Un couple divorce, le mari proposant de s’acquitter de sa prestation compensatoire par l’abandon au profit de sa femme d’un droit d’usage et d’habitation sur un appartement lui appartenant en propre, et ce jusqu’à la majorité de leur enfant commun.
La cour d’appel qui fixe la prestation en capital à 265 000 € valide sa proposition après avoir relevé qu’il n’était pas établi qu’il ne disposait pas des liquidités suffisantes pour régler sa dette en capital. L’épouse conteste : les juges ont méconnu le caractère subsidiaire d’une telle attribution dès lors que le débiteur ne rapporte pas la preuve de son incapacité d’exécuter la prestation compensatoire en numéraire.
Rejet de son pourvoi. La Cour de cassation rappelle que le juge décide des modalités d’exécution de la prestation compensatoire en capital, soit un versement en numéraire, avec ou sans garanties, soit attribution de biens en propriété ou d’un droit temporaire ou viager d’usage, d’habitation ou d’usufruit (C. civ. art. 274). Lorsque le débiteur de la prestation compensatoire ne consent pas à l’attribution envisagée, cette dernière constitue une mesure subsidiaire d’exécution de la prestation compensatoire en capital. Pour pouvoir ordonner une telle attribution forcée, le juge doit s’assurer qu’au regard des circonstances de l’espèce le versement d’une somme d’argent – avec ou sans garantie – n’apparaît pas suffisant pour garantir le règlement de la prestation (Cons. const. 13-7-2011 n° 2011-151 QPC). Ce caractère subsidiaire ne vaut pas dans l’hypothèse où l’attribution n’est pas forcée mais consentie par le débiteur comme en l’espèce. Le juge retrouve alors son pouvoir souverain d’appréciation pour déterminer les modalités d’exécution de la prestation compensatoire en capital qu’il estime les plus appropriées.
A noter :
1. Premier intérêt de cet arrêt à la façon d’un rappel : lorsqu’il revient au juge de décider de la prestation compensatoire, celle-ci prend en principe la forme d’un capital, qui prend lui-même le plus souvent la forme d’une somme d’argent (C. civ. art. 270 et 274, 1°). Mais, comme l’illustre cette affaire, le capital peut aussi être acquitté par l’attribution de biens en pleine propriété ou par l’attribution d’un droit d’usufruit ou d’un droit d’usage et/ ou d’habitation (C. civ. art. 274, 2°).
2. Deuxième intérêt, plus saillant, sur la portée d’une réserve d’interprétation de l’article 274, 2° du Code civil émise par le Conseil constitutionnel (Cons. const. 13-7-2011 n° 2011-151 QPC : BPAT 5/11 inf. 275, RTD civ. 2011 p. 750 obs. J. Hauser). Celui-ci a considéré qu’une attribution forcée ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété au regard du but d’intérêt général poursuivi à condition que cette attribution constitue une modalité subsidiaire d’exécution de la prestation compensatoire en capital. Autrement dit, « elle ne saurait être ordonnée par le juge que dans le cas où, au regard des circonstances de l'espèce, les modalités prévues au 1o [versement d’une somme d’argent, le prononcé du divorce pouvant être subordonné à la constitution de garanties] n'apparaissent pas suffisantes pour garantir le versement de cette prestation ». Rappelons que la Cour européenne des droits de l’Homme est arrivée à la même exigence que celle du Conseil constitutionnel (CEDH 10-7-2014 n° 4944/11 : BPAT 5/14 inf. 197, RTD civ. 2014 p. 869 obs. J. Hauser).
La Haute Juridiction n’écarte pas cette réserve, comme pouvait le craindre un auteur (voir J. Hauser RTD civ. 2011 précitée). Elle l’a, d’ailleurs, déjà appliquée (Cass. 1e civ. 28-5-2014 n° 13-15.760 F-PBI : BPAT 4/14 inf. 162, RTD civ. 2014 p. 630 obs. J. Hauser). Mais la Cour de cassation prend le soin ici d’en circonscrire le périmètre. Elle ne s’applique qu’en cas d’attribution forcée. Elle ne vaut pas lorsque le débiteur de la prestation compensatoire sollicite de lui-même l’attribution d’un bien, d’un droit d’usufruit ou d’un droit d’usage et/ou d’habitation comme modalités d’exécution de la prestation compensatoire. Dans ce cas de figure, le juge exerce pleinement son pouvoir souverain pour en décider.