Dans un arrêt du 20 mars 2024, la Cour de cassation se prononce sur la licéité d’un dispositif de géolocalisation mis en place pour contrôler la durée du travail des salariés et sur les conséquences de la prise d'acte de la rupture du contrat de travail par un salarié, représentant du personnel, ayant refusé d'utiliser ce dispositif.
Pas de géolocalisation pour contrôler le temps de travail si un autre dispositif peut être utilisé
La chambre sociale de la Cour de cassation confirme ici, dans un premier temps, une jurisprudence bien établie à propos des conditions de licéité d’un dispositif de géolocalisation mis en place pour contrôler la durée du travail de salariés, souvent itinérants. Le dispositif ne peut valablement être mis en place que s'il n'existe pas d'autre mode de contrôle possible (même moins efficace), et il ne peut pas être appliqué à un salarié disposant d'une liberté dans l'organisation de son travail (Cass. soc. 3-11-2011 n° 10-18.036 FS-PBRI ; Cass. soc. 19-12-2018 n° 17-14.631 F-D ; Cass. soc. 16-12-2020 n° 19-10.007 F-D).
La pression exercée sur le salarié refusant la géolocalisation peut-elle justifier la prise d’acte ?
Dans un second temps, la Haute juridiction s’intéresse aux conséquences de la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié, investi d’un mandat de représentant du personnel, qui avait refusé de signer un avenant contractuel prévoyant la remise du matériel de géolocalisation, au motif qu'il portait atteinte à sa personne et à ses libertés.
Aucune modification de son contrat de travail ou de ses conditions de travail ne peut être imposée à un salarié protégé et, si ce dernier la refuse, il appartient alors à l'employeur d'engager la procédure de licenciement (Cass. soc. 23-9-1992 n° 90-45.106 PF ; Cass. soc. 5-5-2010 n° 08-44.895 F-D). Si l’employeur impose au salarié protégé la modification de son contrat de travail, et que ce manquement est jugé suffisamment grave pour empêcher la poursuite de la relation contractuelle, la rupture est prononcée aux torts de l’employeur et produit les effets d’un licenciement nul (Cass. soc. 12-11-2015 n° 14-16.369 FS-PB).
Dans cette affaire, l’employeur avait, à la suite du refus du salarié protégé de signer l’avenant modifiant son contrat de travail, exercé des pressions sur l'intéressé pour qu’il accepte le nouveau système de géolocalisation. Concrètement, l’employeur avait tout d’abord convoqué le salarié à un entretien préalable, en le dispensant d’activité avec maintien de sa rémunération, avant de renoncer à cette procédure disciplinaire, puis l’avait mis en demeure de reprendre son poste et de respecter la nouvelle organisation de contrôle du temps de travail. Bien qu’elle ait relevé ces éléments, la cour d’appel a pourtant jugé que les manquements invoqués n’étaient pas suffisamment graves pour prononcer la rupture du contrat aux torts de l’employeur et a décidé de faire produire à la prise d’acte les effets d’une démission.
A tort pour la chambre sociale de la Cour de cassation, qui reproche aux juges du fond de ne pas avoir recherché si ces circonstances ne caractérisaient pas des pressions de l’employeur en vue d’échapper à l’intervention de l’inspection du travail et n’étaient pas de nature à empêcher la poursuite du contrat de travail. La cour d’appel devant laquelle l’affaire est renvoyée devra donc, pour déterminer les effets de la rupture, apprécier de nouveau les éléments caractérisant les pressions de l’employeur exercées sur le salarié protégé afin qu’il utilise le nouveau système de géolocalisation, dont on peut d’ailleurs se demander s’il n’est pas susceptible de constituer une violation de la liberté de circulation qu’il tient de son mandat de représentant du personnel (C. trav. art. L 2143–20 et L 2315–14).
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