L’agent commercial a droit à une indemnité compensant le préjudice qu’il subit en cas de cessation de ses relations avec le mandant (C. com. art. L 134-12, al. 1) mais il en est privé notamment lorsqu’il a commis une faute grave (art. L 134-13, 1°) ou s’il a pris l’initiative de rompre le contrat, à moins que cette rupture ne soit justifiée par des circonstances imputables au mandant ou des causes tenant à l’âge, l’infirmité ou la maladie de l’agent (art. L 134-13, 2°).
Par deux arrêts du même jour, qui ont été rendus en formation de section et qui seront publiés au bulletin des arrêts des chambres civiles, la Cour de cassation vient d’apporter d’importantes précisions sur l’incidence de la faute grave de l’agent en cas de résiliation du contrat par l’agent ou par le mandant. La Haute Juridiction procède notamment à un revirement de jurisprudence, alignant celle-ci sur celle de la Cour de justice de l’Union européenne, et renforce ainsi la protection de l’agent.
La faute de l’agent découverte après la rupture du contrat par le mandant est sans incidence
Après avoir rompu le contrat d’agence commerciale, le mandant peut-il refuser de payer une indemnité compensatrice en invoquant une faute grave de l’agent commise pendant l’exécution du contrat mais découverte après la rupture de ce dernier ?
Jusqu’à présent, la Cour de cassation répondait de manière positive ; cette faute privait l’agent de son indemnité compensatrice (Cass. com. 1-6-2010 n° 09-14.115 F-D : RJDA 11/10 n° 1067 ; Cass. com. 24-11-2015 n° 14-17.747 F-D : RJDA 2/16 n° 102 ; Cass. com. 19-6-2019 n° 18-11.727 F-D : RJDA 2/20 n° 71).
Prenant le contre-pied de cette jurisprudence et censurant la décision d'une cour d’appel qui en avait fait application, la Cour de cassation juge que l'agent commercial qui a commis un manquement grave, antérieurement à la rupture du contrat, dont il n'a pas été fait état dans la lettre de résiliation et a été découvert après celle-ci par le mandant, de sorte qu'il n'a pas provoqué la rupture, ne peut pas être privé de son droit à indemnité (arrêt n° 21-17.423).
Comme la Cour de cassation l’indique elle-même, ce revirement est justifié par l’interprétation donnée par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) de la directive 86/653 du 18 décembre 1986 (dont les articles L 134-1 s. du Code de commerce sont une transposition). Rappelons que la directive prévoit une indemnité ou une réparation au profit de l’agent après la cessation du contrat (art. 17) et que l’indemnité n'est pas due lorsque le commettant a mis fin au contrat pour « un manquement imputable à l'agent commercial et qui justifierait, en vertu de la législation nationale, une cessation du contrat sans délai » (art. 18, a).
La CJUE a jugé que, en tant qu'exception au droit à indemnité de l'agent, l’article 18, a ne peut pas être interprété dans un sens qui reviendrait à ajouter une cause de déchéance de l'indemnité qu’il ne prévoit pas expressément. Lorsque le commettant ne prend connaissance du manquement de l'agent commercial qu'après la fin du contrat, a-t-elle ajouté, il n'est plus possible d'appliquer le mécanisme prévu à l'article 18, a. Par conséquent, l'agent commercial ne peut pas être privé de son droit à indemnité en vertu de cette disposition lorsque le commettant établit, après lui avoir notifié la résiliation du contrat moyennant préavis, l'existence d'un manquement de cet agent qui était de nature à justifier une résiliation sans délai de ce contrat (CJUE 28-10-2010 aff. 203/09 : RJDA 2/11 n° 136). La CJUE a en outre précisé que toute interprétation de l'article 17 de la directive défavorable à l'agent commercial était exclue (CJUE 19-4-2018 aff. 645/16).
L’agent et le mandant tous deux fautifs
Dans la seconde affaire (arrêt n° 21-10.126), un agent commercial avait rompu le contrat qui le liait à une société spécialisée dans la vente de vins, en raison du comportement de celle-ci. Condamnée à payer à l’agent une indemnité de cessation de contrat, la société faisait valoir qu’il n’y avait pas droit car il avait commis une faute grave en représentant sans son accord une entreprise concurrente.
La Cour de cassation écarte l’argument.
Lorsque la cessation du contrat d'agence commerciale résulte de l'initiative de l'agent et qu'elle est justifiée par des circonstances imputables au mandant, l’indemnité réparatrice demeure due à l'agent, quand bien même celui-ci aurait commis une faute grave dans l'exécution du contrat.
La société avait manqué à ses obligations en ne transmettant pas à l’agent les documents nécessaires au calcul des commissions, qui étaient donc payées avec retard, et en vendant du vin sur le site vente-privée.com, ce qui mécontentait les viticulteurs et mettait fin à certaines commandes ; ces manquements avaient conduit l’agent à résilier, de manière justifiée, le contrat. L’éventuelle faute grave commise par l’agent était sans incidence sur son droit à réparation.
La solution n’allait pas de soi au regard de décisions récentes.
Dans un cas où l’agent avait rompu le contrat parce que le mandant tardait à lui payer ses commissions depuis plusieurs années, la Cour de cassation avait estimé que l’agent avait droit à l’indemnité dès lors que le différend entre les parties sur les commissions avait empêché l’agent de poursuivre l’exécution du contrat et qu’aucune faute grave de l'agent n’était établie par le mandant (Cass. com. 6-4-2022 n° 19-25.741 F-D : BRDA 10/22 inf. 13). Dans une autre affaire, la Haute Juridiction avait jugé que l’agent fautif (il avait représenté un concurrent sans autorisation du mandant) avait droit à l’indemnité après rupture du contrat par le mandant, dès lors les manquements du mandant étaient antérieurs à ceux de l'agent commercial et les avaient provoqués et que ces manquements graves et répétés justifiaient que la rupture du contrat soit imputée à la faute du mandant et non à la faute grave de l'agent commercial (Cass. com. 1-6-2022 n° 20-11.981 F-D : BRDA 15-16/22 inf. 10).
Ces arrêts pouvaient être interprétés comme limitant le droit à indemnité de l’agent, qui a pris l’initiative de rompre le contrat, aux hypothèses où il n’a pas commis de faute grave ou en a commis une à cause du comportement du mandant.
La Cour de cassation précise ici, au contraire, que, si la rupture est justifiée par le comportement du mandant, la faute de l’agent (quelles qu’en soient la cause et la gravité) n’exonère pas le mandant du paiement de l’indemnité. La Cour de cassation fait une application stricte de l’article L 134-13, 2° (rupture justifiée par des circonstances imputables au mandant) et refuse son éventuelle articulation avec le 1° du même article (rupture pour faute grave de l’agent). En d’autres termes, le 1° n’est pas une exception au 2°.
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