Après les nombreuses décisions divergentes des conseils de prud’hommes sur la conventionnalité du barème « Macron », la bataille se joue désormais au niveau des cours d’appel. Ainsi, après celle de Reims, c’est au tour de la cour d’appel de Paris de se prononcer : dans un arrêt moins argumenté, celle-ci valide le barème sans prévoir de dérogation possible.
Pour rappel, le barème « Macron », inséré à l’article L 1235-3 du Code du travail par l’ordonnance 2017-1387 du 22 septembre 2017, prévoit une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse comprise entre un minimum et un maximum variant en fonction de l'ancienneté du salarié, le minimum étant moins élevé pour les 10 premières années d'ancienneté si l'employeur occupe moins de 11 salariés, avec un maximum de 20 mois de salaire pour les salariés ayant au moins 30 ans d'ancienneté.
Le barème est conforme à l’article 10 de la Convention 158 de l’OIT…
Comme dans bien d’autres affaires, le salarié abusivement licencié et différentes organisations syndicales contestaient la conformité du barème aux articles 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la Convention 158 de l'OIT exigeant l’octroi d’une indemnité adéquate appropriée aux travailleurs licenciés sans motifs valables.
La cour d’appel de Paris décide que l’article 24 de ladite Charte n’a pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ; ses dispositions ne peuvent donc pas être invoquées par un salarié dans un litige l’opposant à son employeur.
Elle reconnaît en revanche un tel effet à l’article 10 de la Convention précitée et juge que « la mise en place d’un barème n’est pas en soi contraire aux textes […] imposant aux Etats, en cas de licenciement injustifié, de garantir au salarié une indemnité adéquate ou une réparation appropriée, le juge français, dans le cadre des montants minimaux et maximaux édictés sur la base de l’ancienneté du salarié et de l’effectif de l’entreprise, gardant une marge d’appréciation ».
Cette solution va tout à fait dans le sens des avis rendus par la Cour de cassation le 17 juillet 2019 (Avis Cass. 17-7-2019 nos 19-70.010 PBRI et 19-70.011 : voir La Quotidienne du 19 juillet 2019), même si le juge parisien n’y fait pas expressément référence.
On notera que la cour d’appel a rejeté les arguments avancés par les organisations syndicales selon lesquels les dispositions de l’article L 1235-3 du Code du travail porteraient une atteinte disproportionnée au droit d’accès à un juge et à un procès équitable en méconnaissance des articles 6§1 et 13 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales (CEDH) et seraient contraires au principe de non-discrimination reconnu par les articles 20, 21 et 30 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne. S’agissant du premier de ces textes, le juge décide, comme la Cour de cassation dans ses avis précités, que lesdites dispositions n’entrent pas dans son champ d’application dans la mesure où elles ne constituent pas un obstacle procédural entravant l’accès des salariés à la justice.
…et doit donc être appliqué
Le barème prévu à l’article L 1235-3 du Code du travail, dont la conventionnalité est reconnue, doit s’appliquer.
En l’espèce, le salarié, ayant au jour de son licenciement une ancienneté de 16 ans, était en droit d’obtenir en vertu de ce texte entre 3 et 13,5 mois de salaire bruts. Relevant que l’intéressé était âgé de 45 ans lors de la rupture de son contrat de travail et justifiait d’une situation de chômage indemnisé pendant 15 mois puis d’une formation rémunérée, le juge lui a accordé une indemnité d’un montant de 67 900 € correspondant à l’équivalent de 13 mois de salaires bruts, somme jugée adéquate au préjudice né du caractère infondé du licenciement.
Pas de possibilité d’écarter le barème au cas par cas
Contrairement à ce que pouvait laisser croire un récent arrêt de la cour d’appel de Paris (CA Paris 18-9-2019 no 17/06676), celle-ci ne prévoit pas, dans sa décision du 30 octobre 2019, la possibilité pour le juge de déroger au barème lorsque l’indemnisation qui y est prévue apparaît inappropriée au cas particulier.
Sa position diverge ainsi de celle adoptée par la cour d’appel de Reims le 25 septembre 2019. En effet, le juge rémois distingue le contrôle de conventionnalité de la règle de droit elle-même (contrôle « in abstracto ») de celui de son application dans les circonstances de l’espèce (contrôle « in concreto »). Elle juge ainsi que « le contrôle de conventionnalité ne dispense pas, en présence d’un dispositif jugé conventionnel, d’apprécier s’il ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié concerné ». Ainsi, tout en reconnaissant la conformité du barème aux textes internationaux, il admet que le juge peut déterminer, dans chaque cas d’espèce, si le barème peut être appliqué ou doit être écarté lorsque son application porterait atteinte au droit à une réparation adéquate (CA Reims 25-9-2019 n° 19/00003 : voir La Quotidienne du 10 octobre 2019).
Pour en savoir plus sur les sanctions du licenciement sans cause réelle et sérieuse : voir Mémento Social nos 48705 s.