Alors que l' « apparence physique est devenue l'un des critères les plus fréquents de discrimination depuis ces deux dernières décennies », le Défenseur des droits, dans une décision-cadre du 2 octobre 2019, souligne l'importance de cette question même si le nombre des contentieux est faible en la matière et que le sujet est parfois perçu comme « secondaire ». Pourtant, « dans notre société pétrie d'images, le poids des apparences est devenu considérable dans le domaine de l'emploi ». Pour ce faire, il a élaboré à l'intention des employeurs un vademecum afin « qu'il réinterrogent non seulement leurs codes vestimentaires mais de manière plus générale leurs pratiques, tant lors de l'embauche que pendant le déroulement de carrière, à la lumière du droit de la non-discrimination ». Il les invite également à prendre en compte les évolutions de la société.
Un oeil renouvelé sur les tatouages et piercings...
Tel est le cas, par exemple, en matière de tatouages et de piercings. Devenus un phénomène de masse - un quart des actif a déjà porté un tatouage -, le tatouage et le piercing « ne constituent plus aujourd'hui des marqueurs sociaux anticonformistes ». Pour autant, « certains secteurs de l'emploi restent réfractaires voire hostiles à ces modalités d'expression corporelle ». Le Défenseur des droits invite donc les employeurs à définir avec précision leurs exigences, sachant que des considérations générales liées à l'image de l'entreprise ou à l'obligation de dignité ne permettent pas de justifier des restrictions générales et absolues en ce domaine.
Au contraire, « du fait de leur banalisation et de leur ampleur au siècle actuel, les tatouages discrets et non choquants devraient être tolérés dans le cadre professionnel pour les personnes en contact avec la clientèle ou les usagers du service public. A priori, les postes sans contact avec la clientèle ne devraient pas être concernés par ce type de restriction ».
Des limitations restent possibles en lien avec les exigences du poste. L'employeur peut, ainsi, demander à un hôte d'accueil touristique en costume d'époque de retirer un piercing en raison de son caractère anachronique (CA Paris 3-4-2008 n° 06/10076).
En outre, les tatouages comportant des images ou des messages violents ou offensants, racistes, antisémites, sexistes, contraires à la morale ou à l'ordre public peuvent être interdis sur le fondement de l'obligation de santé et de sécurité exigeant d'interdire la violence, le harcèlement et la discrimination ou encore sur le trouble à l'ordre public.
Enfin, des considérations liées à la sécurité ou à l'hygiène peuvent conduire les employeurs à limiter ou interdire ces tatouages ou piercings, dans le respect du principe de nécessité et de proportionnalité.
... et sur les barbes
De la même façon, la barbe est devenu « un véritable phénomène de mode » alors qu'elle constituait jusqu'à récemment « un attribut des seniors ». Cette évolution conduit à une révision des codes professionnels. Cela a été ainsi fait, notamment, dans la police : interdite depuis 1974, la barbe est à nouveau autorisée depuis 2015.
Des restrictions sont toutefois admises. Exiger que la barbe soit « soignée » et « entretenue » reste possible. L'apparence physique d'un soignant mal rasé a ainsi été vue comme ne participant pas à l'image de la plus grande propreté corporelle requise par le règlement intérieur d'un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (CA Versailles 31-8-2011 n° 10/03526).
Autre limite : le respect des consignes de sécurité. Est ainsi justifié le licenciement d'un salarié travaillant dans une société de démantèlement et de logistique nucléaire qui refuse de raser sa barbe, alors que le port de cette dernière empêche l'étanchéité du masque de sécurité (CA Nimes 21-6-2016 n° 14/04558).
En revanche, le port de la barbe en lien avec des convictions religieuses est en principe protégé dans le secteur privé. « Dans l'emploi public, où le principe de neutralité s'applique, la confusion possible entre barbe et signe religieux peut constituer une faute de nature disciplinaire justifiant l'adoption d'une sanction ».
Haro sur la grossophobie
« Le fait pour un employeur ou un collègue de tenir des propos vexants, dégradants, offensants ou humiliants en lien avec le surpoids des salariés relève de la qualification de faits de harcèlement discriminatoire à raison de l'apparence physique », rappelle le Défenseur des droits, s'appuyant sur plusieurs décisions de justice. Et ce n'est que dans des « circonstances exceptionnelles » , « dûment justifiées » que des exigences liées au poids pourraient être admises. Il a ainsi été jugé qu'un employeur pouvait valablement licencier une danseuse du Moulin rouge qui ne répondait plus aux exigences physiques et esthétiques lui permettant de poursuivre la relation de travail après 11 ans d'absence suite à des congés parentaux (Cass. soc. 5-3-2014 n° 12-27.701 FS-PB : RJS 5/14 n° 409).
À l'inverse, les clauses « couperet » qui permettraient à un employeur de sanctionner des salariés de manière quasi automatique parce qu'ils ont dépasser de quelques kilos un poids donné « paraissent a priori déraisonnables et abusives » .
Tenues vestimentaires et coiffure : revoir sa copie si nécessaire
En matière de tenues vestimentaires et de coiffure, « certains codes stricts et conservateurs doivent être revus à la lumière de l'évolution de la société, des exigences de santé et de sécurité et des phénomènes de mode », souligne le Défenseur des droits. Car si tout n'est pas permis, « l'effacement progressif des frontières entre les sphères privée et professionnelle permet aujourd'hui plus de liberté ». Certaines restrictions demeurent néanmoins possibles.
L'employeur peut ainsi exiger le port d'une tenue de travail destinée à protéger le salarié contre l'utilisation de produits ou d'outils dangereux pour autant que cette obligation soit justifiée par la nature de la tâche à accomplir et proportionnée au but recherché.
De même, si de simples négligences vestimentaires ne peuvent pas justifier un licenciement, l’employeur est a priori en droit d’exiger que ses salariés en contact avec le public soient coiffés et habillés de manière convenable.
Enfin, l’employeur peut interdire le port de tenues considérées comme indécentes susceptibles de créer un trouble dans l’entreprise ou de choquer la clientèle. A ainsi été jugé justifié le licenciement d'une salariée qui se déplaçait dans les bureaux de l'entreprise vêtue d’un chemisier transparent sans soutien-gorge (Cass. soc. 22-7-1986 n° 82-43.824).
Le port de la cravate peut être imposé aux hommes mais cette appréciation se fait au cas par cas en fonction du poste et de son caractère proportionné.
En matière de coiffure, le non-respect des mesures d’hygiène corporelle, tel qu’avoir des cheveux propres, les attacher ou porter une charlotte de protection, notamment lorsque les salariés ou les agents publics sont en contact avec des denrées alimentaires ou travaillent dans le secteur médical, peut valablement justifier des sanctions.
Pour le reste, les restrictions posées par les employeurs concernant la coiffure de leurs salariés doivent être appréciées in concreto en fonction des postes occupés et au regard de l’évolution de la société.
Sophie ANDRE
Pour en savoir plus sur les droits et libertés des salariés : Voir Mémento Social nos 17025 s.