Le calendrier des opérations souligne que le contrôle a duré presque 2 mois et a donné lieu au rapport d’enquête 7 mois plus tard. Les griefs ont été notifiés 8 mois après pour une audience organisée ensuite dans les 3 mois. Au total la procédure a donc duré environ 20 mois.
L’AFA a bien pris en considération les observations à son rapport d’enquête de l’entité contrôlée et a été amenée à réduire le nombre de manquements initialement reprochés.
Par mimétisme avec les moyens de défense soulevés devant les juridictions répressives, le conseil de l’entité concernée avait mis en question la régularité de cette nouvelle procédure et sollicité la nullité de la saisine de la commission des sanctions. Et il est vrai que les pratiques dénoncées ne pouvaient que heurter la fibre du défenseur (détournement de procédure, demandes et investigations hors du champ de compétence des agents de l’AFA, non établissement de procès-verbaux des auditions …).
La commission a estimé ne pas avoir compétence pour apprécier un éventuel détournement de la procédure AFA par ses agents, auxquels il était reproché d’avoir en réalité investigué au profit de procédures annexes aux dépens de leur mission de simple contrôle. Cette question est donc renvoyée aux juridictions concernées se rapportant à des procédures pénales, fiscales ou de concurrence.
Elle semble également estimer que si des demandes de communication de l’AFA excèdent son champ de compétence (temporel et/ou matériel), il appartient alors à l’entité concernée d’en refuser la communication quitte à devoir s’en expliquer devant le juge du délit d’entrave, auquel il appartiendra de statuer sur la licéité du refus de produire les documents ou de fournir les informations sollicitées par l’AFA.
L’absence de procès-verbal relatant les auditions ne rend pas ces dernières nulles mais expose l’Agence à devoir justifier d’éventuelles contestations ultérieures ou difficultés d’interprétariat. L’agence en déduit qu’elle peut démontrer les manquements reprochés par les auditions auxquelles elle procède sans avoir à en dresser procès-verbal (voir communiqué de l’AFA du 10 juillet 2019, publié sur son site). Si la rédaction du procès-verbal n’est pas exigée par la loi, la méthode qui consiste à entendre à charge des personnes sans en garder trace écrite et signée de l’intéressé ne peut que fragiliser la procédure en autorisant le doute sur des propos simplement relatés et non corroborés.
La commission de sanctions refuse donc de se faire le juge de la régularité de la procédure, de son éventuel détournement à d’autres fins que celle légalement attribuée à l’Agence ou encore de la licéité des demandes de communication de documents ou informations de l’Agence au cours de son contrôle. En résumé et en l’espèce, la commission des sanctions ne se veut pas le juge des opérations de contrôle mais seulement des éventuels manquements constatés.
Le point peut-être le plus important de cette décision tient à la persistance du manquement à la date à laquelle la commission des sanctions statue. En effet, la commission des sanctions considère que le manquement ne peut donner lieu à sanction s’il a été réparé et a cessé à la date à laquelle elle se réunit, ce qui la distingue radicalement de la logique des juridictions répressives (voir §9 page 8, §25 page 13 et §44 page 15).
La décision était également attendue sur la question de la valeur des recommandations émises par l’Agence. Il était déjà entendu que les recommandations de l’Agence, comme leur nom l’indique, ne pouvaient être que des recommandations sans valeur contraignante. La commission des sanctions précise cependant leur portée en énonçant les règles de l’administration de la preuve. Ainsi, le respect des recommandations de l’AFA assurerait une sorte de présomption de conformité, à charge pour l’Agence de la renverser en cas de manquement allégué (cf. §18 page 11). Inversement, s’écarter des recommandations implique pour l’entité contrôlée d’être en mesure de justifier de la pertinence, de la qualité et de l’effectivité de son dispositif de prévention de la corruption en justifiant de la méthode choisie.
L’Agence en conclut pour sa part que si ses recommandations n’ont pas de valeur contraignante, la commission des sanctions inciterait à s’y conformer. On peut lire autrement cette décision et considérer que les recommandations, qui ne sont pas toujours adaptées à la réalité du secteur des entités concernées, ne doivent pas nécessairement être suivies à la lettre pour autant que les objectifs de la loi sont remplis.
Cette première décision vient clore le premier cycle de contrôle tel que prévu par la loi Sapin 2 et peut rassurer les professionnels par l’indépendance de son analyse et son inscription dans une logique préventive.
Par Camille POTIER, Counsel au sein du cabinet Mayer Brown et membre du conseil de l’Ordre du barreau de Paris