Depuis l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, l’article L 1235-3 du Code du travail fixe un barème de l’indemnité à la charge de l’employeur en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, qui s’impose au juge. Le montant est compris entre un minimum et un maximum, variant en fonction de l’ancienneté du salarié, le minimum étant moins élevé pour les 10 premières années d’ancienneté si l’employeur occupe moins de 11 salariés.
La question de la conformité de ces dispositions à la convention 158 de l’OIT et à la charte social européenne a été soulevé devant le conseil de prud’hommes du Mans, première juridiction judiciaire, à notre connaissance, appelée à se prononcer en la matière.
A noter : Pour sa part, le Conseil d’Etat, saisi d’une requête en référé suspension dirigée contre l'ordonnance précitée avant sa ratification par le Parlement, a jugé que ces dispositions ne violaient pas les principes posés par ces textes internationaux (CE 7-12-2017 n° 415243).
Pas de contradiction avec l’article 10 de la convention 158 de l’OIT
En l’espèce, la salariée, dont le licenciement a été reconnu sans cause réelle et sérieuse, soutenait en premier lieu que le barème prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail est contraire à l’article 10 de la convention 158 de l’OIT. D’après ce dernier texte, si les juges « arrivent à la conclusion que le licenciement est injustifié, et si, compte tenu de la législation et de la pratique nationales, ils n'ont pas le pouvoir ou n'estiment pas possible dans les circonstances d'annuler le licenciement et/ou d'ordonner ou de proposer la réintégration du travailleur, ils devront être habilités à ordonner le versement d'une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée ».
Cette convention ayant un effet direct « horizontal », ce qui permet à un salarié de l’invoquer dans un litige l’opposant à son employeur de droit privé (CE 19-10-2005 n° 283471; Cass. soc. 29-3-2006 n° 04-46.499 FS-PBRI; Cass. soc. 1-7-2008 n° 07-44.124 FP-PBRI), le conseil de prud’hommes a examiné ce point et donné tort à l’intéressée. Pour le juge, l’article précité du Code du travail respecte les deux principes indemnitaires visés ci-dessus pour 3 raisons.
Le juge estime tout d’abord que l’indemnité prévue au barème a vocation à réparer le préjudice résultant de la seule perte injustifiée de l’emploi et que, si l’évaluation des dommages-intérêts est encadrée entre un minimum et un maximum, il appartient toujours au juge, dans les bornes du barème ainsi fixé, de prendre en compte tous les éléments déterminant le préjudice subi par le salarié licencié lorsqu’il se prononce sur le montant de l’indemnité (notamment l’âge et les difficultés à retrouver un emploi, après des années passées au sein de la même entreprise).
Le conseil de prud’hommes relève ensuite que le barème n’est pas applicable aux situations où le licenciement intervient dans un contexte de manquement particulièrement grave de l’employeur à ses obligations, comme c’est le cas lorsque le licenciement est entaché de nullité résultant notamment de la violation d’une liberté fondamentale, de faits de harcèlement moral ou sexuel, d’une atteinte à l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes ou de l’exercice d’un mandat par un salarié protégé.
A noter : On retrouve là les éléments retenus par le Conseil constitutionnel dans sa décision validant les dispositions de l'article L 1235-3 du Code du travail prévoyant le barème d'indemnisation (Cons. const. 21-3-2018 n° 2018-761 DC) et , avant lui, par le Conseil d'Etat dans sa décision du 7 décembre 2017 précitée.
Enfin, le juge ajoute que les autres préjudices, en lien avec le licenciement et notamment les circonstances dans lesquelles il a été prononcé, sont susceptibles d’une réparation distincte sur le fondement du droit de la responsabilité civil, dès lors que le salarié est en mesure de démontrer l’existence d’un préjudice distinct.
En l’espèce, le conseil de prud’hommes du Mans a donc condamné l’employeur à verser à la salariée concernée une indemnité de 1 715 € pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application du barème (l’intéressée ayant moins d’un an d’ancienneté ne pouvait pas prétendre à une indemnité supérieure à un mois de salaire) et à 2 000 € pour licenciement brutal et vexatoire, le juge ayant relevé que l’intéressée avait reçu à son retour de congé une lettre la convoquant à un entretien préalable à sanction disciplinaire et lui notifiant sa mise à pied conservatoire sans aucune explication, alors qu’elle n’avait jamais fait l’objet de reproches.
Le juge refuse de se prononcer sur le respect de la charte sociale européenne
En deuxième lieu, la salariée soutenait que le barème était également contraire à l’article 24 de la charte sociale européenne du 3 mai 1996, qui prévoit que « en vue d’assurer l’exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties (c’est-à-dire les gouvernements signataires de la charte) s’engagent à reconnaître le droit des travailleurs licenciés sans motifs valables à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée».
Mais le conseil de prud’hommes refuse de se prononcer sur ce point, considérant que ces dispositions ne sont pas directement applicables par la juridiction prud’homale. Il relève par ailleurs que, de toute façon, le principe énoncé par la charte est similaire aux dispositions édictées par l’article 10 de la convention OIT n° 158.
A noter : En la matière, le Conseil d’État a adopté une position contraire puisqu’il admet que les stipulations de l'article 24 de la charte sociale européenne ont un effet direct « horizontal» (CE 10-2-2014 n° 358992).
On attend avec intérêt que le comité européen des droits sociaux (CEDS), organe de contrôle de l’application de ce texte, se prononce sur le dispositif français, le syndicat Force Ouvrière l’ayant saisi sur ce point.
Pour en savoir plus sur le barème des indemnités en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse : voir Mémento Social n° 48710 s.