Nous revenons sur l'abandon de la réponse Bacquet annoncé dans La Quotiditienne du 14 janvier 2016.
Lorsqu’un époux marié sous le régime de la communauté décède, le contrat d’assurance-vie souscrit par son conjoint à l’aide de fonds communs n’est pas dénoué et l’assureur ne verse rien. La valeur de rachat du contrat au jour du décès constitue civilement un bien commun qui est pris en compte pour moitié dans la succession du conjoint décédé.
Pour le calcul des droits de succession, l’administration a longtemps offert aux héritiers la possibilité de traiter fiscalement la valeur de rachat du contrat comme un bien propre du survivant (en ce sens notamment : Rép. Bataille : AN 3-7-2000 p. 3945 n° 35728). Considérée par l’administration fiscale comme devenue sans objet depuis la loi Tepa du 21 août 2007, qui a exonéré le conjoint survivant de droits de succession, cette tolérance a été rapportée en juin 2010 par la réponse Bacquet : depuis cette date, la valeur de rachat fait donc partie fiscalement de l’actif de communauté soumis aux droits de succession dans les conditions de droit commun (Rép. Bacquet : AN 29-6-2010 p. 7283 n° 26231, BOI-ENR-DMTG-10-10-20-20 n° 380).
Cependant et contrairement à ce que laisse entendre cette réponse ministérielle, cet alignement du traitement fiscal de la valeur de rachat sur son analyse civile n’est pas neutre pour les héritiers autres que le conjoint : l’intégration de la valeur de rachat du contrat dans l’actif commun, et donc de la moitié de cette valeur dans l’actif de succession, se traduisait généralement pour eux par un supplément de droits de succession au premier décès, généralement compensé par une moindre taxation au décès du conjoint survivant.
Le ministre des finances a annoncé l’abandon de cette doctrine fiscale très controversée, dans l’objectif d’éviter aux enfants (et plus généralement aux successeurs autres que le conjoint) d’acquitter des droits de succession au décès du premier époux "sans pour autant pouvoir bénéficier du contrat d’assurance-vie". L’imposition du contrat n’aura lieu qu’au décès du second époux.
D’après nos renseignements, cet abandon sera confirmé prochainement par la voie d’une réponse ministérielle. Reste à attendre la parution de cette réponse pour connaître les modalités précises de la neutralisation de la fiscalité successorale des contrats et, le cas échéant, les conditions qu’y mettra l’administration. Cette dernière ne pourra se contenter de retirer purement et simplement la réponse Bacquet, dans la mesure où celle-ci n’a fait que transposer au cas du décès la solution adoptée par la Cour de cassation en cas de divorce (Cass. 1e civ. 31-3-1992 n° 90-16.343, Praslicka : Bull. civ. I n° 95 ; Cass. 1e civ. 10-7-1996 n° 94-18.733, Daignan : Bull. civ. I n° 309). L’administration devra donc prendre une mesure positive afin d’exclure fiscalement les contrats d’assurance-vie de l’assiette des droits de succession au premier décès.
à noter : Deux questions à…
Pascal Julien Saint-Amand, notaire à Paris, président du Groupe Althémis et à Sophie Gonsard, diplômée notaire, spécialiste stratégie patrimoniale du Groupe Althémis.
1. Quelles sont les conséquences pratiques de cet abandon ?
Sous réserve des précisions à venir, on peut dire que sur le plan fiscal, ce retour en arrière vise à renforcer l’attractivité de l’assurance-vie en allégeant la fiscalité attachée au contrat non dénoué financé par la communauté. Même si l’on peut estimer que le fondement de ce revirement est contestable, les baisses d’impôt sont suffisamment rares pour être saluées. Il conviendra toutefois que soit effectivement confirmée l’analyse selon laquelle « l’imposition » sur le contrat d’assurance-vie au décès du second époux, visée dans le communiqué, se limite à la fiscalité de l’assurance-vie, c’est-à-dire celle applicable à la délivrance des capitaux décès entre les mains des bénéficiaires (exonération ou application de l’article 990 I ou de l’article 757 B du CGI).
Ainsi, si l’on reprend pour les inverser les termes de la réponse Bacquet, la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie souscrits avec des fonds communs ne ferait plus partie de l’actif de communauté soumis aux droits de succession dans les conditions de droit commun.
Sur le plan civil, bien sûr, aucun changement ne peut ni ne doit être induit par cette réponse fiscale.
Ainsi, la valeur du contrat non dénoué doit être ajoutée à celle des autres actifs dépendants de la communauté pour déterminer les droits respectifs du conjoint et de la succession sur la masse commune. Financé avec des primes communes et non dénoué, le contrat d’assurance-vie fait toujours partie de la « communauté civile », même s’il sort de la « communauté fiscale ». Il s’agira tout simplement d’un actif commun exonéré (comme il en existe déjà : monuments historiques, par exemple).
Ce retour à une dichotomie entre le civil et le fiscal nous ramène à une période déjà connue, et elle exigera à nouveau beaucoup de pédagogie pour expliquer au conjoint survivant qu’il doit intégrer ce contrat hors « communauté fiscale » dans la « communauté civile » et qu’il ne constitue pas un bien propre pour lui, qu’il pourrait alors s’approprier définitivement sans indemniser les autres héritiers. A défaut, il risquerait de se voir accusé de recel de communauté par les autres héritiers. Sur le plan juridique, cet objectif continuera de requérir un aménagement du régime matrimonial par la stipulation d’une clause de préciput. Ce respect des règles civiles est garant des droits des enfants et en particulier des enfants non communs.
2. Comment intégrer ce changement dans les stratégies patrimoniales ?
Les contrats avec dénouement au second décès devront être privilégiés pour investir des fonds communs. En effet, ils permettront un levier fiscal nouveau et significatif, que l’on peut illustrer par un exemple.
Le patrimoine d’un couple est composé exclusivement d’actifs communs, en l’occurrence un immeuble de rapport d’une valeur de 1 000 000 € et un contrat d’assurance-vie avec dénouement au second décès d’une valeur de 1 000 000 €.
On suppose que les enfants reçoivent toute la succession au premier décès et sont taxés à 20 %.
- Avec la réponse Bacquet, la valeur fiscale de la succession s’établit à : 50 % X 2 000 000 (actif commun) = 1 000 000 € ;
- En cas d’exonération du contrat non dénoué, la valeur fiscale de la succession s’établit à 50 % X [2 000 000 (actif commun) – 1 000 000 (assurance-vie non dénouée)] = 500 000 €.
Dans les deux cas, sur le plan civil, la situation serait identique : à la suite du partage, le conjoint se verrait attribuer le contrat d’assurance-vie au titre de la communauté et les enfants l’immeuble de rapport au titre de la succession. Les enfants auront donc reçu 1 000 000 € de biens immobiliers dans les deux cas. Ils auraient été taxés sur cette valeur de 1 000 000 € avec la réponse Bacquet et ne seraient taxés que sur 500 000 € sous le nouveau régime annoncé. L’économie fiscale s’établirait alors à 500 000 € x 20 % = 100 000 €.
Dès lors, le nouveau régime envisagé par le gouvernement ne peut qu’être salué fiscalement. A côté de l’assurance-vie dénouée par le décès, soumise à un régime de faveur, serait ainsi créé le régime de l’assurance-vie non dénouée qui serait, elle, complètement exonérée sans limite.
L’assurance-vie non dénouée encore mieux que l’assurance-vie dénouée ? A suivre…