictions spécialisées, l’action en responsabilité extra-contractuelle des salariés contre un tiers devrait donc relever de la compétence du tribunal de grande instance, juridiction de droit commun.
A noter : si l’affaire est portée devant le juge prud’homal, il faut que le défendeur soulève l’incompétence de celui-ci avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir (C. trav. art. R 1451-2) en la motivant et en indiquant devant quelle juridiction il demande que l’affaire soit portée, à peine d’irrecevabilité de l’exception d’incompétence (CPC art. 75). Le juge ne peut prononcer d’office son incompétence que dans certaines hypothèses prévues à l’article 76 du Code de procédure civile : lorsque la règle de compétence d’attribution est d’ordre public ou lorsque le défendeur ne comparait pas ; devant la cour d’appel et la Cour de cassation, cette incompétence ne peut être relevée d'office que si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction répressive ou administrative ou échappe à la connaissance de la juridiction française.
Dans les précédentes affaires où la chambre sociale de la Cour de cassation s’est prononcée sur la responsabilité extra-contractuelle de la société-mère à l’égard des salariés de la filiale placée en liquidation judiciaire, la question de la compétence n’avait pas été soulevée.
Pour en savoir plus sur la compétence du conseil de prud'hommes : Voir Mémento Social n° 14610 s.