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L’article 1195 du Code civil, tigre de papier du droit des contrats

Les premières décisions appliquant les dispositions sur l’imprévision ont montré les limites de ce dispositif controversé, introduit par la réforme du droit des contrats. Me Jamet analyse les raisons de cet échec et propose des solutions pour assurer son efficacité.


Par Morgan JAMET
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©Gettyimages

« Le tigre de papier est la traduction littérale de l'expression chinoise « zhǐ lǎohǔ » (紙老虎), désignant une chose apparemment menaçante, mais en réalité inoffensive » (définition Wikipédia).

Pourquoi assimiler les dispositions sur l’imprévision à ce tigre de papier ? L’émoi causé, à l’époque de la réforme du droit des contrats, par l’introduction du traitement de l’imprévision et l’effacement de la force obligatoire du contrat est désormais bien loin.

Seuls ceux qui ne se sont pas intéressés à l’application concrète des dispositions de l’article 1195 du Code civil - application qui était très prévisible -, redoutent encore cette disposition dont l’utilité, si elle existe, n’est pas là où on l’attendait.

Une chose est d’ores et déjà certaine : cette disposition ne permet pas de faire résilier ou modifier facilement un contrat quand on rencontre des difficultés dans son exécution à la suite d’une évolution subite de la situation qui a présidé à sa conclusion.

Il ne sert donc à rien de fonder de grands espoirs ou de ressentir des craintes excessives au titre de sa mise en oeuvre. Et il sera bien difficile pour la partie à un contrat qui souhaite invoquer l’article 1195 du Code civil à l’encontre de l’autre partie de lui faire croire à l’existence d’un vrai risque, ne serait-ce que pour la pousser à négocier.

Une première difficulté est de parvenir à s’inscrire dans le champ d’application de l’article 1195 du Code civil, qui est étroit et dont les conditions de mise en œuvre restent encore aujourd’hui sujettes à discussion, faute de jurisprudence claire.

Un second obstacle résulte de ce que le volet processuel du dispositif fait défaut, cruellement.

Il n’a en effet pas été prévu de confier à un juge et/ou à une procédure judiciaire spécifique la mise en œuvre de cette disposition d’une façon qui lui donnerait de l’efficacité.

En substance :

- ni le juge des requêtes, ni le juge des référés, qui sont les magistrats pouvant être saisis facilement et susceptibles de rendre une décision rapidement, ne sont compétents pour intervenir à ce titre, pour tout un tas de raisons logiques et indiscutables.

Un arrêt récemment rendu par la cour d’appel de Paris énonce ainsi ce constat : " si ces dispositions permettent à une partie de demander une renégociation du contrat à son cocontractant, elles ne la dispensent pas de l’exécution de ses obligations durant la renégociation. En cas d’échec de celle-ci, seul le juge du fond peut adapter le contrat, le réviser ou y mettre un terme. Il en résulte que la demande excède les pouvoirs du juge des référés et que, dans l’attente d’une éventuelle saisine du juge du fond, l’appelante ne peut se dispenser du paiement des loyers contractuellement dus sur le fondement de ces dispositions" (CA Paris du 4-3-2022 n° 21/11534) ;

- le juge du fond ne statue rapidement que très rarement, même dans le cadre des procédures de jour fixe ou à bref délai qui sont pourtant censées permettre une résolution du litige d’une façon accélérée en cas d’urgence.

Dès lors, quelle est la pertinence d’un dispositif comme celui de l’article 1195 du Code civil qui confère au juge, dans l’hypothèse où une partie à un contrat rencontre de graves difficultés pour l’exécuter, le pouvoir de le réviser ou d’y mettre fin, s’il ne peut le faire dans un temps qui tienne compte de cette situation, potentiellement d’extrême urgence ?

Le droit des contrats est difficilement détachable du droit processuel qui a vocation à en garantir l’efficacité.

Sans procédure efficace, le droit n’est pas sanctionné et est donc lettre morte.

Des solutions simples existent pourtant :

- instituer une procédure dédiée : un mode simplifié de saisine, des délais procéduraux prédéterminés, à la fois courts et respectueux du principe du contradictoire, garantissant la vocation du juge à rendre une décision rapidement pour traiter une situation présumée urgente ;

 - instituer une formation juridictionnelle ou au moins des juridictions spécialisées comme il a pu en être instituées, par exemple, au titre du contentieux afférent à certaines pratiques commerciales déloyales.

Cela permettrait d’ailleurs d’instituer également des conciliateurs ou médiateurs rattachés à ces juridictions et eux-mêmes spécialisés dans le traitement de ces problématiques, où leur intervention peut être essentielle.

Ce constant met accessoirement en évidence un besoin de concertation, dans la mise en place des réformes, avec les praticiens du droit, pour que les textes adoptés, motivés par des intentions louables, puissent être mis en œuvre concrètement de façon immédiate. Il n’est jamais trop tard pour le faire.

Bien sûr, cela nécessite de vrais moyens donnés à la justice, et pas seulement pour la justice pénale, mais ceci est un autre sujet.

Morgan Jamet, fondateur du cabinet Arst Avocats, est avocat au barreau de Paris et formateur en droit des affaires. Il a créé sur LinkedIn un groupe dédié à la réforme du droit des contrats.

Morgan Jamet, fondateur du cabinet Arst Avocats, est avocat au barreau de Paris et formateur en droit des affaires. Il a créé sur LinkedIn un groupe dédié à la réforme du droit des contrats.

© Editions Francis Lefebvre - La Quotidienne

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