Une société, titulaire d’un bail commercial sur un local au sein d’un centre commercial, est mise en redressement judiciaire le 25 mars 2019, puis en liquidation. Le bailleur déclare une créance constituée d’un arriéré de loyers et de la provision sur charges du premier trimestre 2019. Le juge-commissaire admet la créance de loyers mais rejette celles afférentes aux charges, reprochant au bailleur de ne pas fournir les justificatifs des charges réellement supportées.
La cour d’appel de Paris infirme l’ordonnance du juge-commissaire et admet la créance du bailleur, charges incluses (CA Paris 26-9-2023 n° 21/22144). Les charges du premier trimestre de l'année 2019 avaient été déclarées sur la base d'une évaluation. Ces sommes constituaient des provisions sur charges réelles qui, en vertu du contrat de bail, étaient payables par le locataire, à titre provisionnel d'avance, le 1er jour soit de chaque trimestre soit de chaque mois. Le bail précisait que chaque provision correspondra à une fraction du budget prévisionnel de l'année considérée et que l'état récapitulatif, qui inclut la liquidation et la régularisation des comptes de charges de l'année écoulée sur la base des dépenses réelles, sera communiqué au locataire au plus tard le 30 septembre de l'année suivante ou, si le centre commercial est soumis au régime de la copropriété, dans le délai de trois mois à compter de la reddition des charges de copropriété sur l'exercice annuel.
La déclaration de la provision sur charge du 1er trimestre 2019 ne pouvait donc pas, par définition, être accompagnée des justificatifs constitués ultérieurement et servant de base à leur régularisation. La créance de provisions sur charges n'en était pas moins échue à titre définitif puisque payable d'avance et trimestriellement. Ces charges régulièrement appelées avant le jugement d'ouverture de la procédure collective et conformes aux stipulations du contrat de bail constituaient des créances définitives du bailleur. Le contrat de bail, le décompte des charges et le tableau récapitulatif versés aux débats par le bailleur suffisaient à établir la consistance de ces charges et le montant de la créance. En revanche, le bailleur ne pouvait pas prétendre à l’augmentation de sa créance résultant de la régularisation des charges en 2020, cette somme n’ayant pas été déclarée dans le délai requis.
A noter :
Stricte application de l’article L 622-24 du Code de commerce, qui autorise les créanciers titulaires de créances nées avant le jugement ouvrant la procédure à les déclarer sur la base d’une évaluation lorsque ces créances ne sont pas définitivement fixées. La déclaration porte sur le montant de la créance due au jour de ce jugement (C. com. art. L 622-25). Tel est le cas des charges payables par avance en vertu du bail et exigibles à cette date. La cour d’appel prend toutefois soin de relever que ces charges avaient été régulièrement appelées avant l’ouverture de la procédure collective du locataire.
Certes les documents justificatifs de la créance doivent être joints à la déclaration (C. com. art. R 622-23, dernier al.) mais ils peuvent être valablement produits après l'expiration du délai de déclaration (Cass. com. 23-3-2022 n° 20-19.274 F-D : RJDA 7/22 n° 416).
Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel rappelle en outre que le juge qui statue sur l'admission d'une créance au passif doit se prononcer dans les limites du montant indiqué dans la déclaration de cette créance, y compris lorsque, non encore définitivement fixé, il l'a été sur la base d'une évaluation, et que celle-ci ne peut être augmentée après l'expiration du délai légal de déclaration (Cass. com. 3-11-2010 n° 09-72.029 F-PB : RJDA 1/11 n° 63). La régularisation de charges ne pouvait donc pas être prise en compte.